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Couleur Lauragais : les journaux
Reportage

Les nouveaux mystères de Haute-Garonne
Vous aimez les mystères, les destins extraordinaires et les faits divers insolites ? Alors, nul doute que “Les nouveaux mystères de Haute-Garonne” de Patrick Caujolle ne pourront que vous séduire. De la maison hantée de Revel au trésor de Baziège, en passant par plusieurs histoires criminelles des plus énigmatiques, vous ne pourrez que vous laisser séduire par cette myriade d’histoires vraies que l’auteur a dénichées pour vous et dont nous vous livrons ici quelques extraits.
Paysage assez rare de nos jours, un alignement de moulins : ici les anciens moulins de Caraman au début du 20ème siècle
Paysage assez rare de nos jours, un alignement de moulins : ici les anciens moulins de Caraman au début du 20ème siècle


La tête maudite de Saint-Ferréol
Vous êtes du Lauragais, vous êtes toulousain, de l’Aude qui sait ? Bon, alors, sans nul doute que vous connaissez ce splendide lieu de villégiature qu’est, près de Revel, le célèbre lac de Saint-Ferréol. Par contre, savez-vous qu’autrefois, existait près du lac, une ferme du nom de Bascaud qui a donné lieu à une légende des plus terrifiantes.
Car dans l’étable, appuyée sur un pilier, se trouvait de temps immémoriaux une statue d’assez bonne facture représentant une tête d’homme. Pourquoi l’appelait-on la pierre de Saint-Loup ? Mystère. Pourquoi ce matin- là, le pauvre métayer a-t-il voulu la déplacer ? Là aussi, Mystère. Ce que l’on sait par contre, c’est que la nuit suivante, réveillé par l’énorme et inhabituel vacarme fait sans raison par les bêtes, notre paysan prit la sage décision de remettre à sa place la statue Saint-Loup et que jamais plus il n’eut à subir un tel tintamarre.

Un jour, des sœurs de Dreuilhe, le village voisin, apprirent l’existence de la statue et décidèrent de se rendre en procession à Bascaud afin de la récupérer et de la transférer en un endroit plus digne de son aura, à savoir dans leur couvent. Quel ne fut pas leur tort ? Brusquement, à la ferme, une terrible épidémie toucha vaches et volailles, ne laissant en vie qu’une bien maigre partie du cheptel. Saint-Loup ramené et remis à sa place dans l’étable, l’épidémie cessa aussitôt.
Plusieurs siècles s’écoulèrent ainsi, laissant en toute sérénité la pierre inonder de son regard les générations de métayers et de bêtes qui se succédaient. Un jour pourtant, au milieu du XXème siècle, les propriétaires du proche château de l’Enclastre auquel était rattachée Bascaud, aperçurent la tête et trouvèrent à leur tour incongru qu’une telle œuvre d’art restât en un lieu aussi commun. Portée au château, l’arrivée de la pierre coïncida de fait avec le début d’une série de malheurs qui ne manqua pas de s’abattre sur la famille : procès, faillites, maladies, rien ne leur fut épargné, sans oublier la mort bien énigmatique de l’homme qui avait transporté Saint-Loup. Il ne fallut alors que les confidences de quelqu’un du crû pour que la statue, de nouveau rapportée en son lieu d’origine, signe aux châtelains la trêve tant espérée et la fin de tous leurs déboires.

Quelques années plus tard, ruine abandonnée à tous les vents, Bascaud devint le lieu de rassemblement de bon nombre d’adolescents désoeuvrés. Qui fut vraiment ce jeune homme coutumier des lieux dont les cheveux blanchirent bien avant l’âge ? Nul le sut vraiment. Ce fut pourtant l’épouse d’un récent acheteur qui s’enquit un jour de ce pseudo sortilège dont tout le monde lui parlait :
- C’est une légende, bien sûr, cette malédiction ?
- Madame, n’est-ce pas précisément après avoir acheté la ferme que votre mari est décédé ?
Où est la tête aujourd’hui ? Mystère. À en écouter certains, elle serait en possession d’une famille du canton de Sorèze dont la fille aurait été renversée par une voiture et le fils durement meurtri.

