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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Les amours d'autrefois.
Déclarations de grossesse à Castelnaudary de 1671 à 1789

Si le début du titre peut évoquer les galanteries du XVIIIe siècle, la suite est l’expression de réalités plus sordides. Les femmes célibataires ou veuves se trouvant enceintes sont encouragées, depuis l’édit de Henri II (1556) "contre le recélé de grossesse", à déclarer leur état, par prudence ; au cas où l’enfant serait mort-né, elles pourraient être accusées d’infanticide "... tenue et réputée d’avoir homicidé son enfant. Et, pour réparation, punie de mort... ". Ainsi, plus de 200 déclarations pour l’ensemble de la sénéchaussée sont arrivées jusqu’à nous, recueillies par les consuls de diverses communautés, par ceux de Castelnaudary et par les officiers du présidial.

Villefranche jardin public
Gravure anonyme du XVIIIe siècle
qui porte en légende "Qu'en pensez-vous ?

La déclaration
Une jeune femme, souvent seule, quelquefois accompagnée de son père, fait sa déclaration. Parfois simple interrogatoire, aucune suite n’est donnée ; d’autres fois l’interrogatoire est suivi de la "prise au corps" du partenaire reconnu coupable et jeté en prison ; souvent, un long procès suit la déclaration.
Le moment où les femmes se décident à porter plainte est diversement justifié : procès au séducteur peu pressé d’épouser, comme le dit Elizabeth Bauguel, plus d’espoir de mariage pour Marie Taillefer, etc.
Pour la plupart, l’aveu de leur grossesse devant des gens qui représentent l’autorité n’est pas une démarche facile, d’autant que l’interrogatoire exige le récit circonstancié de la "faute" : moment, lieux, fréquence, manœuvres abortives....
Tous ces récits qui relèvent de l’intime, sont cependant marqués par l’expression de la pudeur. Les jeunes femmes s’attardent sur la rencontre, la durée de la "fréquentation" : quatre à cinq ans, souvent, "depuis son jeune âge" parfois, les "caresses", presque toujours en paroles à cette époque, les préliminaires. L’évocation de l’acte est succincte : on décrit le lieu, l’agression "saisie à brasse corps", jetée sur un lit, une chaise, un pailler ... puis "connue charnellement" une première fois et "quantes fois il l’a voulu". Deux récits seulement sont en termes crus : les propos des témoins au procès d’Isabeau Valette, femme "légère" contre Guillaume de Marc ; et le récit réaliste de Toinette Rives qui raconte, avec force détails, comment elle a déniaisé le jeune Blondin.
Les révélations les plus nombreuses sont faites à sept mois et au-delà lorsqu’il est devenu difficile aux femmes de dissimuler leur état. Des détails sont exigés par les magistrats ; la femme précise : "et depuis s’est reconnue enceinte... n’ayant plus depuis ce temps là ses menstrues" ; ce terme savant est assez rare, le greffier utilise plutôt la formule "n’ayant plus ses ordinaires", ou "es mois supprimés" (traduction de l’occitan "meses"). On trouve aussi plus naïvement "elle se connut enceinte il y a environ quatre mois et cela en ce qu’elle avait des maux d’estomac et qu’ayant pris des remèdes cela ne lui passait pas".
Soupçon ou certitude de grossesse ? On essaye de "faire revenir les règles" sur les conseils du partenaire ou selon les pratiques en usage ; par la saignée au pied : "lui a dit pour lors que ce ne serait rien, qu’elle n’avait qu’à se faire saigner et purger..." ; "elle se fit purger et saigner par le pied pour faire revenir ses règles qui lui avaient manqué, n’ayant nulle intention de faire perdre les enfants qu’elle portait". Les autorités ne sanctionnent pas ces pratiques que les femmes, dans leur discours, distinguent des pratiques abortives et il est probable que celles qui les avouent n’y croient pas vraiment. Une seule fille, très naïve, révèle que son séducteur a essayé de lui faire prendre "des remèdes" de force et en l’enfermant.
Les questions portent aussi sur les soupçons de vénalité et les cadeaux reçus. La plupart des plaignantes "dénient" vigoureusement, estiment sincèrement que les petits présents étaient des preuves d’amour, mais quelques unes, servantes violées, avouent honteusement avoir été payées pour se taire ou pour accuser quel-qu’un d’autre que le maître.

