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Couleur Lauragais : les journaux

Le lac de Lenclas et la rigole du canal du midi

Au milieu des champs, au pied de l'éperon qui porte la charmante bourgade de Saint-Félix-de-Lauragais, il est un petit lac artificiel, fréquenté par les pêcheurs et les promeneurs, qui apprécient son cadre agreste et paisible. La présence d'un vaste parking rend son accès facile, et un bar-restaurant ajoute à l'agrément du lieu. Une retenue d'eau a été aménagée en 1968 sur le Fresquel de St-Félix, à l'intérieur d'une boucle de la rigole du canal du Midi qui croise là ce qui n'est encore qu'un modeste ruisseau.

L’écluse d’En-Cassan se situe à 2848 mètres de l’écluse de Renneville et à 1560 mètres de l’écluse d’Emborrel sur la commune d’Avignonet Lauragais
Le chemin de service, qui longe la rigole de bout en bout,
permet de faire sans fatigue de belles petites promenades
à l'ombre des arbres - crédit photo : Couleur Média
Le chemin de service, qui longe la rigole de bout en bout, permet de faire sans fatigue de belles petites promenades à l'ombre des arbres qui la bordent, dans le murmure de son eau vive.

Entre la Montagne Noire et Naurouze, la rigole franchit un seuil
A Lenclas nous sommes tout près du seuil de Graissens. Cet endroit est méconnu du grand public, mais il a eu une importance capitale dans l'élaboration du projet de Riquet. C'est en effet, le premier point de partage qu'il envisagea lorsqu'il commença à étudier sérieusement un projet de canal. De fait, initialement, il pensait relier l'Aude à la Garonne à travers le Fresquel et l'Agout et non pas à travers le Fresquel et l'Hers-mort comme il le fera finalement.
Un seuil géographique est par définition un point bas sur une ligne de partage des eaux. Celui de Graissens sépare le versant atlantique, au nord, du versant méditerranéen, au sud. Riquet le décrit très précisément dans le courrier qu'il adresse à Colbert le 15 novembre 1662. Voici le passage concerné :
«Entre la plaine de Revel, [et] la cité de Castelnaudary, appelée les Pontils, se trouve un vallon qui fait une petite plaine tout au-dessous de St-Félix-de-Caraman, et auprès d'un lieu nommé Graissens, on voit en hiver une naissance d'eau qui se partage également à sa sortie et coule des deux côtés, lentement et sans précipitation, l'un desquels fait le commencement d'un ruisseau nommé le Cieuré, lequel entre à mille pas de là dans un autre ruisseau nommé Laudot, lequel ruisseau de Laudot entre à même espace dans une rivière nommée Sor qui entre dans celle d'Agout au lieu de Sémalens distant [de] cinq lieues de la dite naissance d'eau que j'appelle avec raison le point de partage, car il l'est effectivement puisque les eaux, à même qu'elles naissent, se partagent des deux côtés de leur propre naturel et sans contrainte, et se rendent par des sentiers différents dans deux mers bien éloignées l'une de l'autre.»
Si ce seuil de Graissens a attiré l'attention de Riquet c'est à cause de sa proximité immédiate de la Montagne Noire, une situation qui donnait toutes les facilités pour l'alimenter avec les eaux de ce massif. On peut dire que sans Graissens, il n'y aurait pas eu de canal. Voici comment Riquet parle du problème dans son courrier :
«Mais ce qui me semble de plus important est d'avoir d'eau à suffisance pour le remplir et de la conduire à l'endroit même où est le dit point de partage, ce qui se peut aussi faire avec facilité prenant la dite rivière de Sor près [de] la ville de Revel, distante d'une lieue et demi du dit point de partage, qu'on conduira par pente naturelle puisqu'il se trouve neuf toises de descente depuis le dit Revel jusques au dit partage, et que le pays est uni et sans éminence. Il est encore aisé de conduire le ruisseau appelé de Lampy dans le lit de la dite rivière de Revel distant d'environ quinze cent pas l'un de l'autre. Et il est pareillement facile de mettre dans le dit Lampy un autre ruisseau appelé d'Alzau distant d'environ trois quart de lieue, et par conséquent plusieurs autres eaux qui se rencontrent dans cette conduite. De sorte que jointes ensemble, étant, comme elles sont toutes, souvent vives et de durée, elles formeront une grosse rivière qui, menée au point de partage, rendra le canal suffisamment rempli des deux côtés pendant toute l'année et jusques à six pieds de hauteur sur neuf toises de large.»
Dans ces deux passages, on a, condensé, la base de la réussite du projet de Riquet.
Si, par la suite, Graissens fut abandonné comme point de partage au profit de Naurouze, qui est mieux placé sur la route vers Toulouse, et qui est facilement joignable depuis Graissens, ce seuil n'en restera pas moins un point de passage obligé pour la rigole alimentaire, et toute la section d'ici jusqu'à Naurouze fut tracée dès la rigole d'essai de l'été 1665.