Quoiqu’il en soit, de générations en générations et de veillées en repas de famille, force est de constater que la tête de Saint-Loup continue toujours d’être véhiculée et d’entretenir au mieux la légende de Bascaud et de Saint-Ferréol. Et quelque part, n’est pas là la preuve de son pouvoir ?

Toulouse insolite : des montreurs d'ours ariègeois
Toulouse insolite : des montreurs d'ours ariègeois

La maison hantée de Revel
Franchement, par décence et discrétion, croyez-vous vraiment que je vais vous indiquer sa position exacte ? Non, bien sûr. Ce que je peux par contre vous dire, avant de vous conter les faits, c’est que, pour l’avoir rencontrée, la personne qui a momentanément occupé cette demeure il y a quelques décennies, est un monsieur on ne peut plus crédible, ancien commerçant de profession, pragmatique s’il en est, et qui ne croyait pas du tout à ce type de phénomène avant de l’avoir côtoyé.
Cette demeure est-elle un vieux et sombre manoir que les plaintes nocturnes du vent d’autan éclaboussent de mystères ? Pas du tout. Est-elle une ruine sordide à laquelle les griffes des ronces tentent farouchement d’extirper un peu d’histoire ? Ne le croyez pas un seul instant. Non, elle est une maison norma-le, classique, située dans l’axe du lac de Saint Ferréol ; une maison que rien, ni par son aspect ni par son histoire, ne semblait prédisposée à receler ce type de manifestation.

Car lorsque Robert loue l’habitation (appelons-le Robert), bien loin est-il de penser à ce que vont être ses nuits au sein de cette curieuse demeure. Robert est marié, commerçant à Revel, mais son épouse, originaire du tout proche département de l’Aude, reste souvent dans sa commune d’origine pour gérer les enfants et la vie de tous les jours. Aussi, louer sur place cette maison est-il une commodité dont Robert ne peut que se satisfaire.
Lorsqu’il se couche, en cette première soirée, Robert ne peut en rien imaginer ce que, les dix premières minutes passées, l’obscurité va peu à peu lui infliger. Là, sous son lit, déjà, un premier grattement se fait sentir. Une souris ? Tiens, quelque chose roule, dans la chambre, dans le couloir. Mais, se dit-il, c’est bizarre, le bruit monte en puissance. Robert se lève, prend sa pile électrique, monte au grenier, descend à la cave,...rien. Au total, il faudra environ 40 minutes pour que le bruit disparaisse et que Robert trouve enfin un sommeil aussi réparateur qu’interrogatif…du moins jusqu’au lendemain.
À nouveau au lit, ce sont dès lors les mêmes bruits, les mêmes craquements et les mêmes roulements qui vont se faire entendre durant le même laps de temps et avec une intensité de plus en plus soutenue. Que faire donc, prudence oblige, si ce n’est de se faire accompagner la nuit suivante par le berger allemand familial.
Autant vous l’avouer, le sommeil de l’animal, là aussi, ne va pas être empreint de la même sérénité qu’au sein du cocon familial. La première oreille levée, le premier hochement de tête, puis les premiers jappements de la bête ne seront que les prémices d’une soirée où les agissements du chien se montreront aux antipodes de son comportement habituel.
- Vous l’auriez vu, me dit alors le commerçant ! Il faisait des bonds partout, aboyait, hurlait… Jamais je n’aurais imaginé cela de la part de cette bête d’ordinaire si calme. Le lendemain, j’ai essayé de la faire revenir dans la maison ; jamais elle n’a voulu y pénétrer à nouveau.
Tenace et rationnel, Robert, lui, va au contraire y revenir dormir…
- Tans pis, faites ce que vous vous voulez, dit-il tout fort, moi, je reste. Le tumulte sera le même.
- Une autre fois, j’ai essayé, sans rien lui dire, d’y faire dormir mon épouse. Trente minutes plus tard, affolée, elle prenait la porte en ma compagnie pour ne jamais revenir.
Quels étaient ces bruits ? De quoi ou de qui provenaient-ils ? Mystère.
Durant une semaine de vacances, Robert invita son beau-frère, originaire de Marseille, à séjourner dans la villa en sa compagnie. Le croirez-vous ? Dès lors, plus rien ne se passa.
Signe de l’au-delà ? Signe d’ici-bas non appréhendé ce jour ? L’énigme est totale et la réponse prévue pour… dans quelques siècles.

