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Couleur Lauragais : les journaux
Reportage

LA la découverte des bastides lauragaises, villages neufs des 13e et 14e siècles

Nous vous présentons dans ce numéro quelques villages ou villes, des 13e et 14e siècles qui présentent un trait commun : il s’agit d’une création politique par le roi de France, le comte de Foix ou un puissant seigneur local. Les bastides ont toutes un plan prédessiné qui leur confère un intérêt majeur ; toutes ont une place, des couverts, une halle. On en compte une douzaine en Lauragais mais plus de 400 dans le Sud Ouest, de Bordeaux à Carcassonne, de Villefranche de Rouergue à Villefranche d’Astarac.
Revel l'une des dernières bastides
Revel, l'une des dernières bastides
Crédit photo : C. C. Lauragais Revel et Sorèzois

Quelques généralités
D’abord dressons une liste des bastides du Lauragais : Revel (la plus belle), Saint Félix, Ville-nouvelle, Villefranche (la bastide bénéficiait de franchises, attribution gratuite d’un lopin de terre), Labastide d’An-jou, Labastide Beauvoir (du nom d’une famille de marchands pasteliers seigneurs de la bastide : les Beauvoir), Nailloux, Montgeard, Calmont, Salles sur l’Hers, et hors Lauragais : Mazères, Molandier, Mirepoix (l’une des plus belles). Ni Fanjeaux, ni Bram ne sont des bastides.
La date de fondation n’est pas due au hasard : le Lauragais a été aux 12e et 13e siècles le coeur du catharisme. En 1167, les quatre évêchés cathares de Toulouse, Agen, Albi, Carcassonne sont nés à Saint Félix d’après la Charte de Niquinta. La Croisade contre les Albigeois et l’invasion de nos collines des Croisés venus du Nord aboutit à la disparition du Comté de Toulouse par le traité de Paris 1229. La fille du comte, Jeanne de Toulouse (une enfant) est obligée d’épouser Alphonse de Poitiers, un frère de Saint Louis (Louis IX) et à leur disparition en 1271, le comté sera purement et simplement annexé par le Domaine du Roi. Le comté disparaît et est administré par des officiers royaux qui amènent dans leurs fourgons, une nouvelle langue à Toulouse : le français. Lorsque le dernier comte légitime de Toulouse, Raimon VII, meurt (1249) le mari de sa fille, Alphonse, procède à l’installation de nombreuses bastides, points d’appui militaires sur lesquels il établit son autorité, préface de l’autorité royale.
Les bastides sont le symbole de l’implantation du pouvoir royal en Lauragais. La localisation n’est pas fortuite. Les bastides sont des lieux stratégiques qui permettent le contrôle des routes : ainsi Calmont contrôle un gué sur l’Hers ; Nailloux : 2 vallées la Hize et la Thésauque ; Salles : l’Hers mort et un affluent de rive gauche ; Villefranche et Labastide l’Anjou : l’antique voie romaine ; Re-vel : la route de Castres à Castelnaudary ; Saint Félix : la même route et celle du Fresquel ; Ma-zères et Mirepoix : des gués sur l’Hers vif.

Carte des bastides lauragaises

Le plan des bastides
C'est un principe préétabli avant la construction des habitations. Le plan type est celui de Revel (ou encore Mazères, Mirepoix). La forme générale est un rectangle plus ou moins étiré, avec des rues bien droites, recoupées par d’autres voies rectilignes, dessinant ainsi des moulons. Ces rues, d’une largeur constante, aboutissent à des ports fortifiées (portes d’auta, de cers, de midy, d’aquilon) 2 ou 4. L’emplace-ment de l’église est précis, souvent vers les remparts ; une place entourée de galeries couvertes (les garlandes) ; au centre : la halle, un beffroi et sa cloche. Des murailles protègent la nouvelle ville ainsi que des fossés (à Revel, ces fossés sont alimentés par la Rigole qui prend les eaux à Pont Crouzet).

