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Couleur Lauragais : les journaux


Mes souvenirs de Revel

Je suis un vieux bonhomme, né à Revel en 1923. J'y ai passé mon enfance et mon adolescence jusque vers 23 ans où les nécessités de ma profession m'ont contraint à résider ailleurs. A l'âge de la retraite, j'ai regagné le bercail après 42 ans d'absence. Je revenais cependant à Revel tous les ans pendant la période des congés. Je me plais actuellement à évoquer mes souvenirs, dont une bonne partie se situe avant la guerre, durant mon adolescence.

Les écoles
L'école de filles se trouvait dans le bâtiment où est actuellement la MAPAD, une maison de retraite médicalisée. Je connais bien ce bâtiment : j'y suis né et ma mère qui était institutrice disposait d'un appartement de fonction dans cette école où je vécus jusqu'à l'âge de 6 ans.
L'école publique de garçons se situait dans le bâtiment où est installée aujourd'hui la perception, sur le tour de ville à l'entrée de l'avenue de Sorèze. Il y avait aussi une école de garçons sur les allées : c'était une école privée, l'Ecole des Frères comme on l'appelait à l'époque. Pour les filles, il y avait également une école privée, dite l'Ecole des Soeurs qui se trouvait dans les locaux de "la Providence". Il y avait encore, sur la commune de Revel, une école à Couffinal (qui existe toujours, je crois) une à Dreuilhe, et une autre à Vauré que je connais bien car j'y ai accompli mes études primaires et habité à partir de l'âge de 6 ans.

Beffroi de Revel

Revel est une bastide médiévale fondée en 1342 par
Philippe VI de Valois. Sa place centrale est dominée par
un beffroi entouré d'une halle couverte du XIVème siècle.
Cet édifice présente une charpente d'époque et abritait
à l'origine la maison commune avec sa tour de guet,
la chambre des consuls et une cellule de prison
au premier étage. Crédit photo : Couleur Média

Ayant changé de poste ma mère est restée institutrice à Vauré de 1929 jusqu'à sa retraite, en 1952. A l'époque Les Collèges assuraient l'enseignement de la 6ème à la terminale par des professeurs licenciés, tandis que les lycées ne comptaint que des professeurs agrégés. Le Collège de Revel comportait un internat, et disposait, en plus, de deux classes primaires.

Les bâtiments publics et les transports
La Poste se trouvait là où est installée maintenant la Banque Courtois, dans la rue Notre Dame. Le bâtiment actuel a été construit après la guerre à l'emplacement de l'ancienne place du marché à la volaille.
A cette époque, Il y avait deux gares : la première était la gare Revel-Sorèze, de la Compagnie du Midi (la S.N.C.F. n'existait pas encore). Le bâtiment est toujours là. Il y passait des trains de marchandises interminables et quelques trains de voyageurs qui allaient de Castelnaudary à Castres. On pouvait voir, avenue de Toulouse, une maison de garde-barrière. Cette maison est toujours là (mais il n'y a plus de garde-barrière !) et il y en avait d'ailleurs plusieurs sur le territoire de la commune.
L'autre gare se trouvait, presque en face, en retrait par rapport à la rue : il en partait deux lignes de chemins de fer à voie étroite de la Compagnie du Sud-Ouest. L'une de ses lignes reliait Revel à Toulouse par Montégut, Saint Julia, Auriac, Caraman, Lanta, Montaudran, le terminus se situant à Toulouse au Pont des Demoiselles. Ce train, qui traversait l'avenue des Frères Arnaud sur un pont, était tracté par des locomotives à vapeur poussives qui mettaient 4 heures pour faire le trajet. Elles ont été remplacées ultérieurement par des autorails qui mettaient environ 1 h pour rallier Toulouse, avant de disparaître enfin pour être remplacés par des cars. La voie ferrée de ce train rejoignait, du côté des Terrisses, la route de Montégut, où elle suivait la route (en empruntant une partie de la chaussée), qu'elle traversait à l'entrée du village. Elle retraversait ensuite la même route à la sortie du village et la longeait jusqu'à Saint Julia. À l'arrivée à Toulouse, cette même voie occupait de nouveau la partie droite de la chaussée depuis Montaudran jusqu'au terminus, au Pont des Demoiselles.
L'autre ligne était à traction électrique. Elle reliait Revel à Castres et traversait l'avenue de Castres, à peu près au niveau de l'actuel garage Peugeot. Ce train avait une mauvaise réputation et était considéré comme générateur de nombreux accidents aux passages à niveau qui n'étaient pas gardés. Il a été, lui aussi, remplacé par des cars.

