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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

L'épopée des cloches de Saint Julia

Saint Julia doit sa renommée aux "gras chapons" qui sont le sujet d'une légende tenace concernant le village que perpétue tous les ans la foire aux chapons de Saint Julia le dimanche avant Noël. Une tradition qui nous vient de la nuit des temps puisqu'avant la Révolution elle existait déjà et se déroulait de nuit ! Cette légende montre une population qui ne se rend pas aux ennemis, et utilise une ruse pour leur résister en exhibant des chapons bien gras, faisant ainsi la démonstration qu'à l'intérieur des remparts on a encore de quoi manger et donc résister. Cette résistance va s'affirmer aussi pendant la Révolution, le village va sauver ses cloches de la fonte ; elles sont aujourd'hui un mobilier historique rare. Ce sont les cloches les plus vieilles du département de la Haute Garonne. Avec beaucoup d'émotion et d'amour pour son pays, René Batignes nous raconte cet épisode de résistance.

Affiche réalisée par Bernard Velay à l'occasion du  600ème anniversaire de la cloche de Saint Julia de Gras Capou.
?Affiche réalisée par Bernard Velay à l'occasion du
600ème anniversaire de la cloche de Saint Julia de Gras Capou.

Les événements
Durant la Révolution de 1789, les habitants de St Julia voulurent adhérer aux nouveaux principes de liberté, mais pour autant ils n'étaient pas prêts à sacrifier leur foi et les symboles qui la représentaient, sans doute à cause de leur enracinement catholique.

Le 24 avril 1793 arrive à Mont Civique (ex Saint-Julia), l'ordre de descendre les cloches du clocher, cloches que le carillonneur sonnait tous les jours malgré l'interdiction, et de les envoyer à Toulouse pour les fondre et en faire des canons. C'était aussi dans le but d'anéantir le culte religieux que l'on considérait néfaste aux nouvelles idées.
Le maire Lagarrigue fit descendre les cloches après adjudication au volontaire le moins cher. Elles furent stockées à la mairie en attendant le lendemain pour être transportées en bord de route à la ferme de La Bourdette puis prendre le chemin de Toulouse.
Mais c'était sans compter sur nos braves Saint-Julianais qui ne pouvaient se résoudre à perdre ainsi ce qui rythmait leur vie et leur foi. Pendant la nuit, des hommes résolus, travestis en femmes et masqués, s'emparèrent des cloches, ce qui n'était pas facile à cette époque et extrêmement dangereux car la guillotine veillait sur l'échafaud.
Après avoir bâillonné le garde, dit-on, ils placèrent les cloches sur une charrette aux roues entourées de paille pour éviter le bruit, et profitant de la nuit, allèrent les enfouir dans un champ du côté de Fontourbières, champ aussitôt labouré pour faire disparaître les traces.

Comme un grand nombre de personnes avaient participé à l'opération et craignant d'être dénoncés, quelques hommes courageux transportèrent les cloches quelques jours plus tard vers la ferme d'En Pégéni, où elles furent enfouies dans le trou de las campanos, une sorte de mare située au fond du versant sud d'En Pégéni, en face de la ferme de Las Peyrouses. Le nom de l'endroit est d'ailleurs resté sur le plan cadastral.

Les poursuites de l'Etat
Le Comité de Salut Public de Toulouse condamna Saint-Julia, fit faire des perquisitions, mais rien n'y fit. Le secret fut jalousement gardé, le procès dura pendant toute la période révolutionnaire, les condamnations plusieurs fois répétées à payer le double de la valeur des cloches par les habitants de St-Julia furent toujours contestées et jamais payées. Des experts désignés avaient estimés leur valeur à six cent francs.
Le village de Saint Julia acquit ainsi une notoriété dans le département. Tous les journaux de l'époque faisaient mention de l'affaire.
Citation dans "l'Observateur Républicain" du 16 Floréal de l'an IV :
"On nous mande du canton de Revel que Saint Julia, chef lieu de canton rural est aussi la proie du fanatisme. Pour caractériser tout à fait cette commune on saura que les habitants ont caché 4 cloches, qu'ils ont percé un certain nombre de maisons contiguës pour aller à la messe sans être vus, c'est ainsi qu'on fait échapper les persécutés quand on a quelque pressentiment de l'arrivée des terroristes (c'est le nom que l'on donnait aux révolutionnaires agissant pendant la période la Terreur). Nous avons une si haute idée de la brigade de Revel que dans peu nous espérons annoncer à nos lecteurs que les fanatiques ont pris la fuite ou qu'ils sont à l'abri du mauvais temps !"

