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Couleur Lauragais : les journaux

Les marmites charbonnières de la Montagne Noire

L'histoire concernant les vestiges de notre région est bien souvent mal connue, et faute d'une abondante documentation écrite on en est réduit à "lire" ce que l'on observe sur le terrain, extrapolant parfois avec des sites similaires plus lointains mais plus documentés.
Lorsqu'on emprunte certains chemins de randonnées de notre belle montagne, on peut rencontrer au détour d'un sentier, des objets énigmatiques en fer (des fours ou "marmites" de charbonniers pour les plus avertis) et de nombreux espaces artificiels horizontaux faisant quelques mètres carrés... Ces éléments trahissent une activité de l'homme au fond des forêts.Ils concernent la fabrication de charbon de bois dans des temps plus ou moins reculés.

Les trois éléments d’une marmite de charbonniers ... A gauche l’élément supérieur (inversé sur la photo), à droite l’élément de base, au fond le couvercle.
Les trois éléments d'une marmite de charbonniers ...
A gauche l'élément supérieur (inversé sur la photo), à droite l'élément de base,
au fond le couvercle. crédit photo : Jean-Paul Calvet
La connaissance de l'histoire et de l'archéologie locale est déterminante pour dresser le contexte économique et social qui existait lors des activités des charbonniers
Le "charbon de bois"
L'histoire du charbon de bois remonte à un très lointain passé et est intimement liée à la métallurgie notamment celle du fer. L'homme a su très tôt (depuis la plus haute antiquité) augmenter par traitement spécial le rapport calorique du bois. La technique paraît simple : il suffit dans une atmosphère privée d'oxygène de supprimer l'eau et les gaz volatils contenus dans le bois afin de garder uniquement et à pourcentage élevé le carbone, élément essentiel pour augmenter le pouvoir calorique.

L'utilisation du charbon de bois
Durant les derniers siècles et certainement depuis la plus haute antiquité, le charbon de bois était une matière première très importante. Sans le charbon, rien ne fonctionnait. Sans charbon, pas de réduction des métaux(1), pas de verrerie(2), et plus tard pas d'industrie, pas de sidérurgie. Le charbon était également nécessaire pour les besoins domestiques. En effet, jusqu'au début de la première moitié du XXème siècle, il n'y avait ni gaz, ni électricité dans les campagnes et dans la plupart des maisons. La cuisson des aliments se faisait "au feu" à l'aide de bois ou mieux de charbon de bois. Ce charbon de bois était parfois fabriqué familialement.

Le contexte historique
Nous savons que dans notre proche région, dès l'antiquité, le fer a été exploité, les maîtres verriers ont à partir des roches siliceuses de la montagne (les éléments gréseux), manufacturé de beaux objets ; plus récemment le cuivre a été travaillé à Durfort. Pour faire fonctionner cette "proto-industrie" et/ou artisanat il fallait une importante énergie calorique... Ici pas de charbon de mine, mais les gens ont très tôt appris à fabriquer du "charbon de bois".

Un peu d'histoire dans la région...
Peu de documents nous éclairent sur l'histoire de cette activité dans la montagne. En 1283 à Escoussens, des moulines sont en activité démontrant ainsi que l'énergie hydraulique est captée pour le traitement de métaux (donc utilisation importante de charbon de bois)(3).
En 1790, le village d'Escoussens compte un millier d'habitants, presque tous occupés au travail du bois : bûcherons ou charbonniers, charpentiers.
La grande affaire de la Révolution, dans cette commune, c'est l'éviction des Chartreux, seigneurs autoritaires depuis 300 ans. On a affaire à des moines procéduriers peu décidés à lâcher les énormes passe-droits accumulés depuis des siècles : ainsi ce sont eux qui jouissent de la forêt de Cayroulet, au-dessus d'Escoussens, en vendant le bois de charpente, le charbon, et c'est la commune, déjà très pauvre, qui en paie les impôts !
La misère des habitants les pousse à une révolte légitime, et c'est une guerre sans merci qui se joue dans la forêt, entre "coupeurs de bois" et "charbonniers" au profit des moines, et habitants du village.(4)
L'artisanat du cuivre à Durfort, a été consommateur de charbon de bois. Faute de filon important de cuivre dans la région, les "durfortois" récupéraient le "vieux cuivre" et le fondaient localement. Ils utilisaient surtout à la fin du XXème siècle le charbon de bois en provenance des Landes (Soustons essentiellement) ou de la Grésigne (Tarn). Ce sont des tonnes de charbon de bois qui étaient commandés pour Durfort. Vers 1970, un charbonnier fabriquait encore du charbon de bois à Saissac (selon la méthode traditionnelle(5). A Durfort, on utilisait de temps en temps son charbon de bois et on allait le chercher directement.