Les fêtes
La fête de Revel avait lieu le premier dimanche de juillet, comme maintenant. Une fête de quartier, le Fénétra de la Patte d'oie, a existé pendant longtemps (peut-être a-t-elle toujours lieu, je ne fréquente plus tellement les fêtes). La fête du Farel n'existait pas à l'époque car au Farel il n'y avait que des champs. Et il y avait aussi (et encore aujourd'hui) les fêtes des trois "sections" : Couffinal, Dreuilhe et Vauré. Je me souviens qu'à l'épo-que, la fête de Vauré avait lieu au mois de novembre. C'était bien trop tard : j'ai vu des personnes danser avec des parapluies, sous des averses de neige.

Le Revel d'autrefois
Avant la Guerre, Revel était un gros village, une bourgade où la vie était paisible. Il était peuplé à 90% de personnes originaires "du coin". La moitié au moins de ces habitants se connaissait. Les jeunes de ma génération (j'avais 16 ans au moment de la déclaration de guerre) se connaissaient à peu près tous, ce qui n'est certainement plus le cas aujourd'hui. Revel est devenu une ville de près de 10000 habitants dont une forte proportion est venue d'ailleurs. Ces nouveaux venus ont été accueillis sans réticence et encore moins d'hostilité, mais cette population nouvelle a changé de manière non négligeable l'ambiance de la ville. Ne connaissant ni nos particularités ni nos habitudes ils ont apporté les leurs et contribué à une modification de notre mode de vie et notamment de notre vocabulaire : par exemple, on appelle aujourd'hui "confit" ce que nous appelions du "salé" (viande d'oie ou de porc cuite longuement dans la graisse, il n'y avait pas encore de canards gras) et ce pain peu cuit que nous nommions "flambade" se nomme maintenant "fougasse".
On doit sans doute à ces nouveaux venus doute la disparition à peu près totale d'un certain langage courant (surtout chez les jeunes générations) : des expressions directement issues du "patois" comme "ça rail" pour dire "ça n'a pas d'importance" ou l'emploi du mot "après" pour dire "avant", ou l'habitude (uniquement pour les gens qui se tutoyaient) de se dire "adieu", en se rencontrant ainsi qu'en se quittant, au lieu de bonjour et au revoir comme cela se fait maintenant. De plus le pourcentage de Revélois qui ne comprenaient pas (ou peu) le patois a énormément augmenté : on ne l'entend pratiquement plus parler en ville que le samedi au marché par les paysans venus des alentours. C'est bien dommage. Et sur le marché, je remarque même que de nombreux commerçants ou producteurs locaux n'ont pas l'accent de chez nous.
La vie à Revel était, à l'époque plus tranquille et plus douce. Il y avait moins de contraintes : peu de circulation, il n'y avait aucun sens interdit, aucun Stop ou balise de priorité, pas plus que de stationnement interdit ; on garait les automobiles où l'on voulait, dès lors qu'on ne gênait personne. Sur la place, il n'y avait pas de sens giratoire : on allait d'une rue à l'autre en passant tout droit.

Boulevard de la République un jour de marché à Revel il y a quelques années. On y négociait le bétail de ferme : bœufs, vaches, veaux, moutons, porcs et animaux de basse-cour.
Boulevard de la République un jour de marché à Revel il y a quelques années. On y négociait le bétail de ferme :
bœufs, vaches, veaux, moutons, porcs et animaux de basse-cour. crédit photo : collection Robert Pelissier