Inhabituel : Où est la ville, où est la campagne . : des brebis à la prairie des filtres au début du XXème siècle
Inhabituel : Où est la ville, où est la campagne ? : des brebis à la prairie des filtres au début du XXème siècle

Le trésor de Baziège
Rassurez-vous, si vous trouvez sur votre terrain quelque trésor que ce soit, vous n’en êtes en rien l’unique propriétaire ; n’ayez crainte, l’Etat est là pour vous épauler. Et de tous temps, force est de constater que ce principe a toujours été appliqué dans notre pays. Au moyen-âge, vous étiez tenu en pareil cas de le remettre à votre seigneur, lequel se devait à son tour de faire de même envers son suzerain. Plus tard, au XVIIIème siècle, tout trésor étant réputé appartenir au roi, c’étaient ses représentants légaux, en l’occurrence son intendant ou son procureur, qui, dans une province, se devaient de le percevoir avant de le restituer.
Imaginez-vous l’émoi qui se produisit de fait à Baziège, lorsqu’en 1747, l’abbé de la paroisse apprit que le sieur Michel, dans une métairie proche du bourg, possédait un trésor de “vieilles espèces”. Aussitôt, procureur et intendant se mirent donc en devoir de récupérer le butin, lançant à cette fin une information judiciaire où six témoins furent assignés pour corroborer les faits.
- C’est vrai, dit le premier. L’an passé, j’étais à travailler dans la vigne dudit Michel et j’ai questionné Blanchard, son métayer, sur les rumeurs de la découverte d’un trésor. Blanchard m’a avoué qu’en fouillant la terre, c’était lui-même qui avait trouvé deux pots remplis de pièces d’or et d’argent, mais que, comme c’étaient de vieilles espèces, il n’avait pas su quoi en faire. Il les a alors portées à son Maître qui lui en avait promis la moitié.
- Oui, confirma le second. Un dimanche, j’allais à vêpres à Fourquevaux avec mon valet et nous avons rencontré Blanchard qui nous a dit que Michel lui céderait volontiers la métairie qu’il travaillait en échange de sa part de pièces. D’ailleurs, quelques jours plus tard, nous avons vu Blanchard se rendre à la ferme et porter sur sa charrette deux armoires qu’il avait achetées au pont Gareau.
Bien sûr répondirent en substance les autres. À plusieurs reprises, Michel a demandé à Blanchard de lui montrer l’endroit où se trouvait la grosse pierre carrée sous laquelle il avait déniché les deux pots. À cela, le métayer répondait qu’il n’avait qu’à bien la chercher lui-même.
L’assurance du trésor établie, il ne restait plus dès lors aux autorités locales qu’à faire avouer Blanchard. Hélas pour eux, et ce malgré plusieurs interrogatoires, jamais la fermeté du journalier ni celle de sa femme ne purent être pris en défaut.

Alors, de quelle origine était le trésor décelé ? Etait-il constitué de pièces romaines ou wisigothiques ? Etait-ce un dépôt de guerre oublié lors de la guerre de Cent ans ? Mystère.
Seule certitude, si le trou de la découverte s’est manifestement refermé sur le temps, les pièces quant à elles ne sont jamais réapparues au grand jour, laissant en cela la porte de l’espoir grande ouverte sur une possible réapparition, bien sûr toute aussi inopinée.