Plan Labastide d'Anjou
Labastide d'Anjou
Plan Nailloux
Plan Nailloux
Plan Villefranche de Lauragais
Villefranche de Lauragais

Dans ces dispositions, nous observons de nombreux symboles : l’église n’est plus au coeur de la bastide (ex. Revel), le pouvoir religieux, qui avait créé les sauvetés, est écarté, de même les châteaux forts sont hors de la bastide, ils étaient le symbole du pouvoir seigneurial. La réalité du pouvoir est entre les mains des consuls, des bourgeois, des commerçants, des pasteliers ; le symbole est le beffroi où siègent des consuls et la cloche qui annonce leurs réunions.
Entre les rues, le sol est divisé en lots d’une superficie toujours régulière et identique avec une façade sur la rue pour la maison d’habitation et un vaste potager (souci de vivre en auto-consommation). Ce parcellaire est encore bien visible à Nailloux, dans les quatre rues parallèles de la bastide.

Portraits de bastides
Revel en Lauragais fut l’une des dernières bastides. Fondation royale, elle ne fut pas cependant une création "ex nihilo" ; dès le 12e siècle, les textes mentionnent un château du Mont Revel, établi par Isarn Jourdain et Bernard de Saissac, sur un territoire relevant de Roger Trencavel, vicomte de Béziers, d’Albi et de Carcassonne. Plus tard un Isarn de Revel est cité en 1272 parmi les nobles de la "baylie" de Saint Félix. L’initiative royale avait eu un précédent dans la région lors de la fondation de la communauté rurale de Vaure qui regroupait plusieurs petites paroisses environnantes ; cette communauté avait été dotée d’un véritable consulat auquel l’autorité royale avait accordé des privilèges importants, notamment une partie de la justice criminelle. Cette création correspondait à un besoin d’ordre administratif mais aussi économique : assurer le contrôle par la police royale d’une forêt qui entravait les communications entre le Bas Languedoc et le bassin de Castres. La création de Revel n’est que l’affirmation de cette volonté du pouvoir royal.

Revel
Revel et son beffroi : la bastide est le symbole de la conquète pacifique du Lauragais par le pouvoir royal
Crédit photo : C. C. Lauragais Revel et Sorèzois

Les institutions de Revel reposent sur la Charte de Fondation accordée par Philippe VI de Valois le 8 juin 1342. Les nouveaux habitants bénéficiaient du statut de "bourgeoisie", moyennant le paiement d’un droit d’entrée ou "intragia", ils devenaient sujets immédiats du roi qui ne pouvait les faire passer sous une autre domination, sauf celle de son successeur ou de celui qui serait seigneur de Toulouse. Le privilège le plus remarquable de la communauté était le droit de la nomination du juge royal par les membres de cette communauté. Par ailleurs les consuls possédaient la juridiction criminelle : le bayle devait rester 40 jours à la disposition des habitants pour répondre de leurs plaintes. La Charte de 1342 fournit des indications très précises sur les conditions mêmes de la fondation, le roi accordait aux nouveaux habitants des emplacements pris sur le sol de la forêt, ainsi que des terrains vagues d’une contenance de 20 arpents non loin des quatre entrées de la ville, pour servir à la dépaissance des troupeaux. Pour implanter leurs habitations les habitants avaient été dotés de Lots à Bâtir de 5 brasses et une raze de large sur 11 brasses et 3 razes de long. Ils s’engageaient à y édifier leur maison dans les trois ans. La charte prévoyait l’emplacement du cimetière, de l’église, de plusieurs chapelles et réservait deux arpents et demi pour la construction de deux maisons de charité. Le tracé des rues de la ville offre encore aujourd’hui une régularité remarquable ; hors les murs, la maille orthogonale de la ville se poursuit assez loin dans la campagne environnante où elle a servi de support à l’extension récente de la ville. Le tracé initial de la bastide a été considérablement réduit lors de l’établissement de l’enceinte, à partir de 1355. Cette date correspond à la célèbre et tragique Chevauchée du Prince Noir, une armée de 40 000 cavaliers anglais et gascons qui, partis de Bordeaux atteindront Narbonne et pillent et incendient des centaines de villages ; après leur passage tous les villages se fortifient. L’enceinte de Revel était constituée par une forte muraille bordée par un fossé qu’alimentait une dérivation des eaux du Sor, réalisée avec l’accord des moines de Sorèze. Sur cette dérivation (depuis Pont Crouzet) furent établis quatre moulins à blé, deux moulins à foulons ainsi que des teinturiers (affacheries). La place centrale était encadrée de "couverts" et de "cornières" ; pour un montant de 200 livres, les habitants avaient acheté au sénéchal le droit d’édifier une halle au centre de la place. Un logement central, ou "maison de ville" abritait le siège du Conseil : au premier étage : la prison. Sous la halle étaient établis les bouchers et les mesures à grains en pierre qui n’ont disparu qu’au début du vingtième siècle... La halle était couronnée d’un beffroi en pans de bois où se trouvait la cloche qui annonçait les réunions du conseil ; l’horloge date de 1843-44.