Heureuse époque où il y avait des poissons dans tous les petits ruisseaux qui arrosaient la campagne. On y prenait en abondance (les bons pêcheurs évidemment) du vairon, du goujon, du "cabot" et autres. Muni d'une canne à pêche (souvent un simple bambou car il en poussait au fond de mon jardin), une ligne, une boîte en fer blanc dont on avait percé le couvercle avec un clou pour mettre des vers, des asticots, des mouches et même, quelquefois, des sauterelles, on partait pêcher où l'on voulait, à la Rigole, à St Ferréol (même sur la digue), dans le Sor ou n'importe quel ruisseau, sans s'occuper de permis de pêche ou de société de pêche, qui n'existaient pas : c'était gratuit.
Je me souviens d'une partie de "braconnage", en toute illégalité, (on peut le dire maintenant, il y a prescription !) dans le Sor, entre Vauré et l'Albarel, en compagnie d'un copain et d'un professeur du collège. Nous avons traîné pendant 2 ou 3 heures un filet à petites mailles pour récolter en fin de compte une vingtaine de vairons, alors que dans le même temps, non loin de là, un pêcheur, opérant lui en toute légalité avec une canne à pêche avait pris une abondante friture de goujons et vairons. Il est donc vrai que le "crime" ne paie pas ! Maintenant il n'y a plus grand-chose, à part les truites de l'ouverture qui sont lâchées quelques jours avant.

Les hommes
lI y avait à Revel des personnages singuliers ou pittoresques affublés de surnoms (comme une majorité de Revélois, d'ailleurs) : le Garénou, le Farnat, la Marie sans Gène, et autres.
On pouvait aussi croiser de temps en temps, dans la rue, un "peillarot" (orthographe non garantie) acheteur de peaux de lapin qui annonçait sa présence par un cri : "Poooooo…d'lapins", ou d'un rémouleur qui cherchait des couteaux à affûter, d'un rétameur qui étamait les couverts et les casseroles en plein air (l'inox était encore inconnu, ainsi que les matières plastiques), ou encore d'un chevrier qui venait je ne sais d'où et circulait dans les rues avec plusieurs chèvres en vendant du lait et du "caillé". Il avait un pipeau qui se signalait à l'attention des clients par un petit air, toujours le même : "doooo-ré mi fa soooool-la soool". Cela mettait un peu d'animation, car, il faut bien le dire, les distractions étaient rares.
Les salons de coiffure pour hommes constituaient des lieux conviviaux et parfois pittoresques. On y rencontrait en général un client sur le fauteuil, deux ou trois qui attendaient leur tour, et deux ou trois personnes qui n'étaient là que pour discuter et commenter ce qui se passait en ville. On n'avait pas besoin de la chronique du journal pour connaître les nouvelles. Il suffisait de pousser la porte d'un coiffeur de connaissance.
Le prêt à porter étant encore peu développé, les costumes étaient en général confectionnés sur mesure. Sur le tour de ville, à peu près à l'emplacement actuel d'un marchand de téléphones portables, une chemisière réalisait une bonne partie des chemises de la ville.
Près de là on pouvait aller chez la "millassaïré" (orthographe non garantie), qui découpait pour le client de larges tranches de millas, qu'elle avait longuement fait cuire dans un chaudron et étalé ensuite sur un drap étendu sur une table.

