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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

La forêt de St Rome, vallée de l'Hers et poumon du Lauragais

La ville forte de Saint Rome ou "castrum" de plaine donna son nom à une étendue boisée de 8000 hectares qui recouvrait la vallée ou "cor-nière" de l’Hers, des portes de Toulouse jusqu’à Avignonet, cité comtale des "Raimonds".

Un axe de communication au milieu de cette étendue boisée
La forêt de St Rome(1) débordait des boulbènes alluviales, de part et d’autre sur les coteaux molassiques ou "serre" de ce cours d’eau qui arrosait un terroir fertile : le Lauragais ou Pays du Labour caractérisé par ses "bordes" (métairies) du "Terrofort". Malgré la présence fréquente de "Routiers", brigands de grands chemins, anciens mercenaires détrousseurs de marchands ambulants, cette forêt abritait la voie vitale qui désenclavait Tolosa, située à l’intérieur des terres.

Boulangere
La forêt au Moyen-Age permettait de se
fournir en bois, et de pacager le bétail

Cet axe routier vit passer maints envahisseurs : hordes Celtibères, colonisateurs romains (jusqu’en 412), Volsques Tectosages, francs. C’est grâce à ce moyen de liaison terrestre que la vie éco-nomique locale se développa. Il favorisa le commerce de proximité : foires et marché et il contribua à faire circuler des produits indispensables venant du Levant grâce aux ports italiens : Gênes, Naples et Venise. En effet, à ces époques, on importait les épices d’Orient qui servaient de condiments et de médicaments. Les soieries, les verreries, les fourrures étaient très prisées au Moyen Age et sous l’Ancien Régime. Certaines techniques comme le moulin à vent, indispensable à ces époques, sont orientales.
Nos ancêtres, merciers et drapiers de Toulouse ou des alentours empruntaient en convois de mules cet itinéraire passant par Badera (Baziège) et ses "pountils" qui protégeaient la voie des caprices de l’Hericius (Hers). Ces commerçants ambulants regroupés pour se prémunir des Brigands cachés dans les taillis de la forêt de Saint Rome, allaient vendre leurs couvertures de laine blanche du Lauragais appelées "flessados" et fabriquées par les "tissaïrés" locaux jusqu’en Bulgarie. Ils ramenèrent du Pays des Bogomiles une nouvelle croyance : le catharisme. Il fut violemment combattu par l’Eglise qui brûla les "Hérétiques" et provoqua une croisade contre les Occitans héritiers de la civilisation romaine (Tolosa fut la capitale de la Narbon-naise pendant la Pax Romana, de la reconquête de la Gaule vers 120 avant J.C. à l’an 412).

Répartition de la population dans la vallée boisée de l’Hers
La forêt de Saint Rome fut "essartée" en partie afin de créer des centres de vie communautaire.
Les responsables des communautés étaient des laïques (seigneurs locaux) ou des clercs du Diocèse (moines du Chapitre Saint Etienne, de l’Abbaye St Sernin ou de Boulbonne). Une bonne partie du Lauragais appartenait au Chapitre St Etienne, monastère jouxtant la cathédrale de Toulouse.
Dans un souci de protection (assauts ou conflits) les habitants des "locs" ou villages laïques étaient regroupés autour du "castellum" seigneurial. Ces "castra" se trouvaient plutôt sur les hauteurs (coteaux surplombant la vallée). Citons Gardouch sur son "Pech", Montes-quieu, Montgaillard, Montgiscard.
Les communautés rurales fondées par les monastères, les "salvetats" ou sauvetés, protégeait les fidèles autour de l’église au clocher-mur trinitaire(2). Un saint patron assurait la sauvegarde des "brebis égarées". St Estèphe-Vieillevigne, St Rome, St Sernin de Goudourville et Montlaur-St Lauthier, les Eaux Vives étaient des Sauvetés.

Salvetat remparts
Les habitants d'une cité étaient protégés par des remparts, ceux d'une salvetat
(ou sauvetée) étaient sous
la protection de l'Eglise.
Remparts d"une cité