Carte
Le système alimentaire du canal du Midi
Si depuis Naurouze, (altitude 191 m), nous remontons en direction des sources du système d'alimentation du canal, nous trouvons pour commencer une branche unique, un tronc commun long de 27 km, qui court d'abord sur le versant méditerranéen, longeant les premières cuestas du Lauragais occidental, avant de passer, au seuil de Graissens (210 m), sur le versant atlantique, au pied du revers septentrional de la Montagne Noire. A l'extrémité de ce tronc commun, elle rencontre la rivière de Laudot à l'endroit nommé Les Thoumasses (218 m). En ce lieu, la rigole collecte les eaux arrivant de deux directions : d'une part celles du Laudot, d'autre part celles d'une autre rigole qui aboutit à cet endroit. Celle-ci, dite « rigole de la plaine », longue de 12 km, amène ici les eaux prélevées dans le Sor au lieu-dit Pont-Crouzet (245 m). Le Laudot n'était à l'origine qu'un modeste ruisseau au débit bien moindre qu'actuellement. Son principal intérêt est de sortir de la montagne au voisinage de Graissens. Cependant la morphologie de son bassin versant a permis à Riquet d'y créer un réservoir de grande dimension en établissant un barrage dans un rétrécissement du vallon, à Saint-Ferréol. Ce Laudot prend sa source vers 600 m d'altitude, sous le village des Cammazes. A cet endroit, une autre rigole, dite « rigole de la montagne », déverse dans son lit les eaux qu'elle a collectées sur le flanc sud du massif.

aqueduc à Besombes
Vue d'amont de l'aqueduc ferroviaire au lieu dit Besombes. Il fait passer la rigole de la Plaine et deux chemins
sur la ligne de chemin de fer reliant Castelnaudary à Castres - crédit photo : Gérard Crevon

En allant vers la Montagne Noire depuis Lenclas : une promenade paisible et surprenante
Je vous convie à découvrir cet endroit stratégique que constitue le seuil de Graissens en faisant une promenade le long de la rigole. Partons en remontant le courant, en direction de Revel. Pour l'instant nous constatons que les terrains situés sur la rive opposée sont plus hauts que ceux situés sur notre rive. Au bout de 400 m nous sommes surpris de trouver une curieuse construction bâtie sur une large et profonde tranchée. Il s'agit d'un aqueduc (pont-canal) permettant à la rigole de franchir la voie-ferrée de Castelnaudary à Castres qui passe au-dessous. Cet ouvrage fut construit vers 1865 par les Chemins de Fer du Midi. Poursuivant notre chemin nous constatons que les deux rives de la rigole deviennent insensiblement de même niveau. 400 m après le passage sur le chemin de fer, nous sommes au seuil de Graissens. L'église qui a donné son nom à cet endroit particulier dresse son clocher à 500 m au sud. En continuant le long de la rigole nous constatons que ce sont maintenant les terrains de notre rive qui sont plus hauts que ceux de la rive opposée, nous avons changé de bassin versant, passant du méditerranéen à l'atlantique. Si vous disposez d'un peu de temps, il vaut la peine d'aller un peu plus loin pour admirer le joli pont de Cailhavel, 700 m au-delà de la ferme de l'Encountié. C'est un ouvrage en dos d'âne typique de l'époque de Riquet et pratiquement resté dans son état initial. Il voisine un abreuvoir aménagé pour les besoins du bétail du quartier.

Les deux rives de la rigole deviennent insensiblement de même niveau. 400 m après le passage sur le chemin de fer, nous sommes au seuil de Graissens Les deux rives de la rigole deviennent insensiblement de même niveau. 400 m après le passage sur le chemin de fer, nous sommes au seuil de Graissens
Les deux rives de la rigole deviennent insensiblement de même niveau. 400 m après le passage sur le chemin de fer,
nous sommes au seuil de Graissens - crédit photo : Gérard Crevon