Traduction du jugement du 3 Messidor An 6 (21 juin 1797)

Au nom du peuple français, à tous présents et à venir, Salut.
Au trois messidor, an Six de la République française une et indivisible, en audience de premier ressort, tenue publiquement par la seconde section du tribunal civil du département de la Haute-Garonne, siégeant à Toulouse.

Présents et opinants les citoyens Loudios Président, Roques, Dupuy, Desazares, Desany et Despagnols juges, a été rendu le jugement dont la teneur suit.

Le citoyen Gallian commissaire du directoire exécutif s'étant levé a dit, un attroupement séditieux et sans doute fanatique a porté atteinte à la propriété nationale dans la commune de Saint Julia, canton de Revel. En vain les autorités constituées de cette commune avaient pris les précautions pour empêcher et mettre obstacle aux tentatives des attroupés, elles ont été inutiles, le Crime n'en a pas été moins consommé.

Le dix frimaire dernier le citoyen Pierre Marc Viguier, habitant de la commune de Saint-Julia chez qui étaient déposées les cloches qu'on avait fait descendre de l'église ci-devant paroisse et de celle ci devant pénitent, vint trouver l'adjoint municipal de la commune à qui il fit part de la connaissance qu'il avait de l'existence d'un projet formé pour s'introduire chez lui et enlever les cloches qui y étaient renfermées.

Il l'invita à prendre les précautions pour éviter cet enlèvement, l'adjoint municipal ayant trouvé qu'il était trop tard pour faire transporter les cloches ailleurs engagea le citoyen Viguier à empêcher la réussite du complot pendant la nuit suivante avec promesse de faire extraire le lendemain les cloches de chez lui.

L'évènement justifie que le citoyen Viguier avait eu des renseignements fidèles, puisque la nuit qui suivit sa dénonce un rassemblement se porta sur le derrière de sa maison pour l'enfoncer, que les attroupés avaient même commencé à faire une ouverture assez considérable lorsque le citoyen Viguier éveillé par les bruits se présenta, ce qui engagea les malfaisants à se retirer, ces faits constatés par deux procès verbaux des dix et onze frimaire derniers, le procès verbal du onze constate encore que par les soins et de l'agent et adjoint municipal, les cloches furent transportées dans la maison commune, dans laquelle s'introduisirent les attroupés dans la nuit du douze au treize frimaire d'où ils enlevèrent les cloches après avoir enfoncé la porte d'entrée de la maison commune et avoir renfermé le concierge dans son logement et barricadé la porte, ce qui se trouve constaté par un procès verbal dressé le treize frimaire par l'agent municipal, et comme aux termes de la loi du 10 Vendémiaire an quatre, la commune sur le territoire de laquelle des délits sont commis par des rassemblements ou attroupements armés ou non armés sont responsables des suites de ces délit :
Nous requérons appliquer à la commune de Saint Julia les dispositions de la loi dont nous venons de parler.

Quand le culte fut rétabli sous le Consulat, les cloches furent remises solennellement à leur place pour la plus grande joie des habitants. C'est ainsi qu'elles traversèrent à nouveau deux siècles avec beaucoup d'événements en cette France tour à tour Empire, Royaume, République ou Etat Français, et purent fêter leurs 600 ans en 1996.

René Batignes
Extrait des Cahiers de l'Histoire
Société d'Histoire de Revel Saint Ferréol

La Campano de San Julia de Gras Capou

Tout én naout dé nostré bilatge és bastido uno gleïso é soun clouquié
La grando campano s'y es paousado fièro coummo un poul én soun jouquié
N'a bist béni dé bent d'aouta et dé bent dé sers, dempeï sieys sièclés
Et de moundé tabés, dé bounis et d'amoris, certainis richés ou paourés.

Bielho campano dé nostré bilatge as surornén pla soubén abut à sounna
Dé bounhurs, dé malhurs, én touto hounestetat, car saîs diré que la bertat.
Sion bénguts abeï noumbrousés, festa tous sieys cént ans sans uno rido,
Tu, nostro coumpagno qué cado joun san faouto nous rimos, en cantan la bido.

Sé poudios parla, es siur, n'aouros pla dé caousos à diré, à racounta,
L`Histouèro dé nostré endreït sario fort interessento a pla t'escouta.
Al païs del gras capou, sion coummo dé joubés poulétous joust clouquo,
Quand sion al prep dé tu, car nous curbissés abé ta fort pésanto raoubo.

Pourios sé boulios, nous parla d'aquélo légéndo parés fort pla ancienno
Oun lé bilatge assiéjat et affamat, béjèros l'ennemin parti pé la plano.
Les abitents d'aquesto citat an sapiut toutjoun fa faço as trabésés
Et pé la grando réboulutiou, té boulguèron garda malgré les proucèsés.