Brèves Lauragaises Le saviez-vous ….

… Que tout près de Revel, les gestionnaires du lac de Saint-Ferréol avait acquis dans les années 30 un scaphandre afin de pouvoir ôter tout objet susceptible de boucher une porte d’écluse. Ledit scaphandre n’aura servi en fait qu’une fois, le jour où une gente dame laissa choir dans les eaux son sac à main et les bijoux qui s’y trouvaient.

La bonne et unique pioche du scaphandrier de Saint Ferréol : un sac à main
La bonne et unique pioche du scaphandrier de Saint Ferréol : un sac à main

... Que selon la charte de Revel, tout homme qui corrige sa femme ou quelqu’un de sa famille ne paiera rien pourvu qu’il n’attente pas à leur vie... et qu’en cas d’adultère dûment constaté en flagrant délit, le (ou la) coupable se devra, au choix, soit de payer une amende ou de courir tout nu à travers la ville.
À signaler de plus que tout boulanger qui gagnera un peu trop d’argent eu égard au coût fixé au préalable aura son pain confisqué et distribué aux pauvres par les consuls.

… Qu’un jour, le revélois et futur Président de la République Vincent Auriol parcourait la campagne en vélo en compagnie du futur maire de Toulouse Albert Bedouce lorsqu’ils furent accueillis dans une ferme par un agriculteur qui, les voyant arriver dans sa cour, se mit à hurler à sa femme : Tampo las poulos, les socialos arriboun (enferme les poules, les socialistes arrivent).

… Qu’un jour de l’automne 1946, le restaurant du “Lion d’or”, à Caraman, reçut à l’une de ses tables les maires des communes de Beauville, du Vaux, et de Saint-Julia ainsi qu’un certain Vincent Auriol, alors Président de la seconde assemblée constituante :
- Et pourquoi ne serais-tu pas candidat à la future élection présidentielle, lui demandèrent en fin de repas les édiles locaux ?
- Tiens, pourquoi pas, répondit-il, je vais en parler à quelques amis du parti.
À peine quelques mois plus tard, le 16 janvier 1947, Vincent Auriol était élu président de la République. À quoi tient parfois le destin ?

… Qu’il me fut rapporté que la commune lauragaise du Faget voyait au début du XXème siècle fleurir sur son marché de multiples pantalons rouges. Pourquoi ? Eh bien figurez-vous que l’un des plus grands propriétaires fonciers du lieu, qui par ailleurs avait le droit de posséder jusqu’à 99 « bordes », avait expressément demandé à tous ses régisseurs de s’habiller ainsi. La raison ? Mais pour que ces « cauços rouges » lui permettent de surveiller au mieux ses employés lors de leurs transactions bien sûr.

... Que dans les années 30, le ministère de l’Air avait clairement envisagé que le lac revélois de Saint-Ferréol était l’endroit idéal pour les escales de ce nouveau mode de transport qu’était l’hydravion. Se posaient ainsi sur ce plan d’eau quelques jeunes et fougueux pilotes qui, as-surant la ligne Bordeaux-Marseille, étaient ravis de profiter le jour de quelques restaurants locaux pas toujours pleins et la nuit de quelques chambres d’hôtels...pas toujours vides.

