L'exploit méconnu de l'aviateur Pierre de Saint-Roman. |
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Il y a 90 ans, le 5 mai 1927, un équipage français quitte le sol africain pour rallier le continent sud-américain par voie aérienne sans escale, exploit qui n'a encore jamais été réussi mais les heures et les jours passent et l'on est sans nouvelles… |
 L'avion Farman Goliath - crédit photo : collection Saint-Roman |
L'aéronautique dans les années 1920
Avec la fin de la guerre de 14-18, l'aviation jusque-là essentiellement militaire se reconvertit en aviation civile pour un transport plus rapide du courrier et des passagers.
A Toulouse, Pierre-Georges Latécoère crée une compagnie aérienne qui deviendra L'Aéropostale et il réalise des vols vers l'Afrique. En 1919, il atterrit à Rabat et remet au résident général de la France au Maroc, le général Lyautey, un exemplaire du journal Le Temps paru la veille à Paris et un bouquet de violettes cueillies à Toulouse.
C'est en 1923 que le Sahara est traversé pour la première fois en aéroplane par le capitaine Joseph Roig : depuis le Maroc il rejoint Dakar avec trois avions Bréguet XIV. Pour poursuivre en direction de l'Amérique du Sud, l'océan
Atlantique n'a encore jamais été franchi par voie aérienne et les navires les plus rapides mettent neuf jours à rallier le continent sud-américain.
La première traversée aérienne relève d'une incroyable épopée. Le 30 mars 1922, deux Portugais Coutinho et Cabral à bord d'un hydravion Fairey 400, le Lusitania, partent de Lisbonne, ils font escale aux Canaries, repartent et atteignent les îles du Cap-Vert. Ils reprennent l'air pour la grande traversée mais une panne les oblige à amerrir près des îlots de São Pedro et São Paulo. Un navire venu à leur secours les conduit jusqu'à l'île de Fernando de Noronha à 550 km de la côte brésilienne. Le Portugal dépêche alors un paquebot porteur d'un nouvel hydravion à bord duquel ils poursuivent leur voyage mais un nouvel incident les oblige à amerrir et un nouvel appareil est acheminé par un croiseur portugais. Il leur permet d'achever leur périple et ils atteignent le Brésil le 5 juin où ils reçoivent un accueil enthousiaste à la mesure de leur exploit. Certes la traversée de 6 000 km a été réussie mais en deux mois et elle a nécessité trois appareils.
Une autre traversée est réalisée par un équipage espagnol commandé par Ramon Franco (frère du général) avec un hydravion allemand baptisé Plus ultra (devise de l'Espagne). Ils quittent Palos au sud de l'Espagne le 22 janvier 1926, atteignent les Canaries, repartent le 26 et se posent aux îles du Cap-Vert, puis à l'île de Fernando de Noronha avant d'atteindre Recife le 31. La traversée a duré 60 heures et 3 escales ont été nécessaires. D'autres tentatives suivront mais toutes en plusieurs jours et au moins une escale.
Un jeune aviateur après sa démobilisation
Pierre de Serre de Saint-Roman, né le 23 décembre 1891 à Toul (Meurthe-et-Moselle), est le troisième des neuf enfants d'Émeric de Serre comte de Saint-Roman, commandant dans l'armée de terre, et de Pauline de Castelbajac ; elle est la grand-mère de l'Occitanienne dont parle Chateaubriand dans ses Mémoires d'Outre-tombe. A Toulouse, la famille habite l'hôtel Catel, 6 place Saint-Étienne, et se retrouve pendant les vacances d'été au château de Fourquevaux.
Après ses études à Toulouse, il est rappelé sous les drapeaux pendant la Première Guerre mondiale et sa conduite lui vaut la Croix de guerre avec cinq citations et la Légion d'honneur. Il obtient son brevet de pilote à Pau vers la fin de la guerre et après le conflit, travaille dans l'aéronautique à Bordeaux, puis en tant que directeur commercial dans les établissements d'aviation Descamps.
C'est alors que le capitaine Pierre de Saint-Roman demande un congé de trois ans pour se consacrer à la préparation d'un ambitieux projet.
 Pierre de Saint-Roman |
 Hervé Mouneyrès |
 Jules Petit |
Le Comité Paris-Amérique Latine
Nombreux sont les Français qui se sont établis en Amérique du Sud pour diverses raisons (religieuses, commerciales ou économiques) et Pierre de Saint-Roman a le projet d'établir des liens d'amitié avec eux en faisant une tournée en avion ponctuée d'escales dans les principales villes du continent : Rio de Janeiro, São Paulo, Porto Alegre, Montevideo, Buenos Aires, Santiago du Chili, Caracas, Bogota, Quito, etc. Dans chaque ville, des cérémonies seront organisées suivies de parrainages, jumelages, conférences et autres manifestations festives.
Un comité Paris-Amérique Latine (P.A.L.) ayant son siège à Paris est créé pour financer et organiser cette expédition. Les Ets Farman de Billancourt sont d'accord pour fournir l'appareil, un avion Goliath équipé de deux moteurs Lorraine Dietrich qui présente la particularité de pouvoir se transformer en hydravion. L'avion sera convoyé par mer mais quand tout est prêt le coût du transport s'avère prohibitif pour le Comité. Alors que faire ? Renoncer ? C'est mal connaître Saint-Roman qui a l'idée de traverser par voie aérienne sans escale ce qui serait une première et assurerait une extraordinaire publicité à l'entreprise.