localisation des marmites charbonnières

1. Le "ferrier" ou bas fourneau de Malcoustat
Mis à jour en 1991 par la lame d'un bulldozer lors de travaux de création d'une piste forestière, un important dépôt de scories a été "éventré" par l'engin, révélant ainsi la structure interne des vestiges archéologiques présents sur une superficie de 100 m2 environ et sur une hauteur conservée de 2 m.
L'observation et étude du "ferrier" de Malcoustat permettait ainsi de déceler de très nombreux éléments de produits de fonte de minerai de fer mêlés à une quantité importante de cendres de bois brûlé (certainement charbon de bois). Une analyse au C14 (carbone 14) donnait une fourchette de datation entre les années 991 et 1189, prouvant ainsi la contemporanéité de l'activité de réduction du fer à cet endroit et l'exploitation des minerais de fer sur le plateau du Causse de Sorèze.

2. Les plates formes : "les platounes"
Par contre, la prospection sur le versant autour de ce "ferrier", livrait une série de zones de quelques mètres carrés dont la face supérieure était anthropisée (creusement et mise à l'horizontale). L'observation permettait d'expliquer la présence de ces "platounes" grâce à la présence de résidus importants de charbon de bois sur les couches superficielles : il s'agissait de zones de fabrication de charbon de bois.
Nous avons effectué sur ces structures des datations au carbone 14(6), la "fourchette" de datation est assez large, elle se situe entre 1660 et 1955. Il était évident, vu leur état de "fraîcheur", qu'il s'agissait de zones de charbonnage récentes. Mais la proximité du ferrier médiéval nous conduit à penser que nous avons en ces endroits, pérennisation des activités de charbonnage, depuis le moyen-âge certainement.
Les charbonniers pour éviter le portage du bois, déplaçaient les lieux de charbonnage... à Malcoustat les distances étaient de 50 m environ. Ces espaces devaient être réutilisés plusieurs fois, car après déforestation des alentours ces charbonnières reprenaient du service au bout de quelques années après que le taillis se soit regénéré (on utilisait du petit bois ou du calibre moyen). Les techniques employées étaient celles de la "meule", ou la carbonisation à l'aide de "marmites".

3. Les fours de charbonniers, ou "marmites" ou "cocottes"
Dans notre région on les appelle plus communément des "marmites", on en rencontre encore quelques-unes dans nos forêts. Les plus belles et les mieux conservées(7) se situent dans la forêt de l'Aiguille, jadis forêt royale(8) près du "Plo de Nestor" (commune des Cammazes, sur un sentier de randonnée) à une centaine de mètres d'un majestueux hêtre de plusieurs siècles d'âge. Elles sont disposées en batteries (3 exemplaires existent encore à proximité l'une de l'autre). Un élément de "marmite" est aussi valorisé près de l'oppidum de Berniquaut au lieu dit "Peiro Ficado" (sur le sentier de randonnée).

Description des "marmites"
Ces marmites en fer devaient être légères, transportables et surtout efficaces.
Elles sont constituées de 4 éléments :
1/ la base inférieure qui forme une sorte de cylindre (sans fond et sans couvercle), elle mesure 2,20 m de diamètre pour une hauteur de 56 cm).
2/ la partie supérieure en forme de cône (qui se monte donc sur la précédente) est pratiquement identique à la partie inférieure (H : 68 cm Diamètre : 2,20m).
Ces deux premières parties sont dotées de deux paires de poignées latérales.
3/ le couvercle en fer en forme de cône aplati, renforcé par de la cornière soudée, est doté lui aussi de deux paires de poignées. Un trou central est aménagé pour assurer la convection. Il était obturé par un petit couvercle pour assurer dans un deuxième temps la "carbonisation".
4/ Un tuyau coudé était placé à la base du système. Il permettait le départ du feu et une convection nécessaire.

coupe des marmites charbonnières autre coupe marmite de charbonnier

Le transport
Les divers éléments des marmites étaient montés par des chevaux, ânes, mulets ou des bœufs sur les lieux de production (le plus souvent les versants exposés au nord plus luxuriants). Pour optimiser le temps, plusieurs marmites pouvaient fonctionner simultanément. Lorsque la déforestation était importante ces marmites transportables étaient déplacées vers d'autres zones boisées...

Datation des "marmites"
Ces "marmites" doivent dater de la deuxième guerre mondiale et ont du être fabriquées par la firme toulousaine Dewoitine.

Les chantiers de jeunesse
Durant la deuxième guerre mondiale, de fortes restrictions sur les matières premières incitaient à la recherche d'alternatives plus ou moins performantes. Ainsi une dynamique se mit en place pour fabriquer en quantité du charbon de bois pour alimenter les moteurs à gazogène dès les années 1941 et 1942.

