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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Procès et exécution de Jean Carcassès à Baziège en 1829

Un document manuscrit de six pages, format 23x36, figure dans mes archives. Il relate un procès et une exécution à Baziège ; le procès est daté du 2 avril 1829 et l’exécution du 27 juin 1829. Il s’agit d’un paysan du Lauragais, Jean Carcassès, d’Ayguesvives, accusé d’avoir mis le feu à une borde. Il est condamné par le jury de la Cour d’Assises de Toulouse par sept voix contre cinq à la peine de mort et il est guillotiné sur la place du foirail de Baziège le 27 juin. Pour essayer de comprendre la dureté de la justice toulousaine en 1829, replaçons les événements dans la France des années 1820-1830, et dans le Lauragais de la même époque.


L'environnement politique - La restauration de 1815-1830
La période de l’Histoire de France dans laquelle s’inscrit 1829 est appelée la Restauration (1815-1830). Après la tourmente révolutionnaire (1789-1799) et la dictature militaire de Napoléon 1er (1799-1815), l’Empire de Napoléon disparaît dans "la morne plaine" de Waterloo. le roi Louis XVIII (frère de Louis XVI) s’installe à Paris ; la royauté restaurée fonctionne avec deux souverains successifs : Louis XVIII (1815-1824) et Charles X (1824-1830).
Après une courte période de violence, la Terreur Blanche (1815-16), le régime fonctionne à peu près normalement jusqu’en 1820, date où arrivent au pouvoir les ultras-royalistes, "plus royalistes que le roi", après des élections qu’ils remportent. La Restauration a conservé une Charte, sorte de Constitution avec deux assemblées : une Chambre des Pairs (dont les membres sont désignés par le roi) et une Chambre des Députés élus par les plus riches électeurs, essentiellement les grands propriétaires, qui sont un nombre infime (88 000 pour toute la France).
En 1824, Charles X arrive au pouvoir accompagné des ultras qui conduisent une violente campagne contre les libéraux avec des lois restrictives sur la presse, une haute administration peuplée d’ultras, ainsi que la justice. La politique de réaction est conduite aussi par l’Eglise catholique, les anciens émigrés sont indemnisés pour la perte de leurs biens (loi dite du milliard des émigrés). Le chef du gouvernement pendant cette période (1820-27) est Joseph de Villèle (voir Couleur Lauragais - avril 2004) grand propriétaire du Lauragais à Mourvilles-Basses, près de Caraman. Il naît à Toulouse, ancien officier de marine, maire de Toulouse en 1815 et député de la Haute Garonne la même année, il est le chef du parti ultra-royaliste de 1820 à la fin 1827. Une opposition virulente se développe dans les milieux libéraux et populaires de Paris qui aboutit à une insurrection en juillet 1830 : la Révolution de Juillet. Charles X essaie de gouverner sans l’appui de la Chambre, par le moyen d’ordonnances. Il supprime la liberté de la presse, dissout la Chambre, modifie le régime électoral. Paris se soulève, les combats durent trois jours : les Trois Glorieuses (27, 28, 29 juillet 1830). Incapable de manoeuvrer dans les ruelles de la capitale, l’armée du roi est chassée de Paris. Charles X abdique et est remplacé par un autre roi, plus libéral, Louis Philippe Ier. Un nouveau régime dirige la France de 1830 à 1848, la Monarchie de Juillet qui, à son tour, sera balayée par la Révolution de Février 1848. C’est donc dans ce climat politique d’agitation et de violence que se situe la tragédie du procès de Carcassès. Les ultras possèdent tous les pouvoirs, la Cour d’Assises de Toulouse est présidée par un membre éminent de la noblesse, le vicomte de Combette.

