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Reportage

Les noms de rivières et de ruisseaux du Lauragais

Les noms des rivières et des ruisseaux du Lauragais sont très variés ; ils nous parlent de leur parcours à travers plaines et coteaux ou de leurs origines avec une telle pertinence, qu’ils ont résisté à l’usure du temps, même après plusieurs siècles.
Sources, ruisseaux et rivières, gages de vie et de prospérité, de tous temps ont fasciné les hommes ; élevés au rang de divinité avant l’ère chrétienne, objets de cultes, recevant offrandes et sacrifices, ils ont guidé l’implantation de l’habitat et porté au plus haut toute l’activité humaine et notamment l’agriculture.

L'épanchoir de Naurouze évacue vers le Fresquel le trop plein du bassin
L'épanchoir de Naurouze évacue vers
le Fresquel le trop plein du bassin - crédit photo : Lucien Ariès
De nos jours, plus que jamais, il sont au cœur même de toutes nos préoccupations et la gestion de l’eau, potable ou usée, soucis majeur de la planète pour les siècles à venir, requiert une attention toute particulière.

Mais qui sont-ils ces cours d’eau qui ont porté la vie en Lauragais ? - Ici, point de fleuve, que des rivières, mais surtout un réseau étonnant, dense et ténu de centaines de petits ruisseaux qui courent aux creux des vallées de ce pays aux mille collines. La carte des rivières et des ruisseaux permet de bien distinguer d’une part le versant méditerranéen avec le Fresquel et d’autre part le versant océanique avec notamment l’Hers, principale rivière du Lauragais occidental avec ses très nombreux affluents (voir la carte). La ligne de partage des eaux passe par le seuil de Naurouze, lieu d’alimentation du Canal de Midi par les eaux de la Montagne Noire amenées par la rigole.

Si les noms des plus petits ruisseaux proviennent d’un nom commun occitan ou français qui évoque la topographie, la flore, la faune ou l’activité humaine du terroir traversé, ceux des autres grands cours d’eau clament leur identité de rivière avec leurs propres caractéristiques (caillouteuse, tranquille, venant des sommets rocheux….) ou simplement de transporteur d’eau dans une langue « archaïque » qui remonte à plus de deux millénaires, aujourd’hui oubliée (cf. livre* Les noms de rivières et de ruisseaux du Lauragais, 2010, L.Ariès).

Des ruisseaux qui parlent de nos forêts - Les ruisseaux conservent parfois le souvenir des forêts, bois et taillis, aujourd’hui disparus. L’occitan selva forêt a donné ruisseau de la Selve (aff. r. g. ruisseau du Py) et le mot bois se retrouve dans ruisseau du Bois de la plaine (aff. ruisseau de la Roque, cne de Saint-Léon). L’occitan bruga bruyères, taillis de bruyères et par extension terrain couvert de broussailles, de buissons explique ruisseau des Brougues (aff. r. g. du Marès) et ruisseau de Braouguet (aff. r. d. du Jammas, cne de Peyrefitte-sur-l’Hers). L’occitan boissonade hallier, ensemble de buissons très épais, a donné ruisseau de la Bouissonnade (aff. r. d. de la Vixiège) et ram ramée (bosquet) se retrouve dans ruisseau de Ramonde (aff. r. d. ruisseau du Py, cne de Pécharic et le Py, limite cne de Pechluna) et dans ruisseau de Ramounette (aff. r. g. ruisseau de la Bouissonnade, commune de Fanjeaux) avec un suffixe diminutif. Le mot garrigue
qui désigne un lieu inculte (friche), difficile à mettre
en culture, des landes ou des terrains rocailleux a donné
la Garrigue (aff. r. g. de la Saune), ruisseau de Garrigou (aff. r. d. Grand Hers) et ruisseau du Garrigal (aff. r. g.
du Jammas)

