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Couleur Lauragais : les journaux

BALADE EN LAURAGAIS

Le Lauragais sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle

Le Lauragais est sur l’une des routes les plus emblématiques de tous les chemins antiques : la voie d’Arles, qui depuis le Moyen-Âge mène les pèlerins à Saint-Jacques-de-Compostelle. En 2010, deuxième année jacquaire du troisième millénaire, le Lauragais connaîtra une affluence record de pèlerins munis de leur crédenciale (journal du Pèlerin), bourdon (bâton de pèlerin) à la main.
La voie d’Arles est l’un des quatre grands chemins menant à Saint-Jacques de Compostelle reconnus en France, mais le seul à franchir les Pyrénées par le col du Somport et non par Roncevaux et le seul à double sens, c'est-à-dire utilisé aussi bien pour se rendre à Rome qu’à Compostelle. Ces particularités, la via Arletensis ou via Tolosane, les doit à son histoire plus que millénaire.
Laurac a donné son nom au Lauragais dont  il fut la capitale. Le village (tout petit) magnifique est circulaire (circulade) et se développe autour de l’église actuelle, occupant, elle, l’emplacement de l’ancien château médiéval aujourd’hui disparu.

Un pèlerin longeant le canal du midi.
Crédit photo : Association des chemins de Saint Jacques en Occitanie

Une voie antique pratiquée depuis la haute antiquité
Fréquentée depuis la plus haute antiquité, la voie mythique qui relie les versants méditerranéen et océanique du sud de l’Europe, conduisait en marchant vers le couchant, en suivant les étoiles, jusqu’à son extrémité la plus occidentale au Nord-Ouest de la péninsule Ibérique, à l’endroit où le monde fini : Cap Finisterre en Galice (Corogne), c'est-à-dire “au bout du monde”.
Au milieu du IXe siècle (année 813), avec la découverte en Espagne à l’extrémité de la côte cantabrique, des reliques de l’apôtre Jacques le Majeur, commence un culte local dont la renommée se répand rapidement dans toute l’Europe. Les premiers pèlerins arrivent un peu avant l’an mille. Le voyage en Terre Sainte devenant périlleux, aller à Compostelle devint aussi méritoire que d’aller à Jérusalem.

Le chemin de Saint-Gilles
Alors que les comtes de Toulouse s’honoraient de porter le titre de Comte de Saint-Gilles, comment ne pas évoquer la ville de Saint-Gilles à quelques pas d’Arles ; au IXe siècle son abbaye était déjà réputée pour les miracles du saint. En 1046, Saint-Gilles est mentionnée comme lieu de pèlerinage au même titre que Saint-Jacques-de-Compostelle et Saint-Pierre de Rome.
Raimond IV, dit Raimon d’Orient, parti dès la première croisade (1096-1099), qui a fondé le comté de Tripoli, était aussi appelé Raimond de Saint-Gilles. Berceau de la dynastie comtale, Saint-Gilles, était une ville resplendissante avec sa belle basilique, son port sur le Petit-Rhône et ses quais d’embarquement pour la Palestine. Les princes ramondins y ont un palais comtal, véritable centre politique de la dynastie toulousaine en Bas-Languedoc et seconde capitale de leur domaine après Toulouse.
C’est dans la crypte de l’église de Saint-Gilles que se trouve, à côté du tombeau du saint, celui de Pierre de Castelnau légat du pape, prédicateur en pays d’oc. Son assassinat en 1208, alors qu’il franchissait le Rhône, déclencha la Croi-sade contre les Albigeois notamment en terre lauragaise.

Voie des grands courants civilisateurs
La fréquentation de la route de Compostelle par le Lauragais et Toulouse sera particulièrement élevée à l’apogée de la civilisation occitane, les échanges maritimes et terrestres avec l’étranger et les riches productions locales ayant permis l’épanouissement d’une brillante civilisation.
A Toulouse la Basilique St Sernin, consacrée en 1096 par le Pape Urbain II, est un site majeur du pèlerinage vers Compostelle avec ses nombreuses re-liques à vénérer et sa capacité à recevoir de nombreux pèlerins. Les troubadours y chantent l’amour courtois et répandent un certain art de vivre, extraordinaire embellie que viendra anéantir la Croisade.

La Voie d’Arles, trait d’union entre les versants méditerranéen et atlantique, constitua de tout temps un vivier propice aux grands courants civilisateurs du vieux continent.