Paouris omés qué sion, bibén un pitchou témps sur aquesto bielho terro,
Uno pitchouno poulsièro dins l'univers sidéral sans fi qué nous éntouro.
Es pla loung sieys sièclés per nous aoutrés, per tu es pos grand caouso
Et sé les omés soun sagés es sigur sounnaras loungténs amoun trinchado.

Ah, n'as pla accoumpagnats dé baptêmos dé nostrés pitchous maïnatjés
Nous soubén quand érèn clérs, l'aïgo bénasido é las dragéos én partagé.
Cado dimentché à la messo bénion a toun appel én foulo per Dious préga
Et mêmes lé souer soubén à brespos ensemblé bénion éncaro per canta.

Un soubénir nostalgiqué aliménto moun esprit é né sios pla la caouso,
Es lé dé la prumièro coumuniou, soubén la prumièro dé las grandos festos.
Tustabos à tour dé bras é nous aoutrés érèn fiers abé nostré coustumé,
Nostré brassard, nostré ciergé, raoubos blancos et bouèlés per Nostré Segné.

Per d'aoutrés nous as accoumpagnats quand boulguérén nous mettré dous,
Et as pourtat bounhur touto uno bido durén a nostrés prumiés poutous.
Mais un joun béndra, espérén lé pus tard; oun éncaro nous apélaras,
Un darrié cop a mounta, é es en ta coumpagno qué farén lé darrié pas.

Alabets, sounno,sounno, bielho campano amio, é jamaï t'arrestés pas,
Las ouros qué nous baillos soun gratuitos es aco toutjoun dé gagnat
Cantén én ta coumpagno, aourén toutjoun pla lésé d'abé lé témps dé ploura
Et damoro per jamaï penchado én toun clouquié dé nostré fier San Julia.

La cloche de Saint Julia de Gras Capou

Tout en haut de notre village est bâtie une église et son clocher,
La grande cloche s'y est posée fière comme un coq dans son poulailler
Elle en a vu venir du vent d'autan et du vent de sers, depuis six siècles
Et des gens aussi, des bons, des moins bons, certains riches ou pauvres.

Vieille cloche de notre village tu as eu sûrement souvent à sonner
Des bonheurs, des malheurs, en toute honnêteté car tu ne sais dire que vérité.
Nous sommes venus aujourd'hui nombreux fêter tes six cent ans sans rides,
Toi notre compagne qui chaque jour sans faute, nous rythme la vie.

Si tu pouvais parler, c'est sûr tu en aurais des choses à dire, à raconter.
L'Histoire de notre endroit serait fort intéressante à bien t'écouter.
Au pays du gras capou, nous sommes comme de jeunes poussins sous glousse
Quand nous sommes auprès de toi, tu nous couvres avec ta pesante robe.

Tu pourrais si tu voulais nous parler de cette légende fort ancienne,
Où le village assiégé et affamé, tu as vu partir l'ennemi dans la plaine.
Les habitants de cette cité ont toujours su faire face aux travers,
Et pour la grande révolution, te voulurent garder malgré les procès.

Pauvres hommes que nous sommes, nous vivons peu de temps sur cette terre,
Une petite poussière dans l'univers sidéral sans fin qui nous entoure.
C'est bien long six siècles pour nous, pour toi ce n'est pas grand chose,
Et si les hommes sont sages, c'est sûr, tu sonneras longtemps haut perchée.

Ah, tu en as bien accompagné des baptêmes de nos petits enfants,
Souvenir d'enfant de chœur, l'eau bénite, les dragées en partage.
Chaque dimanche à la messe nous venions à ton appel Dieu prier,
Et même le soir souvent à vêpres, ensemble, nous venions encore chanter.

Un souvenir nostalgique alimente mon esprit et tu en es bien la cause,
C'est celui de la première communion, souvent la première grande fête.
Tu sonnais à tour de bras, et nous étions fiers avec notre costume,
Notre brassard, notre cierge, robes blanches et voiles pour notre Seigneur.

Pour d'autres, tu nous a accompagnés quand nous avons voulu être deux,
Et tu as porté bonheur toute une vie durant à nos premiers baisers.
Mais un jour viendra, espérons le plus tard, où encore tu nous appelleras,
Une dernière fois à monter, et en ta compagnie nous ferons le dernier pas.

Alors sonne, sonne, vieille cloche amie, et ne t'arrêtes jamais,
Les heures que tu nous donnes sont gratuites, c'est toujours ça de gagné,
Chantons en ta compagnie, nous aurons toujours assez de temps pour pleurer
Et reste à jamais pendue dans ton clocher de notre fier Saint-Julia.

Poème composé par René Batignes à l'occasion du 600ème anniversaire
de la cloche de Saint Julia qui fut commémoré le 14 juillet 1996

église Saint Julia


Couleur Lauragais n°158 - Décembre 2013/Janvier 2014