Saint Félix Lauragais est fièrement campée au sommet d’une colline (un rebord de cuesta) à 320 m d’altitude. Elle domine d’une centaine de mètres la haute vallée du Fresquel. Au milieu du 12e siècle la puissante famille des Trencavel y possédait un castrum dans lequel se serait tenu, en 1167, le célèbre Rassemblement cathare qui a donné naissance aux quatre évêchés cathares d’Albi, Agen, Carcassonne et Toulouse. En 1317, le pape Jean XXII donne le statut de collégiale à l’église du lieu ce qui montre bien l’importance de la population. La bastide a été fondée dans la seconde moitié du 13e siècle, vers 1250-60, vraisemblablement par Eustache de Beaumar-chais, un officier royal de Saint Louis. La topographie défensive du site avait permis de se contenter d’un système de fortifications rudimentaires : un large fossé cernait la ligne extrême des maisons qui, pratiquement aveugles vers l’extérieur, formaient un véritable rempart continu (même fortification à Nailloux). Le château était une puissante tour carrée de 54 mètres de hauteur, et en partie rasé sous la Révolution de 89. Sur la place centrale s’élève la halle, au premier étage une salle servait d’hôtel de ville. L’église du 14e siècle est un immense vaisseau avec une splendide cour gothique (du 16e). Saint Félix a été une très grosse bastide.

Saint Félix Lauragais
Saint Félix Lauragais : une situation idéale pour contrôler les routes - Crédit photo : Couleur Média

Trois bastides voisines et que l’on appelle de "style lauragais" : Villenouvelle, Villefranche, Labastide d’Anjou. Elles ont un plan orthogonal très comparable, en forme de rectangle mais dessiné autour d’un axe central Est-Ouest : la voie romaine d’Aquitaine (via aquitania). Cet axe prestigieux a conservé en 2008, la presque totalité des commerces de Villefranche.
Labastide d’Anjou était une forteresse destinée à protéger l'accès oriental au seuil de Naurouze, avec Castelnaudary. Sur le versant atlantique on observe ainsi deux forteresses : Montferrand et Avignonet.
L’ancien village de Villenouvelle se situait près du cimetière actuel. La création du 13e siècle est plutôt un déplacement vers la voie romaine, dans la forêt de Baziège-Saint Rome.

Labastide d'Anjou
Labastide d'Anjou : fondée en 1373 par Louis d'Anjou,
on dit de vette fondation royale qu'elle vient clore le phénomène des bastides dans le sud-ouest français
Crédit photo : Couleur Média

CalmontCalmont : pour faire face au Comte de Foix, le pouvoir politique installé à Toulouse fonde Calmont et Cintegabelle
Crédit photo : Couleur Média

Villenouvelle
Villenouvelle : une bastide construite sous Alphonse
de Poitiers en 1255 - Crédit photo : Couleur Média

Nailloux
Nailloux : la porte des bastides - Crédit photo :
section photo du foyer rural de Nailloux (Lison)

Les deux bastides que j’appelle jumelles : Montgeard et Nailloux.
La première est fondée par le roi Philippe V le Long en 1317, la seconde en 1318. Elles sont très proches l’une de l’autre, trop proches : 1500 m à vol d’oiseau. Elles sont incapables de se développer et de se peupler de façon harmonieuse. Montgeard est une bastide qui s'est peu développée. Nailloux jouera un rôle beaucoup plus important avec un très gros marché. En 2008, Montgeard compte environ 400 habitants, Nailloux 3000.
Montgeard a conservé de ses origines une splendide église gothique du 16e siècle, une église du pastel.

Calmont est une bastide qui a gardé un gué, passage obligé sur une puissante rivière : l’Hers vif. Deux autres bastides sont à voir : Mazères et Mirepoix (en Ariège).

Les bastides sont une des plus belles parures du patrimoine en Lauragais.

Jean ODOL


Couleur Lauragais n°101 - Avril 2008