Les quatre chemins de Saint Jacques

Les chemins de Saint-Jacques de Compostelle
Le pèlerinage à St Jacques de Compostelle est devenu un fait culturel des plus marquant ; des hommes et des femmes parcourent les chemins d’Europe en quête de spiritualité ou de dépassement d’eux. Quatre Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle sont répertoriés en France dont trois au nord de Toulouse qui passent par Saint-Jean-Pied-de-Port en pays basque : la route du Puy (Via Podensis) par Conques et Moissac, le chemin de Vézelay ou voie limousine (Via Lemovicensis) par Limoges et Périgueux et la voie de Paris ou de Tours (via Turonensis) par Bor-deaux. La voie d’Arles passe par le Lauragais et Toulouse.
La Voie d’Arles officiellement retenue actuellement (GR653), venant de Castres, entre en terre lauragaise du côté de Sorèze puis passe par Revel, Saint-Paulet, Montferrand, Naurouze, Avignonet, Villefranche-de-Lauragais, Montgaillard-Lauragais, Baziège, Montgiscard, Corronsac pour rejoindre Toulouse par Mervilla, Pechbusque, et Pouvourville (hors Lauragais) ; elle se poursuit vers Auch, Pau et le Col du Somport.

Castelnaudary sur le chemin de Saint Jacques
Au Moyen-âge, d’autres routes ou chemins étaient empruntés par les pèlerins pour se rendre à Compostelle, à travers le Lauragais qui a toujours été une voie de passage et d’échange entre l’Est et l’Ouest ; parmi ces voies, celle par Castelnaudary et le seuil de Naurouze, était aussi fréquemment empruntée, comme en témoignent les journaux de pèlerinage.
Ainsi dans son journal de pèlerinage, le moine Hermann Külig partant de Notre-Dame d’Einsiedeln (sanctuaire marial suisse) indique en 1495, qu’il est passé à Aigues-Mortes, Béziers, Trèbes, Carcas-sonne, Villepinte, Castelnau-dary, Avignonet, Villefranche-de-Lauragais, Montgiscard et l’Hospice de Castanet, pour se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle. Un marchand du XVe siècle écrit dans son journal (Bibliothèque Marciana de Venise) que pour se rendre à Com-postelle il passe à Béziers, Pennautier, Alzonne, Villepinte, Lasbordes, Saint-Martin Lalande, Castelnaudary, Avignonet, Villefranche-de-Lauragais, Villenouvelle (hôpital), Montgiscard (hôpital). Autrement dit ces pèlerins, comme de nombreux autres passent par le traditionnel axe Castelnaudary - Seuil de Naurouze - Baziège.

Chemins en Lauragais

Des hôpitaux pour les pèlerins
Au début les itinéraires étaient simplement signalés par des croix placées aux carrefours des chemins ou en un endroit très visible. Puis, peu à peu des chapelles, des églises, des oratoires jalonnèrent la route. Les moines de Cîteaux et surtout de Cluny créèrent tout un réseau de monastères, prieurés, mais aussi d’hôpitaux pour recevoir les pèlerins. Des confréries de pèlerins s’établirent le long des routes de Compostelle pour promouvoir le culte de saint Jacques (ou saint Jammes), mais aussi de saint Roch (1340-1379), patron des pèlerins et de nombreux corps de métiers (chirurgiens, boulangers, ouvriers de la pierre…).
L’activité traditionnelle des confréries de pèlerins est hospitalière. Dans les maisons dénommées hôpitaux, du latin hospitalis relatif à l’hôte ou à l’hospitalité (qui reçoit bien, où l’on est bien reçu), les pèlerins y trouvent hébergement (gîte et souvent couvert) et quelques soins (soins des pieds notamment), parfois des vêtements. On estime qu’il y avait au XIVe siècle, au moins une hôtellerie ou un refuge par étape de 8 à 10 heures de marche installés dans les faubourgs (barrys) des villes, car à partir de la tombée de la nuit les portes des villes étaient closes. Souvent l’hôpital possédait à proximité un cimetière et une chapelle.