1940 - les chantiers de Jeunesse dans la Montagne Noire
1940 - les chantiers de Jeunesse dans la Montagne Noire. Crédit photo : collection Jean-Paul Calvet

Le 35° GMN (Groupement Montagne Noire)
Au cours du mois d'août 1940 une équipe effectue une reconnaissance. Fin août, l'encadrement est constitué. C'est le colonel Waitzenegger, mutilé de la guerre 14/18 qui est nommé commissaire du "groupement 35 Montagne Noire"(9). Il installe ses bureaux à Mazamet. C'est cependant à la gare de Labruguière que débarquent les jeunes en quatre vagues, avant de déferler sur la Montagne Noire :
- le 10 septembre : huit officiers et 900 jeunes
- le 15 : huit officiers et 800 jeunes
- le 17 : deux officiers et 120 jeunes
- le 18 : cinq officiers et 500 jeunes.
Chaque convoi est accompagné d'un wagon couvert contenant le matériel minimum. Une note de service prévoit la fourniture de vivres "de chemin de fer ou de route nécessaires et de 2 jours de vivres de débarquement".
Fin septembre, le commandant du groupement n° 35 télégraphie au Commissariat Général l'inventaire de son groupement après l'arrivée des contingents. Il dénombre 41 cadres, 2382 jeunes, 38 chevaux, 10 mulets, 10 véhicules hippomobile, 10 voitures à 2 roues, 6 voitures légères d'infanterie, 7 poids lourds, 4 véhicules dits touristes, 4 motos, aucune bicyclette. La première mission confiée à ces jeunes est de s'installer à l'orée d'un hiver qui sera long et froid.(10)"
Dès la fin de la guerre, les produits pétroliers seront à nouveau disponibles (les "gaz de forêt" seront délaissés) démontrant à cette époque leur meilleure compétitivité et leur plus grande facilité d'utilisation.

Espace social ... (11)
Les équipes étaient souvent constituées par des jeunes du pays. Au début du XXème siècle, ce sont essentiellement les émigrés italiens et plus tard des réfugiés républicains espagnols qui fourniront la principale main-d'œuvre.
Les conditions de vie étaient très difficiles. Conditions de confort matériel limitées au minimum dans des cabanes de "fortune" (problème du froid, du vent, de la pluie, de la chaleur)... Eloignement de la famille (bien que parfois la famille suive le charbonnier et vive dans la forêt). Une hygiène déplorable (pas ou peu d'eau pour se laver). Des conditions de travail nécessitant des prouesses physiques (avec de grandes fatigues). Les charbonniers pour optimiser le temps, construisaient plusieurs charbonnières, en même temps, et les mettaient en activité. Après il fallait "défourner" et recommencer... Certains dossiers concernant le travail des charbonniers signalent que les défournements avaient lieu la nuit... on observait ainsi beaucoup mieux si des charbons étaient encore incandescents... Il fallait rapidement arrêter leur combustion.
Dans certaines régions, les enfants aidaient à transporter le bois dans le four à charbon, parfois un simple trou creusé dans la terre (12). Il fallait une autorisation, un permis délivré par la mairie pour avoir le droit de faire un four à charbon. Le charbonnier surveillait bien son four pour réussir le charbon. Il fallait absolument éviter que la meule ne s'ouvre accidentellement ou prématurément sinon tout le bois risquait de se consumer en-tièrement, par alimentation en oxygène. Deux jours après avoir allumé le four (tout dépendait de la capacité du four), le dôme s'affaissait et on pouvait déjà commencer à retirer le charbon qui était déjà prêt. Lorsque le charbon était fait, il fallait que les enfants aillent chercher de l'eau pour humecter les morceaux de charbon encore incandescents. Après complet refroidissement du charbon, les enfants devaient le mettre dans des sacs pour l'entreposer.

Photo sur plaque de verre - fin XIX° s. Cabane de charbonniers dans la Montagne Noire. Une jeune fillette pose devant l’objectif du photographe. On devine, sur la gauche de la photo, un homme bien habillé qui “visite” les lieux ...
Photo sur plaque de verre - fin XIX° s. Cabane de charbonniers dans la Montagne Noire. Une jeune fillette pose devant l'objectif du photographe. On devine, sur la gauche de la photo, un homme bien habillé qui "visite" les lieux ... Crédit photo : Collection Michel Gô

La charbonnière exigeait des qualités où tous les sens sont en éveil :
- le toucher : la combustion est lente et la combustion doit s'opérer partout. Le charbonnier touche la surface de la meule pour évaluer si la chaleur est homogène partout.
- la vue : il faut être très attentif à la fumée (sa couleur, sa densité) ; elle passe par plusieurs couleurs et à chaque couleur correspond une étape différente dans la carbonisation.
- l'ouïe : le bois se libère de toutes les matières impropres, de son humidité et la diminution de son volume entraîne des "craquellements" qui génèrent des bruits caractéristiques. Le charbonnier sait à ces différents bruits à quel niveau de carbonisation on se trouve.
- l'odorat : l'odeur des gaz brûlés permettait aussi d'avoir des informations sur le "phénomène de carbonisation".