Les éponges de la victoire
- Quand même, quand je vous dis que l’Histoire, ce n’est finalement jamais que des histoires ! Avouons-le, nous l’avons tous appris : c’est vers Poitiers, et en octobre de l’an 732, que Charles Martel a arrêté l’invasion sarrazine. Et pourtant, que cela est faux ou du moins bien inexact.
Poitiers, ou du moins Moussais la bataille pour être précis ! Car bien sûr que le site existe, et que des escarmouches s’y sont réellement déroulées entre les troupes franques et les guerriers berbères, mais qui sait aujourd’hui, par delà l’enseignement des historiens jacobins, que la seule bataille digne de ce nom, la seule à avoir véritablement freiné l’avancée sarrazine et la seule d’ailleurs à être mentionnée par les historiens d’Afrique du Nord, fut bien celle de Toulouse en 721.
C’est en effet cinq ans plus tôt que les troupes maures, essentiellement d’origine berbère mais commandées par des arabes, venaient de passer les Pyrénées après avoir traversé l’Espagne wisigothique avec dit-on la complicité de ses habitants. Implantés du Languedoc actuel aux Pyrénées sous la direction de leur gouverneur Al-Samh ibn Malik al-khawlani et de leur général Zama, ceux-ci n’eurent dès lors de cesse que de ravager ce riche pays verdoyant sous prétexte de djihad, s’emparant de Narbonne en 719 après voir pillé Avignon et bien d’autres citées.

La bataille de Poitiers : tableau de Charles de Steuben
La bataille de Poitiers : tableau de Charles de Steuben

Et le roi de France, me direz-vous ? Difficile à s’y reconnaître en vérité, en ces temps mérovingiens où le roi de Neustrie (Pays de la Loire et Meuse) et de Bourgogne s’opposait régulièrement à son homologue d’Austrasie (Région de Metz) et où schématiquement le grand Sud se voyait être sous la coupe du puissant duc d’Aquitaine : Eudes. Ainsi, au gré des alliances multiples et interchangeables, tous ces royau-mes ne cessaient de se combattre sous la direction de leurs véritables maîtres, les maires du palais, jusqu’à ce que l’un d’entre eux, prénommé Charles, fils de Pépin le Jeune et plus tard surnommé « Martel », ne réunifie Austrasie et Neustrie pour devenir de fait le seul régent d’un pays où le roi franc Chilperic II n’était plus dès lors entre ses mains qu’un gouvernant potiche.

Ainsi donc, en 720, Eudes et Charles Martel viennent de signer un traité de paix lorsqu’un an plus tard, le général Zama, fort de ses succès en Narbonnaise et de ses razzias en Lauragais ou en secteur pré-pyrénéen, décide de mettre le siège devant Toulouse.
Pour Eudes bien sûr, pas question de laisser les maures s’emparer de sa ville. Aussi fait-il appel à son nouvel allié Martel qui, cependant trop heureux de voir affaiblir son ancien et futur rival, va laisser sans suite toutes ses demandes d’assistance. Et c’est donc seul, en ce 9 juin 721, et simplement soutenu de mercenaires basques, qu’Eudes décide d’attaquer les innombrables forces sarrazines massées autour de Toulouse.
Eudes n’a pas le soutien de Martel, mais il a celui de la papauté. Que lui faut-il donc faute de combattants ? Un miracle ? Celui-ci va venir d’éponges magiques. Elles sont trois, trois éponges qui, servant à la table du souverain pontife, viennent de lui être envoyées par ce dernier. Que faire alors si ce n’est les découper en myriades de petits morceaux et les faire ainsi distribuer à ses troupes ?
Le 9 juin au matin, le choc est terrible, mais les soldats d’Eudes sublimés. Face à eux pourtant, l’armée maure, composée tout de même de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, est au complet. Bien sûr, les chevaux arabes sont véloces et les combattants innombrables, mais l’effet de surprise et surtout la sainte détermination des troupes locales vont être telles que de tous côtés, dans chaque bataillon, dans chaque tente arabe, la déroute va y être rapidement totale. Zama, leur général, est blessé, Al-Samh ibnMalik al-khawlani tué, et le repli vers Narbonne aussitôt engagé sous l’égide d’abdorraman. Partout, tout au long des chemins de fuite, les combats et les multiples harcèlements des soldats d’Eudes ne vont cesser de parapher la gigantesque victoire qui est leur. Sur des kilomètres, les morts et les cris sont partout, de chaque côtés des voies, dans chaque fossé, tout au long de ce qui va être une véritable chaussée des martyrs. En un mot, le triomphe est total et d’autant plus retentissant que c’est bien la première fois qu’une puissante armée arabe se voit ainsi taillée en pièces.