L'oratoire Ste Eulalie, Ste Colombe

L'oratoire Ste Eulalie, Ste Colombe - Crédit photo : Lucien Ariès
La statue de SAINT ROCH, ÉGLISE DE REVEL

La statue de Saint Roch, église de Revel

Crédit photo : Lucien Ariès

Une multitude de témoignages jacquaires en Lauragais
Venant de Dourgne, le GR 653 (Voie d’Arles) passe par Sorèze avec sa rue Saint-Jacques, son ancien hôpital Saint-Jacques et sur le plateau les ruines de la chapelle Saint-Jammes de Bezeaucelle du XIe siècle. Le GR emprunte le pont sur le Sor à proximité de la ferme “les Cédassier”, où une croix Saint-Jacques oriente, par le chemin de la Roumenguière, vers le carrefour de la route départementale D 622 (route de Castres) ; ce carrefour est signalé par une croix jacquaire marquée Via Tolosana.

Croix Jacquaire chemin de la Roumenguière (Revel)
Croix Jacquaire chemin de la Roumenguière (Revel)
crédit photo : Lucien Ariès
Croix jacquaire près de la ferme "Les Cédassiers" (Sorèze)
Croix jacquaire près de la ferme "Les Cédassiers" (Sorèze)
crédit photo : Lucien Ariès

La voie d’Arles traverse Revel, avec son église Notre-Dame riche en témoignages jacquaires. Sur la façade de l’église figure la statue de saint Jacques reconnaissable à son bâton de pèlerin (le troisième à partir de la gauche), parmi les douze apôtres. A l’intérieur se trouve une statue de saint Roch pèlerin, montrant ses plaies, avec bourdon (bâton de pèlerin) et calebasse (gourde) à la main, deux coquilles cousues sur sa pèlerine (large et long manteau), avec son chien (chien de Gothard) ; un vitrail représente saint Roch avec le chapeau à large bord capable de protéger le pèlerin de la pluie et du soleil, avec une coquille cousue sur sa courte cape au niveau de chaque bras.

Croix Jacquaire chemin de la Roumenguière (Revel)

Les douze apôtres sur le fronton de l'église de Revel
crédit photo : Lucien Ariès

 

Vitrail représentant le pélerin St Roch, église de Revel
crédit photo : Lucien Ariès

Croix jacquaire près de la ferme "Les Cédassiers" (Sorèze)

Contrairement à l’itinéraire historique qui passait plus au nord, le GR, gagne Naurouze et Montferrand en profitant des frondaisons de la Rigole d’alimentation du Canal du Midi. Sur la hauteur, à la sortie du village de Saint-Félix (route D 622), se trouve la chapelle romane Saint-Roch, avec dans le cœur la statue de saint Roch ; cette chapelle est située à proximité d’un ancien hôpital Saint-Jacques, aujourd’hui disparu (quartier Saint-Roch) situé de l’autre côté de la route (en face).

La statue du pélerin St Roch, la chapelle St Roch à Saint Félix
La statue du pélerin St Roch, la chapelle St Roch
à Saint Félix
- crédit photo : Lucien Ariès
La chapelle St Roch à Saint Félix Lauragais
La chapelle St Roch à Saint Félix - crédit photo : Lucien Ariès

L’une des chapelles de l’église d’Avignonet-Lauragais est dédiée à Saint-Jacques avec un vitrail (1809) représentant saint Jacques le Majeur avec une coquille sur l’épaule droite.
Montesquieu-Lauragais, probablement sur l’un des nombreux chemins transversaux qui rejoignent la voie d’Arles ou sur une route de crête doublant l’itinéraire antique de la plaine, possède aussi plusieurs témoignages jacquaires : Grande Rue Saint-Jacques, église dédiée à Saint-Jacques, une statue de saint Jacques apôtre, en terre cuite fin XVIIe ou début XVIIIe siècle dans la rue des Plumassières représente l’apôtre prêchant la bonne parole avec le livre des évangiles ouvert sur l’avant bras gauche ; il est aussi fait mention d’un Hôpital Saint-Jacques et d’une Confrérie en 1387 à Montesquieu.

