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Histoire

L'épidémie de suette miliaire de Castelnaudary (1781- 1782)

La province de Languedoc a été épargnée par la peste de Marseille (1720), mais elle continue à hanter les mémoires et son souvenir surgit lors des nombreuses maladies épidémiques fréquentes partout au XVIIIème siècle : variole ou « picote » en 1731, 1742-1743… dysenterie, fièvres diverses. La suette (qui apparaît discrètement à Castelnaudary en 1781) devient une véritable pandémie, à l'échelle du Languedoc et du Roussillon, pendant l'année 1782.
Il existe deux suettes séparées dans le temps et l'espace : la suette anglaise et la suette miliaire. La première a sévi
en Angleterre aux XVème et XVIème siècles, la seconde apparaît en 1712 à Montbéliard, en 1718 en Picardie et se manifeste ensuite en divers lieux. Les deux maladies ont en commun l'abondance de sueur ; la suette miliaire présente,
en outre, des éruptions cutanées en forme de grains de mil, d'où son nom. Dans la première, la létalité est
considérable : 90% des malades meurent ; elle l'est beaucoup moins dans la seconde : de 5 à 12% de décès.

La maladie à Castelnaudary
Description de la maladie - Relations manuscrites et imprimées donnent une description détaillée du déroulement de la maladie : «il a régné ici, dans le mois de septembre [1781], une fièvre bilieuse pourprée, accompagnée …de sueurs abondantes». L'épidémie commence à l'équinoxe de septembre ; puis, après un hiver relativement calme, c'est «au temps de l'équinoxe [de printemps] que la maladie prit derechef un accroissement considérable».
Suffocations, douleurs diverses, maux de tête, « battement des artères temporales », accélération du pouls, inflammation des yeux, du visage, sont les premiers signes de la maladie.
La sudation généralisée s'établit ensuite, suivie de l'éruption miliaire sur le visage qui gagne progressivement tout le corps. L'évolution est variée : l'éruption peut apparaître dès le deuxième jour puis disparaître ; la guérison survient le plus souvent alors ; mais, si l'éruption persiste et si le patient est « sanguin » ou pléthorique, il peut être emporté par hémorragie.
Les médecins ont noté aussi cardialgies, « crampes aux
extrémités », douleurs de l'hypogastre, désordres de l'estomac : nausées, vomissements, problèmes urinaires, hémorragies …
Les observations des médecins ont été envoyées à la faculté de Médecine de Montpellier, à la demande de l'intendant, le vicomte de Saint Priest. Les professeurs de médecine confirment qu'il s'agit bien de la suette miliaire. Ils approuvent le traitement et saluent « la sagesse de MM. Les médecins qui l'ont prescrit ».

Les initiatives du conseil politique (l'administration municipale)
Au plus fort de l'épidémie, le conseil, constatant que le personnel médical de la ville ne suffit pas à secourir tous les malades, propose de faire appel à des «médecins étrangers». Aux médecins de la ville, Laroque, Rigaud, Frizac, aux chirurgiens Rochou et Coffinières, s'ajoutent les docteurs Frère de Montréal, Gallet-Duplessis de Carcassonne, Vallès de Sorèze, les chirurgiens Jalabert de Mayreville, Calmet de Salles, Alric et Polastron.
En outre l'hôpital et la Miséricorde, institution charitable, aideront les pauvres de la ville. En supplément de recours, on fera appel à l'aide divine par l'intermédiaire de Saint-Roch.
Malgré la différence de statut et de formation (les chirurgiens sont des maîtres, les médecins des docteurs) ils se sont réparti les malades des différents quartiers et n'ont pas ménagé leurs efforts au point d'en tomber malades, comme Laroque et Rigaud et seront honorés par la municipalité. Le docteur Frizac, par contre, a refusé de soigner gratuitement les pauvres et s'est réservé la clientèle des riches. Le chirurgien Jalabert a soigné les pauvres des quartiers nord-est de la ville et «s'est offert à faire l'ouverture d'un cadavre» : c'était l'une des fonctions des chirurgiens.

