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Couleur Lauragais : les journaux

La vidange du lac de Saint Ferréol en 2016-2017.

C'est un spectacle bien insolite que celui dont ont pu jouir depuis l'automne de l'an dernier jusqu'à ce printemps les curieux qui sont allés à St-Ferréol au cours de cette période. Chaque été, nous voyons le niveau du lac baisser petit à petit, et apparaissent alors, surtout si l'été est sec, quelques détails habituellement submergés. Mais cette fois-ci le fond du lac s'est découvert complètement et des éléments généralement ignorés du public nous ont été révélés.

vidnage lac de saint ferréol - septembre 2016

Périodiquement, tous les dix ans en principe, le gestionnaire du Canal du Midi, les Voies Navigables de France, vide la retenue de Saint-Ferréol. Cette vidange « décennale » permet d'examiner l'état des maçonneries des murs et des galeries, celui des vannes, d'évacuer les boues et les dépôts qui se sont formés devant le mur d'amont et dans les galeries inondées, et de procéder à l'entretien, aux réparations et aux modernisations éventuelles des installations techniques. La dernière de ces vidanges remontait au dernier trimestre de 2004.

Ce genre d'évènement permet de mieux appréhender les détails de la conception de cet édifice exceptionnel, avant-gardiste à son époque. L'audace et le génie technique de Riquet y apparaissent clairement.
On distingue aussi très bien les modifications que ses continuateurs ont apportées à l'ouvrage dans le siècle qui suivit. Mis à part quelques installations ajoutées au milieu du XIXème siècle ou modernisées récemment, le barrage que nous avons aujourd'hui devant nos yeux a sensiblement gardé l'aspect qu'il avait vingt ans avant la Révolution Française. Belle preuve de la valeur de l'œuvre de Riquet et de ses successeurs immédiats !

reconstitution barrage
Fig. a : Coupes longitudinales du barrage suivant les galeries. En haut : état du barrage tel que réalisé par Riquet.
En bas : état du barrage avant la révolution. D'après Michel Adgé (Cahier de l'Histoire, Revel, 2001), modifié par mes soins.

La photo n° 1 a été prise le 6 octobre 2016, depuis la rive sud du lac. L'aire occupée par celui-ci s'est déjà considérablement réduite et dessine à son extrémité une espèce de baie au milieu de laquelle émerge un curieux cône de pierre. On l'appelle « la pyramide ». Derrière se dresse la digue ou mur central du barrage, gris clair dans sa partie basse, gris foncé dans sa partie haute. Au point de vue historique, cette distinction est importante : le bas est dû à Riquet, il est simplement crépi, le haut présente un parement de pierre de taille, il est dû à Vauban. Commencée en 1667 (cela fait juste 350 ans cette année), la construction du grand mur fut suspendue en 1675 à la hauteur de 31,8 m. Riquet avait prévu de lui donner une élévation plus importante, mais, faute de financement, il s'arrêta là. C'est Vauban qui, 13 ans plus tard, en ordonna l'achèvement, et on suréleva alors ce mur de 6,2 m. D'après la photo, le site du lac semble une espèce de plaine, de cuvette très ouverte.

l'avion Farman Goliath
Rive Sud - Lac de St Ferréol - octobre 2016 - crédit photo : Couleur Média

Deux semaines plus tard (photo n° 2 prise le 20 octobre depuis la rive nord du lac), la pyramide est totalement émergée et on voit apparaître à ses pieds le sommet d'un mur épais.
Maintenant on constate que le fond du lac n'est pas plat, mais que ce plateau a été entaillé par une petite vallée aux flancs raides.
De fait, le barrage de St-Ferréol est constitué de trois murs qui barrent ce vallon à son endroit le plus profond. Et, pour assurer la solidité de l'ouvrage, les intervalles entre ces murs ont été comblés avec un mélange de terre, de gravats et de roches pour former un grand talus. Il s'agit d'un barrage-masse. Le mur sur lequel est posée la pyramide en est le mur d'amont. La digue en est le mur central. C'est le plus haut et le plus épais. L'espace entre les deux, dans le prolongement du vallon, n'est qu'un remblayage artificiel. Cela représente un travail énorme. Mais bien plus énorme encore est le remblayage entre la digue et le troisième mur, celui d'aval. Pour voir ce dernier il faut aller de l'autre côté de la digue et, passant devant le Musée du Canal (à visiter absolument), descendre dans le parc jusqu'à la gerbe. Là on observe la forme réelle du vallon initial. Le ruisseau qui l'a creusé, le Laudot, coule encore au fond, alimenté par les eaux que les diverses vannes du barrage laissent passer. Dans ce mur d'aval, deux ouvertures donnent accès à des galeries. Le Laudot sort de la plus basse.

Rive nord - lac de Saint Ferréol - octobre 2016
Rive nord - lac de Saint Ferréol - octobre 2016 - Crédit photo : Couleur Média

Trois jours après (photos n°3 et 4), les eaux ayant encore baissé, on voit apparaître en avant du premier mur une espèce d'édicule presque carré avec des escaliers sur les côtés. On l'appelle «le tambour».
Ce jour-là on procédait à la pêche : avant de vider complètement le lac il fallait sauver le poisson qu'il contenait. C'est la fédération des pêcheurs qui s'en est chargée. Un filet d'une centaine de mètres est lancé dans l'eau puis ramené au bord. Les poissons sont pêchés à l'épuisette, les plus gros à la main, et transférés dans des bacs. Une grue soulève ces bacs et les met dans un pick up. Plus de 10 tonnes de poissons blancs et les carnassiers sont allés peupler le Canal du midi avant d'être progressivement réintroduits de mars à l'automne, sauf les carpes qui ont été définitivement transférées dans le lac du Four de Louge à Muret.


reconstitution tambour
Reconstitution de l'aspect que devait présenter le «tambour» du barrage de St-Ferréol du temps ce Riquet

preparation peche
peche carpe

Les plans joints (fig. b et c) permettent de mieux détailler l'édifice. La pyramide a été construite en 1769 pour pouvoir mesurer facilement la hauteur de l'eau dans le lac et connaître ainsi, grâce à des tables établies par des géomètres, le volume en réserve. C'est un pilier octogonal, formé de quatre sections de diamètre décroissant, dont chaque décrochement constitue un repère bien visible depuis la digue. Chacune des trois sections supérieures mesure 9 pieds (2,92 m), et le sommet de la pyramide est à 63 pieds (20,47 m) au-dessus du fond du lac.