Des ruisseaux qui marmonnent le nom de nos arbres Plusieurs variétés d’arbres ont donné des noms de petits cours d’eau. Le saule, alba en occitan, albareda (saulaie), a donné ruisseau de l’ Albarède (aff. r. g. de la Marcaissonne et aff. du ruisseau de Tédèlou). Le châtaignier, castanh en occitan, se retrouve dans ruisseau de Castanet (aff. r. g. de l’Hers), ruisseau de Casta-gniès (aff. r. g. ruisseau de la Selve, cne de Pecharic et le Py). Le chêne casse en occitan (cassanha forêt de chênes) a donné ruisseau du Cassignol (aff. r. d. de l’Ariège). Le hêtre fau ou fag et fage (hêtraie, dans le Midi) se retrouve dans plusieurs ruisseau de la Fage (aff. r. d. ruisseau de Borde, communes de Caraman et Cambiac, aff. r. d. ruisseau
de Fumas, cne de Castanet-Tolosan, aff. r. g. de la Thésauque, cne de Montes-quieu-Lauragais) et dans ruisseau de Lafage (aff. r. g. ruisseau des Barelles et aff. r. g. ruisseau de la Vixiège). L’occitan vèrn ou vèrnhe, issu du gaulois verno aulne ou vergne est dans ruisseau de Verniole (aff. r. g. du Rifaudès, cne de Saint-Sernin) avec un suffixe collectif. Le frêne, fraisse en occitan explique ruisseau de la fraissinette (aff. r. g. de la Saune). L’occitan raus roseau (rausièra champ de roseaux) influencé par l’occitan ròsa rose (fleur) a donné ruisseau des Rosiers (aff. r. g. de l’Hers, communes de Montgiscard, Donneville) avec un suffixe collectif.

Ruisseau des rosiers : présence de roseaux
Ruisseau des rosiers : présence de roseaux - crédit photo : Lucien Ariès

Des ruisseaux qui se réclament de nos bordes - Le mot borde (métairie) est des plus répandus dans les noms de lieux du Lauragais et se retrouve dans plusieurs noms de petits ruis-
seaux : ruisseau de Borde (aff. r. d. de la Saune), ruisseau de la Borde du Bosc (aff. r. d. du Grand-Hers), ruisseau de Borde vieille (aff. r. g. du Rifaudès, cne de Belpech), ruisseau de Bordeneuve (aff. r. d. Ruisseau de la Pointe, cne de Calmont),
les Bordes (aff. r. d. de la Tésauque cne de Gardouch).

Des ruisseaux qui jaillissent - Plusieurs ruisseaux doivent leur nom à leur source, font en occitan (source, fontaine) : ruisseau de Fonfredo (aff. r. g. ruisseau de Jean de Dieu, cnes de Maureville et Aurin) avec freda froide, ruisseau de Fontfroide (aff. r. d. de l’Hers, cne de Salles-sur-l’Hers), ruisseau de Font Grassalet avec grassa graveleux (aff. ruisseau de la Roque), ruisseau de la Font Grande (aff. r. d. ruisseau de Merdéric, cne de Mauremont), ruisseau de la Font Saint-Martin (aff. r. d. ruisseau de la Preuille, cnes de Fanjeaux et de la Force), ruisseau de Font Salade (aff. ruisseau de Jean de Dieu, cne de Maureville) peut-être source salée, ruisseau du clot de Fontbonneau (aff. r. g. de la Vixiège cne d’Orsans) probablement bonne source.
L’occitan Fontanilh petite source, petite fontaine explique ruisseau de Fontanelle (aff. r. d. ruisseau d’Amadou, cne d’Ayguesvives et aff. du ruisseau de Gatagé, cne de Fanjeaux) et fontassa grosse fontaine (péjoratif) se retrouve dans ruisseau de la Fontasse (aff. du ruisseau du Berjean, cne d’Escalquens).

Des Monts, des vallées et des prairies - Le mot val, vallée a donné ruisseau de Laval Basse (aff. r. d. du Tréboul). Pech, colline, petite hauteur se retrouve dans plusieurs hydronymes : ruisseau de Pech (aff. r. d. ruisseau de Roucairol, cne de la Louvière-Lauragais, limite Molandier), ruisseau de Pech d’Acou (aff. r. d. Ruisseau de la Gélade, cne de Saint-Julien-de-Briola), avec le latin aqua eau; ruisseau de la Péguille (aff. du ruisseau de Brézil, cne de Payra-sur-l’Hers) de pég forme évoluée de pech, avec un suffixe diminutif.
L’occitan prada grand pré, prairie a donné ruisseau de la Prade (aff. r. g. de la Vixiège, cne de Cazalrenoux), ruisseau des Pradels (aff. r. d. de l’Hers cne de Belflou) avec un suffixe diminutif (pradèl petit pré) et ruisseau de Pradines (aff. du ruisseau de Pondaré, cne la Louvière-Lauragais) avec un suffixe diminutif.