Le traitement de la maladie
La présence de l'épidémie à Castelnaudary est très vite connue dans les communautés voisines et bien au-delà et suscite l'intérêt de gens plus ou moins fiables. Un sieur Ferroul de Carcassonne offre de vendre «un remède plus que efficace» qu'on administre, «tant par les oreilles que intérieurement». Un apothicaire de Toulouse propose, lui, le vinaigre des quatre voleurs «spécifiquement reconnu contre tous les airs infectés», il serait né, d'après l'Encyclopédie, lors de la peste de Marseille. La médecine populaire table sur des remèdes peu coûteux. L'évêque d'Alet préconise : «surtout point de diète ; il faut manger la soupe à l'ail plusieurs fois le jour» ; le curé de Villarzel prétend que les paysans «s'en sont le mieux tirés … avec des soupes à l'ail» ; et J. Sautou de Carcassonne conseille à un ami : «tue le ver bon matin avec de lail ou ognon».
Le traitement officiel figure dans le «Mémoire» imprimé à 730 exemplaires, rédigé et signé du 29 mars 1782 par les six médecins qui ont été mobilisés contre la maladie ; il décrit «la méthode qui nous a paru la plus propre à la combattre».

Clystère, Détail de l’avers d’un vase d’apothicaire, vers 1600-1650, Nevers, Musée municipal.
Clystère, Détail de l'avers d'un vase d'apothicaire, vers 1600-1650, Nevers, Musée municipal.

Les premières manifestations (suffocations, visage rouge, yeux enflammés) sont traitées par un sinapisme appliqué à la plante des pieds, dont la «force» est adaptée à l'âge du malade et à sa «constitution». Ce traitement s'accompagne d'une décoction d'orge mondé ou d'une infusion de mauve ou violette à laquelle on ajoute limon ou vinaigre…
Si le malade souffre de troubles digestifs, un léger vomitif, «l'hypécacuanha» (l'ipéca) à petites doses et pour faciliter les vomissements d'eau tiède «à profusion».
Dans le cas de problèmes urinaires, traitement externe sous forme de «vessies» d'eau chaude appliquées sur l'hypogastre, les lombes, le périnée, auquel on ajoutera des tisanes adoucissantes.
Lorsque les sueurs disparaissent, «changer le linge», rafraîchir le malade, ne pas trop le couvrir, arroser de vinaigre la chambre.
Quand apparaissent les éruptions on a recours aux vésicatoires appliqués «au gras des deux jambes», qui sont des emplâtres à base de cantharides auxquels on ajoute, pour soulager le malade, des «boissons adoucissantes» : petit lait, limonade légère…
Si le médecin soupçonne « une dissolution putride du sang », ce qui est la forme dangereuse de la maladie, on a recours aux antiseptiques : quina, racines de serpentaire, administrés à raison de trois verres auxquels on ajoute six gouttes d'élixir de vitriol, deux grains de musc et trois gros de sirop de kermès une fois en 24 heures.
Les soins s'achèvent par une purge précédée d'un lavement.
Les médecins ajoutent que, au vu de la rapidité du déclenchement de la maladie, et de «l'état du poulx», ils n'ont pas jugé bon de «placer la saignée», précisant qu'elle n'est pas indiquée dans ce type de maladie ; mais, ajoutent-ils, ils laissent aux médecins qui y seraient confrontés le soin d'en décider.
Le Mémoire conseille en outre aux bien-portants un traitement préventif tonique et laxatif à base de quina et de séné.

