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Couleur Lauragais : les journaux

Peinture & Poésie

Le grand bassin de Castelnaudary

Le port du canal de Castelnaudary
Le port du Canal
huile sur toile - 63 x 52 - 2003

Sieste

Au pied de la colline où s’agrippe la ville,
Bon vieux matou lové, contre les quais gros dos,
Tu paraîs endormi ; entre tes pattes, une île,
Grand bassin du canal qui rêve entre deux flots.

A te voir sommeillant, tes voisins s’enhardissent,
Au plus bas des talus, débauchés, les platanes
Entre murs et clochers que la lumière lisse
Viennent pour s’allonger sur ta surface, et planent.


Dans le mouvant damier de pierres et de briques,
Tête avant, plein milieu, Saint-Michel, droit, se pique
Et le ciel tout entier qui n’était point si haut
Fait reposer son ventre à la fleur de ta peau.

Sais-tu que tu grandis dès lors que tu reposes.
Ourlé de quais haussés des reflets qu’ils dupliquent,
Tu magnifies les lieux et les métamorphoses
Lorsqu’à tes pieds chacun vient poser sa réplique.

Grand bassin du Canal
Grand bassin du Canal

Huile - 92 x 65 - 2005

 

Péniche
Péniche
huile sur bois - 48 x 33 - 1997

Frissons

J’aime le vent taquin lorsqu’il vient et s’amuse
A mêler toits rougis et pierres des clochers,
Coquelicots bercés sur matelas de blé,
Bassin du vieux canal où boivent les écluses.

Un éthéré pinceau couche entre les deux rives
Une œuvre de couleur et, sans fin, fugitive,
Toile d’abstrait au vent, au soleil pâte épaisse,
Grand bassin du canal, vieux peintre qui paresse.

Tu signes un Seurat lorsque le jour s’éclate
En pétales de feu sur ta face moirée
Et que du fond de toi le ciel semble monter
Mêlant au pur azur des touches d’écarlate.

Puis quand le ciel chagrin retient le jour en cage,
Patineuse ouatée, la nuée tombe et boit,
Ballet des gris muet qui sur ton dos tournoie,
Vieux bassin du canal où trempent les nuages.

 

Émois

Lorsque le cers mutin palpite au cœur des feuilles
Pour jouer du pipeau en caressant ton dos,
Tu frissonnes, gourmand, et, ronronnant accueilles
Le froid refrain du nord que te joue le vieux beau.

Prêt à sauter les quais pour partir en goguette,
Tu cours en chaloupant vers le charmeur coquin,
Et ton dos qui se crêpe en pluie de vaguelettes
Se trémousse et sautille en tendant les deux mains

Les bords du Canal
Sur les bords du Canal
Huile sur toile - 51 x 66 - 1955

blanchisserie
Blanchisserie du grand bassin
huile sur toile - 61 x 50 - 200


Coupe d’Asti fumant, ridé à pleine échine,
Ondulant, stridulant, tu surfes sous replis
Et deviens ce rosier que drapent des épines
Gardiennes du secret en ton cœur enfoui.

Chaque vague bondit et court sur ta poitrine,
Pour prendre élan plus bas où jaillit la voisine,
En tango de grisé, sombre aux creux, clair en haut,
Vieux bassin du canal où tanguent les bateaux.

 

Passion

Grand bassin assoupi où s’endort le canal
L’autan guerrier souvent chasse le vent du Nord,
Et Te change aussitôt sous son souffle infernal
En océan furieux qu’emprisonnent ses bords.

Pressé de fuir la mer, en poche une tempête,
Ce sculpteur endiablé te boute à gros buttoirs
Hérisse des statues et puis les laisse choir
Sur ton dos pénitent qu’avec rage tu fouettes.

Tu n’es plus que fureur, ressauts et tourbillons,
Fusion de bronze igné qui cuit à gros bouillons
Contre les quais glacés, comme d’effroi figés,
Qui sous la pierre humide se mettent à pleurer.

Le chat s’est fait lion en crinière rebelle,
Haine, colère, et peur, déferlante confuse
Qui redouble d’ardeur autour de la « Cybèle »,
Grand bassin du canal où tremblent les écluses.

Les allées Riquet à castelnaudary
Les allées Riquet vues depuis le pont
Huile - 50 x 64 - 2003

 

Le grand bassin de Castelnaudary
Le grand bassin
Huile sur bois - 78 x 105 - 2003

Sagesse

Je t’aime bien bassin en ta changeante humeur,
J’aime ton calme vert et tes léthargies grises,
Tes frissons de désir, tes accès de fureur,
Tes combats dans le vent et tes flirts dans la brise.

Comme un être vivant, ton visage est une âme
Qui s’ouvre à pleins poumons quand le cœur est serein
Et referme les yeux sur son miroir éteint
Lorsque arrive l’émoi ou que le cœur s’enflamme.

Et c’est tantôt le ciel qui s’étale sur toi,
Et tantôt le soleil qui croit sortir de toi,
Et c’est tantôt l’azur, et c’est tantôt le plomb,
Si bien que l’œil aimant ne voit jamais ton fond.

Grand bassin du canal où boivent les écluses,
Fidèle à la cité au mépris des grands vents,
Tu relies l’aujourd’hui à la chaîne des temps,
Sous les yeux des passants qui sur tes rives musent.

Robert Cavaillès - 2005

Extrait de «le vieux cahier», recueil de poèmes et catalogue d’art plastique.

 

Couleur Lauragais N°94 - Juillet/Août 2007