La charbonnière exigeait donc une attention totale, une présence de tous les instants. C'est pourquoi la cabane était très proche, pour que le charbonnier, à tout instant, y compris la nuit, se lève pour surveiller le feu. Un rapport fusionnel existait toutefois entre les charbonniers et l'espace forestier... Ils appelaient les charbonnières... "leurs créatures"...

Pendant la deuxième guerre mondiale, en échange du charbon de bois, les charbonniers parvenaient à avoir des produits alimentaires. Malgré quelques rebuffades, les charbonniers émigrés ont subi moins d'injustice que les autres émigrés dans les campagnes françaises. Le charbon de bois et le charbonnage ont longtemps constitué une ressource importante pour les populations voisines des forêts et des établissements métallurgiques. Il en était même pour les muletiers chargés du transport du minerai et du charbon de bois.

Au XXème siècle, apparaissent des Marmites ou Charbonnières, gros chaudrons en acier, pour la fabrication du charbon de bois. Les charbonniers les remplissaient de bois et les enflammaient avec un savoir-faire particulier. De tout temps, les charbonniers étaient installés au cœur de la forêt et dormaient dans des cabanes à proximité de leur chantier.
Trois de ces marmites subsistent dans la forêt de l'aiguille, dont 1 au bord du sentier et les 2 autres au-dessus. Elles ne sont plus utilisées depuis 1958.

Jean Paul Calvet
(Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol -
Société de Recherches Spéléo-archéologiques du Sorézois et du Revélois)
Cet article est une synthèse de la publication parue sur "LES CAHIERS DE L'HISTOIRE n°17"
en vente à l'OT de Revel et des Cammazes.

1/ Les recherches archéologiques sur la région ont démontré la présence d'une dynamique de réduction de fer autour du Causse de Sorèze, avec présence de scories sur les différents versants de la montagne Noire. D'importantes traces de scories ont été révélées près du castrum de Roquefort (cf. Roquefort de la Montagne Noire), certains historiens n'hésitant pas à formuler l'hypothèse que la richesse des Roquefort pourraient être due en partie à la fabrication de fer. Ils pensent aussi que la force hydraulique de la vallée du Sor près de Durfort aurait pu dès le Moyen-âge être utilisée pour le traitement du fer (fabricae et moulines).
2/ On sait que les ressources de la Montagne Noire ont permis aux "maîtres verriers" de fabriquer du verre.
3/ AD, Tarn, H190, (f°19) Il s'agit d'une analyse du XVIème siècle d'un acte aujourd'hui disparu. Cabié E. - 1903 (voir biblio)
4/ D'après Jean Escande - Escoussens sous la Révolution et l'Empire. Labruguière 1992. Château d'Escoussens Editions.
5/ La technique était la fabrication de meulières ... Celles de Saissac faisaient 3 à 4 m de diamètre pour 2m de hauteur environ ...
6/ Résultat C14 - Cal AD (1660, 1955) Gif-9375. (cf. Rouzaud - Mauduit - Calvet - 1989-1992, p.23).
7/ L'Office de Tourisme des Cammazes avec la municipalité ont entrepris en 2010, une valorisation et protection de ce patrimoine local (voir annexe 4)... Les "marmites" ont reçu une protection anti rouille de qualité ... le même produit qui protège les plates-formes pétrolières maritimes. Ces marmites, ayant essentiellement servi durant la deuxième guerre mondiale, ne sont plus utilisées depuis 1958.
8/ Elle a toujours possédé une grande réserve de matière première avec son bois. D'autres vestiges de "marmites" existent près du Conquet et sur le versant nord de Jacournassy
9/ Voir aussi "Témoignages et souvenirs de la guerre 1939-1945 en Montagne Noire" par Albin Bousquet, paru dans le N°15 des "Cahiers de l' Histoire de Revel"
10/ D'après La Dépêche du Midi du 21 septembre 2010 - rubrique de Labruguière - d'après Maurice Le Pesant)
11/ Aimé Mucci : "Les forçats de la forêt" Editions Universitaires du Sud (BP 4011 - 31028 Toulouse Cedex 4).
12/ Cette technique ancienne permettait d'éviter de construire les parois étanches de la meule, mais évidemment diminuait les effets de convection. De nos jours encore, dans de nombreux pays (Tunisie par exemple), on produit pour usage personnel (domestique) du charbon de bois avec cette technique simple à mettre en place et pour de petites quantités

Couleur Lauragais n°144 - Juillet-Août 2012