Proces de Jean Carcasses
L'acte d'accusation retient Jean Carcassès coupable à 7 voix contre 5

Le Lauragais économique et social, vers 1825-1830
Le Lauragais politique, en 1829, est redevenu la forte-resse royaliste qu’il était avant et surtout pendant la Révolution (1789-99). Le règne de la grande propriété aristocratique est sans partage dans le pays des Mille Collines. Dans chaque commune, les grands possesseurs du sol détiennent le pouvoir municipal et sou-tiennent le grand courant ultra-royaliste dont le symbole est le Premier Ministre de Villèle. L’insurrection royaliste de l’An VII (août 1799) contre la République du Directoire est dirigée par des chefs originaires du Lauragais de Paulo, de Calmont et le général Rougé de Castanet-St Orens. Si le soulèvement a échoué la lutte a été sanglante : 4000 morts environ tombés dans des combats à Toulouse-Pech David, Montgiscard, Lanta, Salles sur l’Hers, surtout Muret. Le Lauragais royaliste perdurera jusqu’en 1880 et pour certaines communes jusqu’en 1936.
Dans le domaine économique, en 1829, le Lauragais est toujours très prospère avec une production massive de blé, de maïs, de laine, de viande bovine ; cependant à partir de 1820 des signes de faiblesse et des difficultés apparaissent avec la stagnation du prix du blé puis sa chute régulière jusqu’en 1936, en liaison avec l’arrivée à Sète et à Marseille des blés russes d’Odessa et à Bordeaux les mêmes blés russes de la Baltique : le blé russe est moins cher à Toulouse que le grain du Lauragais. Le déclin s’accélère avec l’arrivée du chemin de fer Bordeaux-Narbonne en 1857 : le blé de la région parisienne (Beauce et Brie) est un deuxième concurrent efficace pour les blés de Villefranche et de Castelnaudary ; les grandes propriétés sont très souvent vendues, fréquemment morcelées avec la formation d’une classe sociale de petits propriétaires. Les Lauragais pauvres quittent massivement la terre pour Toulouse, l’Algérie, le Bas Languedoc où se reconstitue le grand vignoble détruit par le phylloxéra. 1829 marque donc une date de départ dans ce déclin lauragais où subsiste encore dans la population une masse énorme de maîtres-valets misérables. C’est dans ce cadre économique et social que se déroule "l’affaire Carcassès".
Carcasses Jean est un maître-valet, membre d’un groupe social qui formait, en 1829, l’essentiel de la population. Ils sont "sans terre", ne possédant rien que leurs bras, leur puissance de travail. Le maître-valet est logé sur la borde du propriétaire, cultivant 8-10 hectares avec sa femme et ses enfants ; il ne prend aucune initiative, se contentant d’exécuter les ordres qu’il reçoit tous les matins, soit du propriétaire directement, soit de son représentant, le régisseur. Il est salarié en nature aux termes d’un contrat, généralement annuel et passé devant notaire. Voici quelques détails relatifs à ce contrat et que je résume.
Le maître-valet reçoit 10 hectolitres de maïs au mois de mars, 4 hectolitres de blé (pour le pain quotidien), 15 francs pour le bois de chauffage (un homme consomme 1,5 kg de pain par jour, 1,8 kg en été, avec 6 repas quotidiens). Il reçoit 1,50 hectare de terre à maïs travaillé à la bêche suivi de deux sarclages, de la terre à haricots (celle qui pourra être fumée), de la terre pour ensemencer environ 50 litres de fèves et 4 à 5 litres de pois, de la terre à lin, "le tout ci dessus à moitié fruits". Le maître-valet partage le croît d’une paire de vaches, une paire de boeufs ou génisse, deux cochons achetés avant l’hiver, douze oies ou canards (à moitié), le droit d’élever six poules les années où le "souleilha" (versant de la colline exposé au soleil) de la métairie sera en blé, et dix les autres années, sans partage ni rente, enfin de la jeune volaille qu’il jugera convenable mais de manière qu’elle ne porte pas préjudice aux biens. Pour travailler la vigne et faucher les fourrages, lui donne deux litres de vin par jour et par homme. Pour les grands travaux de labours, le maître-valet doit trouver un valet de labour, pour la dépiquaison, il la fera avec un estivandier (saisonnier travaillant l'été). Pour de menus travaux et pour la femme du maître-valet, elle s’oblige à faire laver et "soigner la lessive", elle sera nourrie seulement pour la laver. Elle s’oblige aussi de nous charrier de l’eau, lorsque le puits est à "sec". Ainsi la vie d’un maître-valet était très pénible mais il avait cependant deux avantages importants, il était logé et mangeait, à peu près correctement, du millas.

document execution
Les documents retrouvés décrivent l'exécution de Jean Carcassès