La bataille gagnée, un mystère demeure pourtant toujours entier : où se sont véritablement situés les combats ? Dans l’axe de Narbonne, où effectivement la découverte vers Castanet en 1874 d’un squelette de cheval harnaché avec son cavalier semble situer un lieu de combat ou du moins un axe de fuite ? Vers Martres-Tolosane, où Vidian et ses compagnons auraient combattu avant que ce futur saint ne soit tué, laissant ainsi au nom de Martres le soin de se rapprocher bien singulièrement du terme de “martyr” ?

Mystère donc, même si l’effectivité de la victoire ne semble devoir être remise en cause, tant les musulmans vont être marqués par cette défaite. Ainsi, plusieurs siècles plus tard, les célébrations à la mémoire des 3750 guerriers tombés à Balat al-Shuhada (la chaussée des martyrs) seront toujours marquées d’un souvenir bien plus acide que celui de Poitiers, lui aussi parfois associé à cette chaussée maudite. D’ailleurs, et ce contrairement à leurs homologues occidentaux, ce sont les chroniqueurs arabes eux-mêmes qui considèreront la défaite de Toulouse comme le véritable coup d’arrêt de la déferlante islamiste sur l’Europe occidentale.
Bien sûr, le retrait de la présence musulmane ne va pas être total, entraînant même quatre ans plus tard les prises de Carcassonne et de Nîmes avant qu’en 732 une nouvelle poussée islamiste, expérience oblige, n’évite de s’en prendre à la grande région toulousaine pour plutôt se diriger vers Auch, Dax ou Aire sur Adour et remonter ensuite vers Bordeaux puis Poitiers afin d’y poursuivre des razzias au détriment des riches abbayes. Et si effectivement, escarmouches il y eut dans le secteur de Moussais, force est de constater que ce qui est resté ancré dans les mémoires ne fut véritablement qu’un raid annihilé, les difficultés internes des forces maures et la défaite toulousaine les orientant davantage vers ce type d’action plutôt que vers une véritable politique de conquête et une méthode structurée de bataille rangée.

Mais alors me direz-vous ? Pourquoi l’histoire a-t-elle retenu Poitiers et non Toulouse ? Disons que vainqueur à Toulouse, Eudes, écrasé plus tard à Bordeaux, n’eut d’autre choix que d’appeler Charles à la rescousse, offrant à ce dernier l’occasion tant attendue d’étendre son pouvoir vers le Sud et d’y gagner par ses frappes son surnom de “Martel”. Or, nous ne le savons que trop, l’histoire est souvent faite par les vainqueurs, et en ce temps où le pouvoir mérovingien agonisait, les carolingiens prirent manifestement appui sur un engagement somme toute banal pour amplifier le leur, grâce à la victoire de leurs troupes chrétiennes sur le monde musulman ; amplification qui ne sera par ailleurs véritablement effective toutefois qu’au XIème siècle, période où l’opposition entre les deux civilisations atteindra son paroxysme.

Et surtout, ne nous mélangeons pas…  les transports en Haute-Garonne au début du XXème siècle… étonnante photo qui n’est plus d’actualité dans nos transports en commun actuels
Et surtout, ne nous mélangeons pas… les transports en Haute-Garonne au début du XXème siècle…
étonnante photo qui n’est plus d’actualité dans nos transports en commun actuels

Et puis, et l’exemple n’est pas unique, quand on veut annexer une terre, autant commencer par la priver de ses substances ; et manifestement, l’Histoire en est une.

Patrick Caujolle

“Les nouveaux mystères de Haute Garonne” Editions De Borée


Couleur Lauragais n°127- Novembre 2010