Des ruisseaux qui se disent rieu ou rec - Le mot occitan riu ruisseau, rivière, explique Rieumajou (aff. ruisseau de Lavela, cne de Cintegabelle), avec l’épithète majou (du latin major) grand, principal, le Rieutord (aff. r. g. de l’Ariège et aff. r. d. de la Hyse), ruisseau de Rieutort (aff. r. g. ruisseau de la Bouissonnade et aff. r. d. de la Vixiège) avec l’épithète tort sinueux.
Les dérivés de rieu comme rival, rivel et rivet petit ruisseau ont donné une dizaine de « ruisseau de Rival » et « ruisseau de Rivel ». Le mot occitan rèc ruisseau, rigole se retrouve dans Rec Nègré (aff. r. d. ruisseau de Rifaudès, cne de Belpech) avec l’occitan negre noir, obscur, sombre dans le sens de boisé, Rec des Bers (aff. r. d. du ruisseau de Tédèlou, cne d’Aignes) avec un deuxième élément pré-latine ber- (gaulois), Rec de Riplou (aff. r. d. du Lampy, cne de Villemagne, limite cne de Verdun) du français replat terrasse.
Des pierres et des rochers - En toponymie les mots pierre, pèira en occitan et roc, ròc ou ròca en occitan, peuvent désigner aussi bien un affleurement rocheux qu’un monolithe, des ruines antiques ou encore une butte rocheuse voire un mont. Le mot pierre se retrouve dans ruisseau de la Pierre (aff. r. g. de la Saune). L’occitan pèira a donné ruisseau de Péri (aff. r. d. du Peyrencou), avec un suffixe collectif ruisseau de la Périole (aff. r. g. du ruisseau de la Rivaillère, cne de Laurabuc), ruisseau de Périole (aff. r. d. ruisseau de Négretis, cnes de Montbrun, limite Pouze), ruisseau de Perissans (aff. r. g. du ruisseau de Tèdelou, cne d’Auragne) et ruisseau de Peyrencou (aff. r. g. du Girou).
Peiròt petit caillou peiròta petite pierre en occitan explique ruisseau des Perrots (aff. r. g. de la Seillonne, cnes de Lanta et de Saint-Pierre-de-Lages) et ruisseau de la Peyrote (aff. r. g. du ruisseau du Pont Auriol, cne de Laurac).
Le mot occitan ròc ou ròca a donné : ruisseau du Roc (aff. r. g. ruisseau des Pradels, cne de Belflou) prend sa source à proximité du lieu-dit le Roc ; ruisseau de la Roque (aff. r. g. du ruisseau de la Graousse, cnes de Saint-Léon et Pouze); ruisseau d’en Roques (aff. r. g. du ruisseau de l’Amadou).

La rigole de la Montagne Noire : tranchée du Conquet, passage du versant méditerranéen au versant atlantique
La rigole de la Montagne Noire : tranchée du Conquet, passage du versant méditerranéen au versant atlantique
crédit photo : Lucien Ariès

Des noms imagés - Le verbe pisser ou pissar en occitan, couler par jet, ruisseler, a donné Ruisseau de la Pisse (aff. r. d. ruisseau de la Motte, cne de Sainte-Camelle) et ruisseau de Pissanel (aff. r. g. de l’Esquers), avec le suffixe diminutif -anèl. Le Tréboul, affluent rive droite du Fresquel, ad Tribulum en 1194, al Trebol en 1371, Ripparia de Tribulo en 1421, Rivus vulgariter dictus Treboilh en 1506, selon sa première graphie vient du latin tribulis (is) pauvre, misérable (eau peu abondante), plutôt que de l’occitan trebol trouble qui viendrait du latin turbidus.

Des noms qui viennent de la nuit des temps - Mais, ne cherchez pas le sens des noms des plus grands cours d’eau du Lauragais à partir de l’occitan, du français et autres langues d’envahisseurs bien connus, car ces « stars» résisterons à votre analyse et vous conduiront irrémédiablement sur la voie de l’impasse et du burlesque des savoureuses légendes, celles-là même qui ont conduit à la déformation de leur graphie et orthographe au cours des siècles.

Les plus grands cours d’eau du Lauragais, éléments majeurs du territoire comme le sont montagnes et sommets, ont des noms plus fortement attachés au sol que les petits ruisseaux et donc plus rebelles aux substitutions ; ces noms sont si solidement enracinés, qu’ils ont pu parvenir jusqu’à nous après de nombreux siècles, hélas fortement déformés : ils viennent des premières strates linguistiques correspondant au peuplement antérieur à la venue des populations celtes (indo-européens), il y a plus de 2000 ans.