Vitrail représentant le pélerin St Jacques, église d'Avignonet Lauragais

Vitrail représentant le pélerin St Jacques, église d'Avignonet Lgais crédit photo : Association des chemins de Saint Jacques en Occitanie
La statue de St Jacques, Montesquieu Lauragais

La statue de St Jacques, Montesquieu Lauragais - crédit photo : Association des chemins de Saint Jacques en Occitanie

Baziège est sur le tracé antique de la voie d’Arles. Dans son église, une des chapelles (3ème travée sud) est dédiée à saint Jacques, les culs-de-lampe de la voûte sur croisée d’ogives simples de cette chapelle présentent sur deux d’entre eux, la coquille et le bourdon du pèlerin ; un vitrail représente saint Jacques le Majeur tenant à la main droite le livre des évangiles, main gauche le bourdon avec une coquille agrafée à son chapeau à large bord. A la sortie ouest de la ville de Baziège (porte de Cers), il y avait un hôpital (Hôpital St Robert) ; un document de 1688 indique qu’il s’agit d’une maison à “bas étage de 3 à 4 chambres” jouxtant le cimetière du même nom, située à l’ouest de l’hôpital. Il est aussi fait état d’une ancienne confrérie de pèlerins Saint-Jacques.

Cul de Lampe avec bourdon et coquille, église de Baziège

Cul de Lampe avec bourdon et coquille, église de Baziège
crédit photo : Lucien Ariès
cul de lampe avec coquille, église de Baziège

Cul de lampe avec coquille, église de Baziège
crédit photo : Lucien Ariès

Par le GR on arrive à Baziège par le hameau de Sainte-Colombe. A proximité de sa chapelle, un petit édifice abrite une dalle de pierre sculptée, enchâssée dans le mur, décorée d’une coquille et d’étoiles (coins de la dalle), étoiles qui font aussi partie de la symbolique jacquaire. A Montgiscard, une maison de la Confrérie Notre-Dame se crée vers 1381-1382, qui prendra ensuite le nom d’hôpital St Jacques. L’énigmatique croix de chemin octogonale en pierre de Donneville du XVe siècle en trois éléments, dont le fût est orné de huit personnages, peut-être des apôtres, serait aussi à classer dans les jalons guidant les pèlerins et autres gens de passage.
Les témoignages jacquaires (confréries ou hôpitaux dédiés à saint Jacques ou à saint Roch, coquilles sculptées, lieux dits) sont également nombreux sur la voie qui passe par Castelnaudary. Ainsi pour cette seule ville, à différentes époques, on peut citer par exemple : une confrérie Saint-Jacques installée dans l’église paroissiale, un hôpital Saint-Roch, une chapelle Saint-Roch aux écluses, un hôpital Saint-Jacques, une chapelle Saint-Jacques à l’Hôpital...

Coquille jacquaire, oratoire de Ste Eulalie

Coquille jacquaire, oratoire de Ste Eulalie
crédit photo : Lucien Ariès
Rue Saint Jacques à Sorèze

Rue Saint Jacques à Sorèze
crédit photo : Lucien Ariès

2010 année jacquaire
Le 25 juillet, fête de Saint-Jacques, tombant un dimanche 2010 est une année jacquaire ; ce fut le cas en 2004 et ce le sera ensuite en 2021. Pour cette deuxième année jacquaire du troisième millénaire, le 2ème Relais Pédestre Européen nommé «Europa Compostella 2010» a été mis en place à l’initiative de la Fédération Française des Associations des Chemins de Saint Jacques de Compostelle, avec le soutien du Conseil de l’Europe.
Dans ce contexte, ce sont des cohortes de marcheurs porteurs du message “Pèlerins solidaires de la terre et des hommes” qui, jours après jours, se passeront de main en main le relais “un bourdon et un livre d’or”, pour le faire parvenir à Compostelle. C’est l’Association des Chemins de Saint Jacques en Occitanie* qui gérera en partenariat avec les mairies et les associations locales, cette chaîne humaine, notamment en Lauragais (gîtes associatifs Saint-Jacques à Revel et Baziège), où vous pourrez faire un bout de chemin avec eux, le 31 juillet à Revel, le 1er août à Montferrand et le 2 août à Baziège, le long des chemins qui mènent à Compostelle, véritable patrimoine naturel, culturel et spirituel transmis par nos ancêtres.

Lucien Ariès

(*) Merci à l’Association des Chemins de Saint Jacques en Occitanie (M. L. Borel présidente, M.T. Berenger, F. Espitalier, P. Laut) pour leurs témoignages.
Bibliographie :
Jacques Batigne : Le chemin de Saint-Jacques de Compostelle en Lauragais - Couleur Lauragais n°94 juillet/Août 2007.
Lucien Ariès : Le Lauragais, Terre de passage d’échanges, d’échanges et de cultures (250 pages) 2006, en librairie.

Couleur Lauragais n°124 - Juillet Août 2010