Outre Saint-Roman, l'équipage est composé du lieutenant de vaisseau Hervé Mouneyres qui est un pilote confirmé (il ne participera qu'à la traversée de l'Atlantique) et du mécanicien Ernest Mathis mais peu de temps avant le départ, Mathis renonce à partir et il est remplacé au pied levé par le jeune Jules Petit, âgé de 22 ans.
Carte de l'atlantique sud entre Afrique et Amérique du Sud
La côte du Brésil. L'étoile marque le lieu où le radeau a été retrouvé.
La préparation de la traversée
Au printemps 1927, l'appareil quitte Paris et atterrit sur la base d'Istres où il est transformé en hydravion. Depuis l'étang de Berre, il s'envole vers Casablanca mais à l'amerrissage, l'appareil heurte un rocher : un flotteur, un moteur et un réservoir sont endommagés. Il est mis en cale sèche et les réparations sont réalisées mais il est décidé de remettre l'appareil sur roues car dans cette configuration l'appareil est beaucoup moins lourd. Ils s'envolent pour Agadir et atteignent Saint-Louis du Sénégal.
Alors que tout est prêt pour la traversée, ils reçoivent un message du Service de Navigation aérienne les informant que leur demande de la traversée de l'Atlantique a été acceptée avec un hydravion mais elle est refusée pour un avion. Malgré cette interdiction, ils décident de partir quand même.
Ils quittent Saint-Louis du Sénégal le 5 mai à 6 h 30 en emportant 4 500 litres de carburant et 300 l d'huile leur assurant une autonomie de vol de 28 heures alors que la traversée est estimée à 22 heures. Au Brésil, il n'y a encore aucun terrain d'atterrissage. Ils suivent la côte jusqu'à Dakar et prennent la direction sud-ouest vers le Brésil, la traversée commence sans problème. Par radio, on capte leurs signaux par trois fois (la dernière à 10 h 38) et le temps passe... L'arrivée est prévue vers 1 h 30 heure locale avec une marée basse à 2 h. Il n'y aura pas d'autre message !
Dès le lendemain, les Brésiliens, persuadés qu'ils n'ont pas atteint la côte, entament des recherches au large vers les îles Fernando de Noronha, São Pedro et São Paulo, etc. Du fait de l'interdiction qui leur a été signifiée, la marine française ne participe pas aux recherches. On ne trouve rien, pas de débris flottants, pas de tâche d'huile ! Et les jours passent…
Un mois et demi plus tard, coup de théâtre, des pêcheurs brésiliens découvrent en mer au large de l'embouchure de l'Amazone et de la ville de Bélem, un radeau qu'ils ne peuvent pas remorquer à cause de la houle mais quelques éléments (un morceau d'aile, les deux roues,…) sont ramenés à terre. La nouvelle est publiée dans le journal de Buenos-Aires La Nacion. L'espoir renaît, on reprend les recherches pendant quelque temps mais en vain.
Le Forman après transformation en hydravion sur l'étang de Berre - crédit photo : Collection Saint-Roman
Que s'est-il passé ?
Pour l'ingénieur de chez Farman dépêché sur place, ce sont bien des pièces du Goliath de Saint-Roman, identifié avec certitude par la date de fabrication des pneus. De plus, si l'avion avait amerri, le train d'atterrissage se serait disloqué, et pour lui, l'avion a atterri normalement mais pas sur une île car on les aurait retrouvés.
La conclusion qui s'impose est que l'avion a atteint la côte brésilienne vers Fortaleza dans une région bordée de hautes falaises découvrant une plage à marée basse mais qui est recouverte de plusieurs mètres d'eau à marée haute. Ces falaises de 20 à 40 mètres de haut portent bien leur nom de « barreiras » et sont impossibles à escalader.
Après leur atterrissage, les trois aviateurs ont eu le temps de fabriquer sommairement un radeau et deux possibilités peuvent être envisagées : ils l'ont mis à l'eau comme une bouteille à la mer en attendant d'être secouru ou bien ils sont montés sur le radeau pour quitter cet endroit inhospitalier et après la houle les a jetés par-dessus bord ou sont-ils morts de faim ? En tout cas ce témoin incontestable de leur survie temporaire a été emporté par des courants puissants et a dérivé sur des centaines de kilomètres avant d'être découvert 44 jours plus tard. On n'a jamais retrouvé leur trace, ni celle de leur avion.
Quelques éléments du radeau ramenés par des pêcheurs brésiliens - crédit photo : Collection Saint-Roman
Quelques jours plus tard, le 9 mai, Nungesser et Coli, deux aviateurs déjà célèbres, disparaissaient au-dessus de l'Atlantique nord alors que le 21 mai Lindbergh parti de New-York ralliait Le Bourget sans escale. Quelques semaines plus tard, le 15 octobre, Dieudonné Costes et Joseph Le Brix réussissaient la traversée sans escale de l'Atlantique entre Saint-Louis du Sénégal et Natal avec un Bréguet 19 GR. En 1930, Mermoz et son équipage renouvelaient le grand saut sur un hydravion et inauguraient la première liaison commerciale.
Cette année marque le 90ème anniversaire de cet exploit resté méconnu du fait du mutisme des autorités aériennes françaises auxquelles ils avaient désobéi et des autres drames et réussites durant cette période d'intense course à l'exploit aérien. La réussite de leur traversée justifie qu'on n'oublie pas ces hommes téméraires mais seule une petite plaque de marbre rappelle le souvenir de Pierre de Saint-Roman sur le monument aux morts de Fourquevaux.
Jean-Pierre Suzzoni
Plaque sur le monument aux morts de Fourquevaux - crédit photo : Jean-Pierre Suzzoni