Les noms de fleuves et de rivières proviennent généralement de racines pré-in-do-européennes, telles que Ir- (Hir), Is- (His-), Gir-, mar-, Sor-, et Vis- pour ne citer que celles rencontrées le plus souvent en Lauragais; si le sens général de ces racines est «eau, rivière», le sens particulier de chacune d’elle est encore mal connu. Nous donnerons ici quelques ex-emples, à partir de l’orthographe la plus ancienne du nom et avec beaucoup de prudence lorsque celle-ci nous est inconnue.

Carte des rivières et ruisseaux

L’Hers, principale rivière du Lauragais occidental, affluent rive droite de la Garonne, est appelé Rivus Yrcii en 1278 et le Grand-Hers (Hers Vif) affluent rive droite de l’Ariège et sous affluent de la Garonne, Flumen Yrcii en 1173. Ce nom vient de la racine hydronymique pré-indo-européenne Ir-, qui a le sens d’eau ou de rivière ; cette racine a donné en France de nombreux noms de rivières (Iron, Yron, Héronne, Hirome, Irance).

La Hyse, affluent rive droite de l’Ariège vient de la racine hydronymique bien attestée his- eau, rivière ; cette racine a donné aussi ruisseau d’His aff. du ruisseau de Brance (cnes de Payra-sur-l’Hers et Saint-Amans).

Le Girou, affluent rive droite de l’Hers, Giron au 18ème siècle (carte de Cassini) abusivement relié à l’occitan girar tourner (ruisseau sinueux), est rattaché par les spécialistes à la racine gir- qui a le sens de pierre, rocher, hauteur (variante de la racine gar- qui a donné la Garonne), peut-être en relation avec sa source dans le Tarn sur la commune de Puylaurens ; la finale vient du suffixe antique -one (comme dans Garonne) qui a le sens de « eau » ou de « rivière ». Le nom de cette rivière donne ainsi deux informations : il s’agit d’un cours d’eau (finale -ou soit -one) venant des hauteurs ou des rochers (racine gir-) éventuellement pierreux.

Le Sor, affluent rive gauche de l’Agout, vient de la racine hydronymique pré-indo-européenne sor– eau, rivière, qui a donné de nombreux autres noms de rivières en france. Cette racine se retrouve aussi dans ruisseau de Sourrète, affluent rive droite du Jammas (cne de Payra-sur-l’Hers), avec un suffixe (peut-être diminutif) et dans Sorèze (Tarn), appelé Soricinii en 816 et Soreda en 1147.

La Vixiège, affluent rive droite du Grand Hers, Versegia 1271, Visegia 1304, vient de la racine vis- « eau, rivière » et suffixe prélatin (celtique) -edia. Cette racine se retrouve aussi dans le Visenc affluent rive droite de l’Hers, avec le suffixe locatif prélatin -inco.

Le Fresquel, affluent rive gauche de l’Aude, Fiscavum en 835, In flumine Fiscovo en 870, Rivum Fisculi en 1495, Fresquelh en 1495, a un nom d’origine obscure. Les graphies (formes du nom) les plus anciennes peuvent être rattachées au latin fiscus trésor impérial, fisc, qui désignait les biens personnels des empereurs romains, puis un bien foncier appartenant au roi ou à l’église, mais cette hypothèse est peu satisfaisante pour le nom d’un ruisseau ; il faut plus certainement chercher l’origine du mot Fiscanum dans les racines pré-indo-européennes, avec altération de l’écriture, peut-être Hiscanum rattaché à la racine hydronymique his- eau, rivière.

Le Fresquel change d'orientation au seuil de Naurouze : il coule vers l'Océan puis vers la Méditerranée
Le Fresquel change d'orientation au seuil de Naurouze : il coule vers l'Océan puis vers la Méditerranée
crédit photo : Lucien Ariès

Lucien ARIES
"Les noms de rivières et de ruisseaux du Lauragais" - Lucien Ariès.

*Les noms de lieux du Lauragais, dictionnaire étymologique – Lucien Ariès, éd. A.r.b.r.e. 2OO8.
*Le Lauragais terre de passages, d’échanges et de cultures - Lucien Ariès, éd. A.r.b.r.e. 2OO6.
Renseignements : 05 61 81 83 67
Ces livres sont en vente dans toutes les librairies du Lauragais.


Couleur Lauragais n°117 - Novembre 2009