traitement de la maladie miliaire

La mortalité
Les médecins estiment que la maladie commence à l'équinoxe de septembre 1781 ; en fait à cette époque, le nombre de décès ne diffère guère de celui des autres années.
La forte mortalité couvre une très courte période, entre le 18 et le 28 mars et surtout les 21, 22 et 23 avec respectivement 8, 5 et 12 décès ; à l'exception d'un enfant de 15 jours et d'un homme de 55 ans, l'âge des défunts se répartit entre 19 et 45 ans ; hommes et femmes étant également représentés. Un prêtre, un fils de négociant et un huissier figurent les catégories supérieures ; les brassiers, ménagers et maîtres-valets représentent 50% de l'ensemble ; les artisans complètent avec 37,5% ; mais ce sont aussi les catégories les plus nombreuses de la ville, puisqu'il s'agit d'une population urbaine, ce qui représente une certaine concentration, la possibilité de contagion, mais aussi l'avantage de disposer du personnel médical, ce qui n'est pas le cas dans les campagnes.
La suette a-elle fait beaucoup de victimes ? A. Pujol, médecin à Castres les évalue à 30 000 «dans toute l'étendue des pays où elle régna», reprenant les calculs d'un médecin toulousain ; au vu de la mortalité à Castelnaudary (moins de 4% des malades), et de quelques localités où elle est connue, il semble que ce chiffre soit excessif. La maladie a été considérée comme bénigne par les médecins de Castelnaudary : «il n'a péri que 65 personnes sur environ 1500 malades» ; encore faut-il incriminer les imprudences : «se couvrir au point de s'étouffer sous le poids des couvertures et de fermer si hermétiquement les appartements qu'on en rendait l'air comme méphitique», commettre des excès de nourriture, s'affoler. Le curé de Massac écrit : « la crainte et la terreur en tua plus que la maladie ».

Les causes de la maladie
Gallet-Duplessis attribue la maladie à «une peste» (maladie infectieuse) venue de Smyrne, portée par le vent qui «a ravagé les environs de la mer depuis Agde jusqu'à Perpignan». La suette viendrait donc de Méditerranée avec le vent marin.
Une deuxième explication, toujours liée au vent marin, serait la proximité du cimetière face à l'hôpital, au S.E. de la ville, ce qui alarme les consuls : «Nous ne connaissons guère que deux vents décidés, l'Est et l'Ouest, et, ayant mis nos cimetières aux extrémités de la ville, dans la direction des deux vents, ils doivent nous en apporter toutes les exhalaisons : celui qui est à l'Est, le seul dont on se sert dans ce moment est précisément le plus dangereux» (il est face à l'hôpital et reçoit beaucoup de pauvres). On cherche des solutions : un cimetière au Nord ? Mais on ne décide rien et…il y a toujours les mêmes deux cimetières.

La nécessité de l'information
Le conseil politique du 14 mars est le premier qui mentionne l'épidémie et convient qu'on ne peut «garder plus longtemps le silence sur ce fléau». En fait le bouche à oreille l'a déjà révélé. L'intendant est informé le 27, mais on n'a pas attendu cette date pour faire appel aux «médecins étrangers». Les 26 et 27 Revel et Toulouse expriment leur sympathie et s'inquiètent : «nous vous prions de bien vouloir nous faire connaître les symptômes de cette maladie». Le lieutenant de maire (second consul, le maire est absent), Borrel-Dat et le conseil prennent l'initiative : «Nous avons écrit sous la dictée [de Larroque, malade] les premiers mémoires qui ont été adressés aux facultés de Montpellier et de Toulouse».
Dès le 29 est rédigé par les six médecins, le «Traitement»; imprimé à 730 exemplaires et largement diffusé ; Toulouse en reçoit 6. Le 3 avril le Dr. Rigaud rédige sa «Description de la maladie par un médecin» qui semble destinée à la diffusion. À la même date, environ, le Dr. Gallet-Duplessis envoie à la faculté de Montpellier la «Description des symptômes de la maladie épidémique qui règne à Castelnaudary». Enfin le 7 avril cinq médecins (Rigaud est absent) rédigent le «Mémoire de MM. Les médecins de Castelnaudary, Sorèze, Carcassonne et Montréal soussignés concernant la maladie qui règne actuellement à Castelnaudary» ; il sera imprimé à 600 exemplaires. C'est à l'initiative et aux frais de la communauté que les 1330 textes sont imprimés par Payan, imprimeur de la ville.
Le mémoire est envoyé à l'intendant, à la Société royale de médecine à Paris ; Carcassonne en reçoit un exemplaire et, lorsque l'épidémie atteint cette ville, l'intendant demande à ses médecins de rédiger aussi une relation de l'épidémie.
Donc, dès le début du mois d'avril, la province, les deux facultés, la Société royale sont informées et, pendant les semaines suivantes, les témoignages et les expériences vont enrichir l'identification de la maladie et la lutte contre ce qui est devenu une «pandémie provinciale».