Fig. b : extrait du plan 402-13, vers 1770, coupe, tambour et pyramide.
Fig. b : extrait du plan 402-13, vers 1770, coupe, tambour et pyramide.

Fig. c : extrait du plan 402-13, modifié par mes soins, reconstitution du tambour dans son état initial, tel que construit par Riquet.
Fig. c : extrait du plan 402-13, modifié par mes soins, reconstitution du tambour dans son état initial, tel que construit par Riquet.
Crédit dessins : Voies navigables de France, archives des canaux du Midi

Le «tambour» était à l'origine une sorte de tour qui formait une grosse excroissance con-tre le mur d'amont. Sur le mur avant de cette tour (du côté du lac) étaient disposés les robinets qui permettaient de soutirer l'eau lorsqu'on en avait besoin pour le canal. Au pied de ce mur, au niveau du lit ancien du Laudot, une vanne, dite «de fond», permet de vider le lac complètement. Son seuil constitue le niveau 0 de référence des eaux. On accédait aux robinets par une galerie qui prolongeait la galerie supérieure actuelle (on peut visiter celle-ci, demander au Musée) en traversant le grand mur. Sous les robinets, un puits vertical conduisait à la galerie d'écoulement des eaux, qui traverse, elle aussi, le grand mur. Peu après 1700, à cause d'infiltrations importantes dans cette partie de la galerie, les robinets furent déplacés à leur position actuelle sur le mur central. Celui-ci fut remanié : la galerie supérieure fut fermée de manière étanche ainsi que la galerie inférieure, où une vanne fut néanmoins laissée pour permettre les vidanges complètes. Le tambour fut décapité pour l'ouvrir sur le lac, et aménagé pour faciliter le passage de l'eau dans les deux tronçons de galerie subsistant en amont du grand mur, qui sont de ce fait inondés et servent, depuis lors, à conduire l'eau jusqu'aux robinets. Sur les photos, on distingue les modifications dont le tambour a été l'objet après 1700 : la partie qui contenait les robinets et qui surplombait le puits a été démolie, réduisant considérablement la hauteur de son mur avant, ses murs latéraux ont été aménagés en escalier. Contre son mur avant étaient disposés les mécanismes d'ouverture des vannes de base (d'origine) et médiane (créée peu après 1752). Un plateau en bois est installé au-dessus de la partie centrale, au-dessus du puits, pour faciliter la manœuvre de ces mécanismes.

La photo n° 5 a été prise le 15 décembre depuis la digue. La morphologie du secteur apparaît clairement : une espèce de plaine suspendue orientée est-ouest, dont l'extrémité occidentale a été profondément entaillée par le ruisseau du Laudot. A l'est, cette plaine nait de l'épanouissement de la haute vallée du Laudot arrivant des Cammazes, au sud elle s'appuie sur le versant septentrional de la Montagne Noire dont les crêtes culminent là vers 650 m, au nord elle est bordée par des pentes relativement accusées qui la relient à la plaine de Revel, et à l'ouest elle se termine sur une rupture de pente prononcée qui la raccorde à la basse vallée du Laudot (secteur de Vaudreuille). Dans sa partie nord, ce ressaut est constitué de granite, et celui-ci a été scié par le ruisseau du Laudot qui s'est ménagé là un défilé étroit et court. C'est ce site particulier qu'a choisi Riquet pour édifier son barrage, en appuyant les trois quarts méridionaux de son grand mur sur la crête de ce ressaut.

une espèce de plaine suspendue orientée est-ouest, dont l’extrémité occidentale a été profondément entaillée par le ruisseau du Laudot
Une espèce de plaine suspendue orientée est-ouest, dont l'extrémité occidentale
a été profondément entaillée par le ruisseau du Laudot - crédit photo : Gérard Crevon

Sur la photo on constate que tout le fond du vallon est rempli de boue. Au pied du tambour il y en a une épaisseur de 6 m. Ce sont les alluvions apportées par le Laudot depuis la dernière vidange complète il y a 22 ans. Auparavant, lors des vidanges totales on l'évacuait à l'aval du barrage en l'entraînant par écoulement naturel de l'eau dans le lit du ruisseau. Mais les nouvelles lois sur l'environnement interdisent maintenant cette pratique. Aussi, cette fois-ci s'est-on contenté d'une vidange partielle, on n'a pas ouvert la vanne de fond du tambour. La galerie inférieure était aussi très encombrée de boue. Celle-ci a été pompée et déversée dans une fosse existant au sud du barrage.

Enfin, vers la mi-février 2017, la réfection du crépi de la partie basse du grand mur étant achevée (la partie haute ayant un parement de pierre de taille n'en avait nul besoin), le nettoyage des galeries noyées et les inspections effectuées, on a refermé la vanne de bonde au pied du grand mur et le lac a commencé à se remplir. Vers la fin mars, le rempoissonnement a commencé. Cet été les vacanciers pourront à nouveau profiter de l'eau de la Montagne Noire.

Gérard Crevon

 



Couleur Lauragais n°193 - Juin 2017