Le procès devant la cour d'assises de la Haute Garonne
Il se déroule en janvier-février 1829, Carcassès est accusé d’incendie volontaire et condamné à mort. Quelques extraits du procès sont intéressants : "Charles par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut. Notre Cour d’Assises du département de la Haute Garonne, séant à Toulouse, a rendu l’arrêt dont la teneur suit : présents et opiniants, MM. le vicomte de Combatte Caumon, conseiller en la cour royale de Toulouse et président de la dite Cour d’Assises, Payan, le comte de Castelbajac, Roucoule conseiller et de la Croix conseiller auditeur, tous membres de la dite Cour d’Assises".
"La cause est instruite contre le nommé Jean Carcassès, âgé de vingt six ans, maître-valet, habitant d’Aygues-vives et natif de Villenouvelle". "La déclaration du jury, de ce jour, portant sur la première question, "non" l’accusé n’est point coupable et sur la seconde question "oui" l’accusé est coupable à la majorité de sept contre cinq".
La culpabilité de Carcassès n’était pas évidente puisque cinq membres du jury sur douze l’ont déclaré non coupable. Il est condamné à mort en application de l’article 434 dont voici le texte : "quiconque aura volontairement mis le feu à des édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, forêts, bois, taillis, ou récoltes soit sur pied, soit abattues, soit aussi que les bois soient en tas ou en cordes et les récoltes en tas ou en meules, ou a des matières combustibles, sera puni de la peine de mort".
Article 12 : "tout condamné à mort aura la tête tranchée".
Article 20 : "l’exécution se fera sur l’une des places publiques du lieu indiqué par l’acte de condamnation".
La sentence est exprimée en ces termes : "Jean Carcassès est et demeure coupable d’avoir, volontairement, mis le feu à la portion des bâtiments de la métairie ... , appartenant au sieur P., dans la journée du 31 décembre 1828 ; pour ces motifs la cour a condamné et condamne le nommé Jean Carcassès, maître-valet, à la peine de mort ; il sera conduit sur une des places publiques de la commune de Baziège, où, placé sur un échafaud, il aura la tête tranchée".

L'exécution à Baziège du 27 juin 1829
Voici le texte relatant l’exécution : "nous, Jean Marie Dominique Joseph Campagnac, greffier de justice de paix du canton de Montgiscard, en vertu de l’injonction à nous faite par monsieur de Campferran juge de paix du susdit canton de nous trouver à Baziège afin de dresser le procès-verbal d’exécution du nommé Jean Carcassès, âgé de vingt six ans, maître-valet, habitant d’Aiguesvives et natif de Villenouvelle, condamné à la peine de mort comme coupable du crime d’incendie ; l’exécution doit avoir lieu sur une des places publiques de la ville de "Baziège". Plus loin, "nous sommes rendus sur la place dite du foirail désignée par l’autorité locale pour le lieu de l’exécution et où avait été dressé d’avance, un échafaud. Nous avons vu arriver sur un charriot, escorté par des gendarmes, le nommé Jean Carcassès assisté d’un prêtre. L’exécuteur des arrêtés criminels de la cour d’assises de la Haute Garonne s’est emparé du condamné, montés sur l’échafaud ainsi que le prêtre. Carcassès a parlé un instant sans pouvoir être entendu de nous, attaché à l’instrument de son supplice, sa tête a été dans l’instant séparée du tronc. Il était une heure vingt minutes, ses restes enveloppés dans une toile donnée par un habitant de Baziège et enfermés dans une "bierre" en bois d’après les ordres de Monsieur le maire, ont, d’après ces mêmes ordres été transportés de suite dans le lieu ordinaire des sépultures".

Foirail de Baziège
Jean Carcassès, jugé coupable d'incendie volontaire, fut exécuté sur la place du foirail de Baziège
Crédit photo : Josiane Lauzé

L’affaire Carcassès témoigne de la dureté de la justice toulousaine à la fin de la Restauration (1815-1830). La peine de mort sera abolie en 1981 en France et cette suppression inscrite dans la Constitution en février 2007 à la suite d’un vote unanime des deux assemblées réunis en Congrès à Versailles.

Jean ODOL

Bibliographie :
Philippe Foro : "Joseph de Villèle" Couleur Lauragais n°61- avril 2004 - p. 37
Jean Odol : archives privées.


Couleur Lauragais n°97 - Novembre 2007