réflexions sur la neture et le traitement de la maladie

L'extension de la maladie et les problèmes qu'elle pose
On considère que l'épidémie est terminée à Castelnaudary au début du mois d'avril ; mais la maladie s'est propagée dans toutes les directions, vers l'Est et le Sud-Est, très vite.
Elle arrive à Castres fin avril et prend de l'ampleur, ainsi qu'à Mazamet et en direction de l'Ouest. Elle « commence à affliger » Villefranche le 12 mai ; elle « règne » à Toulouse le 20 ; elle est présente dans les Corbières, atteint la vallée de l'Agly. Les consuls de Lavaur, dans une lettre angoissée, demandent de l'aide ; elle sévit dans toutes les villes et diocèses du Toulousain, Pamiers, Rieux, Mirepoix, Couserans. En même temps elle envahit le Minervois oriental, atteint la côte et le Roussillon fin mai. Il semble qu'à mesure qu'elle s'étend, du moins vers l'Est, la létalité diminue ; un témoignage de Perpignan le confirme : «les personnes de notre ville … n'ont pas le temps de s'apercevoir qu'ils ont été malades».
Les documents les plus complets concernent les villes, mais l'épidémie n'a pas épargné les campagnes et là, les témoignages des curés qui ont été le plus souvent spectateurs et acteurs de l'événement, sont précieux.

Observations sur la fièvre miliaire épidémique

Plusieurs questions se sont posées lors du déroulement et du traitement de l'épidémie, en particulier la question de la saignée et celle de la contagion.
Alexis Pujol a reproché aux médecins de ne pas avoir pratiqué la saignée ; c'était d'un usage banal. L'Encyclopédie assure que c'est «l'un des plus prompts moyens de guérison que la médecine connaisse». L'opportunité de la saignée a aussi divisé les médecins de Carcassonne. Les médecins de Castelnaudary l'ont refusée et Gallet-Duplessis cite l'exemple d'un médecin de la campagne qui ayant saigné «a vu périr tous ceux sur lesquels il avait pratiqué ce moyen».

Quant à la contagion qui ne fait aucun doute, elle a été niée par les autorités de crainte de déclencher la panique dans la population ; ainsi pour les consuls de Castelnaudary vis-à-vis de leurs collègues de Revel et surtout de la part de l'intendant qui a redouté l'affolement de toute la province, la fermeture des villes, les perturbations du commerce : le spectre de la peste de 1720 est encore dans les mémoires.

La médecine du siècle des Lumières
L'épidémie de suette et la façon dont elle a été décrite et traitée évoquent encore l'immobilisme de la médecine, telle qu'elle apparaît dans l'Encyclopédie dont les références sont les médecins de l'Antiquité et du XVIIème siècle. Il existe cependant des avancées, dans le domaine de la description anatomique, devenue plus précise, de la physiologie, de la mise au point d'instruments : seringue, manomètre. La formation des personnels soignants témoigne aussi de réels progrès : la profession des chirurgiens évolue ; Montpellier et Toulouse se dotent d'une École royale de chirurgie ; des cours d'accouchement existent à Castres sous la direction du célèbre Icart et à Toulouse, pour les futures sages-femmes ; les États de Languedoc les encouragent et les financent en partie. En 1776 est créée la Société royale de médecine, dirigée par Félix Vicq-D'Azir qui, avec 150 correspondants en province recueille les expériences, établit des dossiers médicaux permettant de mieux décrire les affections, variole et rougeole entre autres et de faire progresser le savoir.

Félix Vicq-d'Azir

La suette se manifestera encore partout en France, dans l'Aude et l'Hérault au XIXème siècle, dans l'Indre en 1947. Mais il paraît qu'on ignore toujours la nature du responsable : virus, bactérie… ?

Marie-Rose Viala
Centre Lauragais d'Études Scientifiques



Couleur Lauragais n°190 - Mars 2017