Qui sont ces femmes ?
Les renseignements très complets qui précèdent la plainte permettent de situer géographiquement et socialement les plaignantes.
La plupart viennent de la sénéchaussée (166 sur un total de 211) ; mais Castelnaudary en regroupe la majorité (141). C’est la capitale ; depuis la fin des grandes crises des années 1685-1715, la population s’y accroît. Le développement économique lié à l’essor du canal et de la "machine à blé" y contribue. La bourgeoisie des offices consulaires et royaux, les négociants, les hôtelleries, les artisans... emploient au moins une servante. C’est la catégorie la plus nombreuse parmi les femmes qui ont un emploi. Les origines familiales sont toutes représentées : plus du quart sont filles d’artisans ; les jeunes bourgeoises sont au nombre de 5% et les filles de la noblesse plus de 3% . Mais ce sont les filles des paysans : brassiers, ménagers, valets de ferme... qui sont majoritaires, plus de 45%. Beaucoup d’entre elles viennent des communautés voisines ; lorsqu’elles déposent elles sont à Castelnaudary depuis quelques mois ou plusieurs années. A l’exil familial s’ajoutent souvent des conditions affectives fragilisantes : 64 de ces filles sont orphelines ; la perte du père ou des deux parents les a poussées à quitter le village ou la métairie, très jeunes parfois ; loin de chez elles, sans lien familial, à la merci d’étrangers, poussées à l’obéissance ou à la complaisance par leur état de domestiques, elles constituent la catégorie la plus pitoyable des déclarantes.

Carte des plaignantes

Et les séducteurs ?
Moins bien identifiés que les jeunes femmes ; certaines ne connaissent d’eux que leur prénom, usage fréquent dans la domesticité. Comme pour les plaignantes, toutes les professions sont représentées avec, toutefois, une plus forte proportion de bourgeois, fils de négociants et d’artisans. En outre, par la position de la ville, on trouve parmi eux des étrangers à la région, gens de passage ou présents pour quelque temps : personnels du canal, voyageurs des hôtelleries, militaires...
Les amours
Les situations que décrivent les femmes sont extrêmement variées, tant dans la composition des couples que des types de rapports, allant du viol à la relation éphémère consentie, la liaison plus ou moins durable et celle qui aboutit au mariage.
Les viols subis à la campagne, dans des lieux isolés, par des inconnus, sont peu nombreux ; difficile de fournir des preuves et des témoins. Les viols domestiques eux, sont fréquents : servantes forcées par un valet attaché à la même maison qu’elles, par le maître, son fils ou les amis de la famille... De toutes les situations relatées dans ces douloureuses confessions, ce sont les plus pitoyables. La jeune femme est dans une totale dépendance ; violée une première fois, elle doit subir d’autres agressions sous la menace d’être chassée, ce qui ne manque pas d’arriver à Marie Cèbe servante du Sieur Roux, apothicaire, violée par son maître plusieurs dimanches quand sa femme est à la messe.
Dans la promiscuité de la métairie ou de la même maison de ville naissent des relations étroites entre valets et servantes. Les garçons sans scrupules usent souvent de brutalité la première fois ; ensuite les filles n’osent plus refuser : la promesse de mariage, classique manœuvre de séduction, facilite la docilité. Lorsque survient la grossesse, le valet disparaît.

