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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Hiver 56 : témoignage vécu

Artisan revélois, Gilbert Puginier nous fait revivre, à travers ses souvenirs et quelques anecdotes, le terrible hiver de février 1956. Il a illustré son témoignage par des photos d’hiver qui, bien que plus récentes, montrent combien la neige et le froid peuvent figer un paysage.

Revel, le 9 janvier 2010 : le lotissement du Pont Richard vu depuis la barrière de la route de Montégut.

Revel, le 9 janvier 2010 : le lotissement du Pont Richard vu depuis la barrière de la route de Montégut.

Retour vers le passé
Actuellement retraité du bâtiment, j’avais alors 26 ans et mon épouse 21 quand nous avons vécu ce terrible hiver de 1956. Nous étions aux premiers jours de février. Depuis l’automne, la température était restée particulièrement douce et l’on travaillait en bras de chemise sur notre chantier de la pisciculture du “Moulin
du Roy”. Ce jour-là, nous venions de terminer notre dernier ouvrage en béton. Durant la journée, le ciel s’était obscurci et chargé de gros nuages noirs et lourds, il fit nuit de bonne heure et la neige se mit à tomber. Cela dura plusieurs jours de suite de sorte que la couche atteignit 40 à 50 cm. Piétinée et tassée par le va et vient des habitants, elle devint vite une véritable patinoire, tandis que le thermomètre baissait tous les jours de plusieurs degrés. Une température polaire régna bientôt sur le pays et sur toute l’Europe (La Dépêche du Midi du 1er février 1956 annonçait dans ses colonnes une vague de froid qui s’installait sur l’Europe avec déjà moins 53° en Suède).

Revel, le 10 janvier 2010 : notre automobile est ensevelie sous environ 18 à 20 cm de neige
Revel, le 10 janvier 2010 : notre automobile est ensevelie sous environ 18 à 20 cm de neige

Les conséquences ne se firent pas attendre
Toute activité s’arrêta car il était impossible de circuler sur les routes. Chaque ville, chaque village ou chaque ferme devaient se suffire à eux-mêmes car ils se trouvaient isolés de tout contact. Ce n’est qu’à pied qu’on pouvait rendre visite à leurs habitants ou qu’eux-mêmes pouvaient se rendre en ville. Et beaucoup n’avaient pas de téléphone à cette époque.
Nous avons tous souffert du froid avec les mêmes problèmes : trouver de quoi alimenter nos cheminées ou nos cuisinières ; certains ne se chauffaient qu’à la flamme d’un petit “brasero” d’alcool disposé dans un récipient au milieu de la pièce. Se nourrir était aussi difficile, on ne trouvait pas de légumes et pour ceux qui avaient un jardin, il fallait la pioche pour arriver à arracher des poireaux du sol.
Quant à nous, qui étions jeunes et disponibles, nous nous sommes fait une joie d’aller aider les pompiers, les municipaux ou les associations pour distribuer du pain aux personnes seules, aux personnes âgées comme aux jeunes qui avaient des bébés. Il y avait tant à faire à l’extérieur ! Nous trouvions parfois des personnes âgées décédées dans leur foyer et, pour d’autres, il était grand temps qu’on arrive chez elles pour les transporter à l’unique hôpital de Revel.
Il y a eu d’autres hivers un peu rudes, notamment celui de 85/86, mais de toute ma vie, à l’âge de 80 ans, je n’en ai pas vu d’aussi dur et d’aussi terrible. De source sûre, la température est descendue dans notre région lauragaise jusqu’à moins 22°, certains affirment même jusqu’à moins 24°. C’était vraiment un hiver sibérien et même les personnes les plus âgées de cette époque ne se souvenaient pas non plus d’en avoir vécu de pareil dans toute leur vie.
Les gelées nocturnes s’ajoutaient aux gelées de la veille, le soleil n’apparut pas de plusieurs semaines, à croire qu’il nous avait abandonné. Pour la grande joie des plus jeunes, le sol n’était plus qu’une véritable et merveilleuse patinoire, de même que les lacs et les rivières.
Tout fut gelé : les vignes, les arbres, en particulier les arbres fruitiers, et même les platanes dont le tronc se fendait (on pouvait y entrer la main tant les fentes étaient larges et profondes). Les conduites d’eau avaient gelé sous les trottoirs qui éclataient. On imagine les dégâts lorsqu’il y eut dégel et que les pompiers ne surent où donner de la tête.

Revel, le 9 janvier 2010 : vue sur la rue de la Liberté, au fond on aperçoit l’église.
Revel, le 9 janvier 2010 : vue sur la rue de la Liberté, au fond on aperçoit l’église.

Deux anecdotes pour illustrer cette période
Notre lac de Saint Ferréol étant gelé sur 40 cm d’épaisseur, une deux chevaux, avec au volant un courageux et téméraire conducteur (un peu inconscient, il faut le reconnaître !) le traversa de part en part. C’est la seule et unique fois qu’une voiture a traversé le lac. Toute la ville en a parlé et en parle encore.
Une autre anecdote également vraie : deux “accros” de la pêche (bien connus à Revel mais dont je ne dévoilerai pas les noms) firent le pari de faire l’ouverture de la pêche à la truite au lac de Saint Ferréol qui était donc gelé. Ils y montèrent à pied, bien sûr, et le seul point d’eau où ils purent tremper leurs fils fut le point de chute de la cascade du déversoir, au bout de la digue.
Il n’y avait même pas 50 centimètres carrés d’eau non gelée. Qu’importe, ils y trempèrent leurs lignes mais… pas longtemps, car leurs fils se gelaient (eux aussi !) et s’engluaient de glace, ils devinrent aussi raides que leurs cannes. Mais ils étaient heureux nos deux pescofis car ils avaient tenu leur pari et purent raconter avec fierté et humour qu’ils avaient participé à l’ouverture de la truite en ce terrible hiver 56.

Revel, le 9 janvier 2010 : la passerelle de la Rigole de la Plaine.
Revel, le 9 janvier 2010 : la passerelle de la Rigole de la Plaine.

Beaucoup de ceux qui liront ce témoignage se souviennent, j’en suis sûr, de cette vague de froid qui s’abattit sur toute l’Europe, qui tua près d’un millier de personnes dont une centaine en France, et fit des dégâts considérables à l’agriculture en ce mois de février 1956. Elle fut une des plus glaciales enregistrées au cours de ce dernier siècle, des températures à faire exploser les thermomètres. Sûr, de mémoire d’homme, cela ne s’était encore jamais vu !

Gilbert Puginier
Revel


Couleur Lauragais n°129 - Février 2011