Les commerces
Avant la guerre et même un peu après, les commerces étaient groupés au centre ville. Sur la place centrale, il y avait notamment un hôtel, trois épiceries, deux charcuteries, deux bazars (l'un existe toujours, les Nouvelles galeries, l'autre, le bazar Bœuf, a été remplacé dès avant guerre par une pharmacie), une autre pharmacie (qui est toujours là), deux marchands de chaussures et de sabots (ce genre de chaussure étant largement utilisé à l'époque à la campagne, mais aussi un peu en ville), une bijouterie, une boucherie, un marchand et fabricant de meubles, deux coiffeurs, un marchand de fruits et légumes, deux électriciens, une modiste et une mercerie.
Dans les rues avoisinantes, en partant de la place, on trouvait :
Rue de Soréze (actuellement rue Jean Moulin) : au coin de la place, une boucherie, un boulanger et un coiffeur.
Rue Victor Hugo : un café, un marchand de tissus, un mécanicien "vélos-motos", deux coiffeurs, une marchande de parapluies et coutellerie, une quincaillerie, une pâtisserie, un horloger, un boucher, une droguerie, un marchand de primeurs, un marchand de journaux (le seul qu'il y avait je crois), un armurier, deux photographes, un boulanger, un bureau de tabac, deux marchands de meubles, et, me semble-t'il, une épicerie.
Rue du temple, il y avait peu de commerces : une épicerie-tabac (qui a survécu à ce jour), et une autre épicerie (la "coopé", associée à une charcuterie et un marbrier).
Rue de Vauré : trois coiffeurs, un horloger-bijoutier, une crèmerie, une librairie, un chapelier, un marchand de chaussures, un marchand de vêtements, un charcutier, un boucher, deux marchands de meubles, un marchand de légumes, une droguerie, un boulanger, deux électriciens.
Rue Saint Antoine (actuellement rue Marius Audouy) : un marchand de tissus, un commerçant en plumes et duvets (Marius Audouy, l'ancien maire, mort en déportation, qui a donné son nom à la rue), une boucherie, une droguerie, un pâtissier, un café, un boulanger, une imprimerie, une épicerie et l'Hôtel de la Lune. C'était une véritable institution à Revel qui avait une clientèle de voyageurs de commerce. Il utilisait une sorte de fiacre luxueux tiré par un cheval pour aller chercher les clients à la gare. Le restaurant était assez fréquenté par les revélois, surtout le samedi soir et le dimanche.
Rue de Dreuilhe : on trouvait deux boulangers, deux marchands de chaussures, une pharmacie, une épicerie, une mercerie.
Rue Roquefort (actuellement rue Georges Sabo) : il n'y avait pas de commerce, mais une étude de notaire (Georges Sabo)
Rue Notre Dame : une pâtisserie, au coin de la place, un marchand de fruits et légumes, un rempailleur de chaises, une épicerie, un serrurier, et un marchand de vins.
Sur le "Tour de Ville" : un armurier, plusieurs cafés, un marchand de tissus et vêtements, un bureau de tabac, un coiffeur, un forgeron, un marchand de meubles, un tapissier, trois épiceries, deux garages, un hôtel, deux restaurants, la Caisse d'Epargne et une entreprise de bâtiment.
0n pouvait faire toutes ses courses sur la place et dans un rayon de trois cents mètres environ.
Sur l'avenue de Castelnaudary, la Brasserie Revéloise approvisionnait en bière les divers cafés de Revel. À l'époque, au café, on buvait de la bière souvent additionnée de limonade, ou du vin blanc. Le vin rouge et l'eau évidemment était consommés pendant les repas en famille. En 1940, au moment de la débâcle, de nombreux soldats originaires de toutes régions réclamèrent aux bistrots un verre de rouge, ce qui avait pris au dépourvu les cafetiers car la plupart n'en avaient pas ; bien entendu, ils se sont rapidement organisés pour faire face à la demande.

   De tradition médiévale, le marché couvert de Revel présente l'exemple accompli des halles sur poteaux de bois... Depuis plus de six cent ans, les fermiers y vendent leur production chaque samedi matin. Le marché de Revel est classé parmi les 100 plus beaux marchés de France et fait la fierté des autochtones.
De tradition médiévale, le marché couvert de Revel présente l'exemple accompli des halles sur poteaux de bois...
Depuis plus de six cent ans, les fermiers y vendent leur production chaque samedi matin. Le marché de Revel est classé
parmi les 100 plus beaux marchés de France et fait la fierté des autochtones. crédit photo : Couleur Média

La santé publique
L'hôpital était tenu par des Soeurs de la Charité, coiffées de grande cornettes blanches ; il disposait d'une salle d'opération où venait exercer, certains jours, un chirurgien de Toulouse.
Il n'y avait à Revel que trois médecins, trois dentistes et une sage-femme. Aujourd'hui, nous disposons de 15 médecins généralistes, un cabinet de radiologie, un cardiologue, un dermatologue, un gynécologue, un ophtalmologue, et un "psy", plus 8 kinés, 4 pédicures, un orthoptiste et un psychomotricien.

Je m'aperçois que j'ai été peut-être trop bavard. Pour ma part, j'ai pris un réel plaisir à évoquer ce passé, qui paraît lointain, mais qui me semble pourtant dater d'hier.

Norbert GUIRAUD



Couleur Lauragais n°139 - Février 2012