Les plus courageux peuvent poursuivre pendant 4 km supplémentaires jusqu'au poste des Thoumasses. Comme on l'a vu, à cet endroit, la rigole de la plaine arrivant de Revel, reçoit les eaux du Laudot qui ont été grossies aux Cammazes par celles de la rigole de la montagne, et ont été stockées dans la retenue de St-Ferréol. Cet ouvrage des Thoumasses a une fonction de régulation capitale : il permet de se prémunir contre les effets néfastes des crues en rétablissant momentanément le cours ordinaire du Laudot, c'est à dire en permettant à ses eaux de poursuivre leur chemin vers l'aval dans leur lit naturel, lequel les amène dans le Sor, l'Agout, le Tarn. En effet les crues ont d'une part des effets mécaniques souvent dévastateurs, et d'autre part des effets sédimentaires aussi importants par toutes les boues et les sables transportés à ce moment-là. Sans cette précaution, l'ensablement du canal serait énorme. Ce fut d'ailleurs l'une des causes principales du comblement rapide du grand bassin de Naurouze. Jusqu'aux dernières lois sur l'environnement, ce dispositif était aussi utilisé lorsqu'on procède (tous les dix ans environ) à la vidange et au « nettoyage » du bassin de St-Ferréol. A la fin de l'opération on purgeait ce réservoir de toutes les vases qui se sont accumulées au fond pendant la décennie précédente en ouvrant la vanne de fond. Grâce au poste des Thoumasses on empêchait tous ces sédiments d'aller se déposer dans le canal. Pour remplir sa fonction, l'ouvrage est constitué d'une double porte (demi-écluse) dont le rôle est d'isoler la partie aval de la rigole ; d'un déversoir à deux arches ; et enfin d'un épanchoir de fond à trois vannes qui tous deux rejettent les eaux dans le lit naturel du Laudot. Les ouvrages actuels datent de 1749.

En aval de Lenclas, d'autres surprises et un site « cathare ».
Une deuxième promenade est intéressante à faire au départ de Lenclas. Partant en sens inverse, en direction de Naurouze, on commence par faire les 3/4 du tour du lac. Sur cette section le chemin de service est « coincé » entre le plan d'eau et la rigole. A 400 m du parking on rencontre un nouvel ouvrage surprenant : une espèce de pont en béton qui fait passer un ruisseau par-dessus la rigole pour le déverser ensuite dans le lac. Il s'agit de l'aqueduc aérien du Fresquel-de-St-Félix, qui fut autrefois en bois. Avant qu'on mette cet ouvrage en place le ruisseau se déversait dans la rigole à travers une cale (bassin de décantation) et un déversoir (XVIIIe siècle) qui avaient été aménagés à cet effet et qui sont toujours bien visibles. Un peu plus loin sur notre trajet nous trouverons encore quatre petits aqueducs au voisinage des fermes de La Martinié, Peyrilié, La Barraque et La Pouzaque, mais cette fois souterrains, construits tardivement (1831-32) conformément aux anciennes préconisations de Vauban (1686), de manière que les ruisseaux descendant des collines ne se déversent plus dans la rigole et n'y déposent plus les sables et les boues qui causaient des désordres dans la circulation de l'eau.

Aqueduc du Fresquel
L'aqueduc aérien du Fresquel-de-St-Félix était autrefois en bois - crédit photo : Gérard Crevon

Poste des Thoumasses
Grâce au poste des Thoumasses on empêchait tous les sédiments d'aller se déposer dans le canal - crédit photo : Gérard Crevon

Après avoir parcouru 2 km depuis le parking, nous constatons que la rigole s'encaisse progressivement. Une profonde tranchée lui donne passage à travers un large collet, grâce à quoi le tour de l'éminence qui porte la métairie de la Pouzaque est évité. Riquet appela cette tranchée, longue de 300 m, le « grand travail » des Cassès car la nature rocheuse du sous-sol donna du fil à retordre à ses terrassiers. Le pont de la Pouzaque est au sortir de cette tranchée, il permet de rejoindre le village des Cassès. Si nous avons encore un peu de courage, nos efforts seront récompensés par la jouissance d'un magnifique panorama et la visite d'un site historique. Empruntant tout d'abord sur 150 m la route bitumée qui mène aux Cassès, nous prenons ensuite sur notre gauche un chemin charretier qui, par une grimpette de 65 m de dénivellation, nous mène au « fort » des Cassès. Il s'agit de l'emplacement de l'ancien castrum (village fortifié) du même nom. L'actuelle agglomération, à 700 m au nord-ouest, ne date que du XIVe siècle, le castrum ayant été définitivement abandonné au XVIIe siècle. Le panorama sur la rigole qui coule à nos pieds, sur la Montagne Noire, sur la plaine de Revel et Castres, et sur celle de Castelnaudary, ainsi que, par temps clair, sur les Pyrénées, est remarquable. En outre, nous sommes là sur un site historique de la croisade contre les Albigeois. Le bourg fut pris en 1211 par Simon de Monfort et 60 parfaits cathares, qui y furent pris, y furent brûlés vifs, ce que commémore un petit monument. L'endroit se prête parfaitement à un pique-nique. S'il vous reste encore un peu d'énergie, allez donc jusqu'au bourg où vous pourrez admirer une petite collection de stèles discoïdales disposées contre le mur de l'église.

Stéle discoïdale
Stèle discoïdale adossé au mur de l'église des Cassès - crédit photo : Michel Azens

Voilà donc un secteur d'apparence modeste où passer néanmoins quelques moments agréables et instructifs. Si l'on est cycliste, on peut aussi le rejoindre depuis Naurouze en suivant la rigole, ou encore depuis Revel.

Gérard Crevon


Couleur Lauragais n°202 - Mai 2018