Séduction
Gravure du XVIIIe siècle


Il y a quand même de véritables histoires d’amour, des relations consenties, tant entre servante et valet au sein de la maison, qu’avec le maître, même si elles sont sans avenir. Ainsi de Jeanne Delor et du chevalier de Villeneuve, relation "de gré à gré". Marie-Anne Déjean a suivi à Montpellier le fils du seigneur de Saint-Michel-de-Lanès ; une fille naît de cette relation. Marguerite Raynaud et le sieur Soulier-Fontcouverte vivent "comme mari et femme".
Plusieurs de ces histoires ont duré jusqu’à dix ans sans aboutir au mariage promis et tant espéré. La belle idylle a tourné court pour Françoise d’Andréossy, fille du feu directeur du canal. Elle a commencé dix ans plus tôt, avec Alexandre de Palmas, ingénieur ; il loge chez Andréossy chaque fois qu’il vient inspecter le canal. Relations régulières, promesse de mariage écrite qu’elle refuse "se fiant à sa parole". Lorsqu’elle annonce sa grossesse "il lui dit qu’elle était donc sa femme et qu’il ne fallait pas faire de façons et, l’ayant jetée sur son lit, il l’a connue charnellement pour la dernière fois. Depuis lequel temps la plaignante ne l’a plus vu". Et pour cause, il s’est marié à Montpellier peu après, en 1727.
Ce type de plainte arrive devant les magistrats lorsque les femmes, plus très jeunes, la trentaine, sont lasses d’attendre une promesse non tenue, parfois, à l’occasion d’une deuxième, voire d’une troisième grossesse. Marguerite Boissadel, fille d’un bourgeois, enceinte de sept mois de Me Gaillard, avocat, avoue, dans le récit de ses amours, qu’elle a déjà un enfant "et le jour qu’elle accoucha, elle voulait porter sa plainte, mais ledit Me Gaillard la pria de ne pas le faire, lui faisant promettre de l’épouser comme il l’avait toujours promis, ce qui fit que la plaignante ne porta pas sa plainte, et elle fit baptiser la fille dont elle accoucha et ledit Me Gaillard la fit mettre en nourrice et il paya la nourrice" (1740). La démarche de Marguerite a pour but d’obtenir le mariage promis ; on ne sait si elle l’a eu. Cet exemple révèle que toutes les grossesses "illégitimes" n’étaient pas déclarées, que les accouchements clandestins étaient nombreux, les registres de baptême portant les enfants nés de père et mère inconnus en témoignent.
Jean Lastrapes assure à Jeanne Sauret "qu’il était honnête homme et, qu’en conséquence il l’épouserait mais qu’il ne le pouvait... que néanmoins il souhaitait qu’elle lui donnât un garçon" ; en fait, lors du procès qui suit, un témoin as-sure que Las-trapes lui a avoué n’avoir jamais eu l’intention d’épouser Jeanne. (1766).
Certains séducteurs choisissent la fuite ; en invoquant des prétextes plausibles : ils vont chercher chez eux des "pa-piers" pour se marier ; on ne les revoit plus. L’armée constitue le refuge fréquent et idéal : un engagement de huit ans est préféré au mariage et, une fois le contrat signé, le capitaine du régiment prend le pas sur les autorités civiles ; l’un d’eux n’hésite pas à faire enlever un garçon prisonnier en agressant le geôlier du présidial, le soustrayant à la justice du roi et au mariage.

L'étable tableau de Fragonard
L'étable de Fragonard

Mais on se marie... parfois.
Peu de mariages par rapport au nombre de déclarations. La plupart ont nécessité l’intervention des autorités : arrestation du garçon, procès, pression sur les parents... Souvent l’annonce d’une grossesse déclarée est déterminante pour certaines familles réticentes : dans le monde de l’artisanat et de la petite bourgeoisie, il faut sauver l’honneur familial !
Anne Maux et Bernard Galibert s’aiment ; l’un et l’autre appartiennent au monde du canal ; mais la mère de Bernard ne veut pas de mariage. Ils décident de faire un enfant et Anne déclare sa grossesse, le 29 juillet 1741. La décision était bonne : le mariage est célébré le 19 octobre suivant.
Anne Valette, fille de notaire fait sa déclaration ; le père, furieux, accuse son clerc Malleville  "d’avoir employé toutes sortes d’artifices pour parvenir à triompher de sa faiblesse (d’Anne) et se rendre par là coupable d’un véritable rapt de séduction". L’enfant qui naît le 27 août 1767 est baptisé de père et mère inconnus ; mais le mariage a lieu finalement le 1er octobre suivant.
D’autres histoires sont conclues par un mariage, mais il ne semble pas que ce soit "le triomphe de l’amour". Anne Bonnette parvient à se faire épouser par Pierre Jean, garçon cordonnier parce qu’il a obtenu une dot de "50 écus et habillée".
Charlotte Bouscasse est enceinte de Paul Escudier , coureur de jupons ; qui n’a pas envie d’abandonner sa vie de joyeux célibataire ; il prétend qu’ "elle ne s’est livrée à lui que pour son argent" ; or, ils sont l’un et l’autre enfants de riches artisans ; ce sont les familles qui finissent par s’entendre.
Ces situation humiliantes pour les femmes sont cependant tempérées par l’attitude des magistrats : à la déclaration de grossesse s’est substituée la plainte, prenant en compte la responsabilité du partenaire, les femmes obtiennent des dommages et intérêts lors des procès, l’enfant est pris en charge... Mais, si elles ne se marient pas, la "faute" demeure. C’est aux assemblées révolutionnaires, Constituante et Convention (1790 et 1793) que revient l’honneur d’avoir reconnu la dignité des mères, même célibataires et d’avoir supprimé légalement le terme de "bâtard" au profit d’"en-fant naturel de la patrie".

Marie-Rose VIALA

On peut consulter :
Jean-Louis FLANDRIN. Les amours paysannes (XVIe-XVIIIe siècles). Collection Archives-Gallimard-Juillard. 1975.
Mireille LAGET. Naissances. L’accouchement avant l’âge de la clinique. Editions du Seuil. 1982.


Couleur Lauragais n°110 - Mars 2009