Événement dont la forêt de Saint Rome a été témoin
Les Ibères furent les premiers occupants de cette étendue boisée. Sur le versant occidental (côté Cers) de la trouée de Naurouze, la vallée de l’Hericius, Badera et Tolosa faisaient partie de la Narbonnaise.
Les Volsques Tectosages, tribus celtes, pasteurs et guerriers venus de l’est par l’Italie, s’installent dans la "Provincia romana" jusqu’à Tolosa, au "limes" de l’Aquitaine.
Pendant la "Pax Romana" (époque gallo-romaine, jusqu’en 412), la "via" d’Aquitaine reliait Narbo Martius par Badera à Tolosa. Elle succédait à la "via Domitia" qui assurait la liaison avec l’Italie. Dans la zone inondable de Badera, les Vétérans romains aménagèrent des ponceaux (pountils) afin de surélever la chaussée.
Dès l’an 405, des peuples de l’est envahissent l’Espagne et le Toulousain. Les Wisigoths font de Toulouse la capitale de leur royaume (410-510)
Sous le règne de Charlemagne (couronné en l’an 800), la forêt de Saint Rome se trouve dans le comté de Toulouse. Corson en est le 1er comte (778).
En mai 844, Charles le Chauve vint à Toulouse prendre possession de la Francia occidentale dont Pépin d’Aquitaine s’était emparé illégalement. Après avoir fait assassiner le comte de Toulouse Bernard le félon, l’empereur alla chasser le gros gibier en forêt de Saint Rome aux environs de Montlaur. De retour, Charles cita l’évêque Samuel devant le Tribunal du Viguier pour avoir enterré le comte sans son consentement.
Au printemps 1219, pendant l’odieuse Croisade contre les Albigeois (1209-1229), cette guerre de conquête des Barons du Nord désireuse de s’emparer des riches Domaines des 7 Raimonds, comtes de Toulouse, Vasiège, ville forte de plaine eut sa bataille. Dans les boulbènes de la vallée boisée de l’Hers, en juridiction de Vasiège (détenue par les Varagne, seigneurs de Gardouch), Occitans et Croisés s’affrontent vaillamment. Cet accrochage pour des subsistances (quelques têtes de bétail réquisitionnées dans les bordes) fut qualifié de "Bataille sous les murs de Vasiège".
En 1231, la forêt de Saint Rome est garante de l’allégeance de Raimond VII, dernier comte de Toulouse, à son suzerain, le roi Louis IX. Deux années après la signature de la Paix de Meaux (1229), le comte de Toulouse est contraint de chasser les Routiers des zones à risques comme la forêt qui abritait les Routiers détrousseurs de marchands ambulants, sur l’axe primordial destiné à faire repartir l’économie occitane.
Le 14 janvier 1231, afin d’exécuter le diktat royal, Raimond VII procède à un échange foncier, dans la vallée boisée de l’Hers (juridiction de Vasiège). Il fait dégager par la force armée l’espace boisé occupé par les Routiers.
Chez le notaire local, le comte de Toulouse céde trois châteaux désaffectés contre quelques séterées de la forêt de Saint Rome couvrant l’axe routier Toulouse-Méditerranée.
"Maître des bois taillis et des très hautes futaies", le comte suzerain devait les faire abattre pour nettoyer la voie. Il devait aussi recruter des Escortes à cheval pour accompagner les marchands se rendant aux foires de proximité ou en Italie (commerce à longue distance).
En 1252, dix années après le Massacre des Inquisiteurs dans Avignonet, cité comtale(3), dans un espace essarté de la forêt de Saint Rome le long de l’axe routier vital, c’est la fondation en "Pariage" (à deux auto-rité : le Promoteur Alphonse de Poitiers, comte de Toulouse et le Donateur du sol, Guillaume Pierre de Varagne-Gardouch seigneur local) de la "bastide" de Villefranche.

Clocher de Villefranche
La bastide de Villefranche fut construite dans un espace essarté
de la forêt de St Rome en bordure d'axe routier
- Crédit photo : Couleur Média

Ce nouveau centre de vie communautaire fut créé après la Croisade albigeoise contre quelques libertés ou "franchises", il regroupait les nouveaux venus à l’abri de remparts dans un environnement mixte de "castra" et de "salvetats". La "bastide" de Villefranche, dans un terroir fertile et une zone de passage vitale fut édifiée par représailles et pour l’exemple à des fins commerciales. Tout "colon" se soumettait au Roi et au Diocèse (d’où son église forteresse particulière).
En octobre 1355 (Guerre de Cent Ans ou Guerre des Anglais, 1337-1453), la vallée boisée de l’Hers fut victime de la Chevauchée du Prince Noir (Edward de Woodstock) Montgiscard, le château fort de Gardouch et Avignonet, fief défendu par Bernard de Varagne-Gardouch, furent mis à sec et incendiés par les mercenaires anglais qui saccagèrent les cultures de la vallée de l’Hers (vignes, fruitiers).

Catherine de Médicis
Catherine de Médicis et la forêt de Saint Rome
Le comté de Lauragais date de 1477. Après la guerre de Cent Ans, le roi Louis XI échangea avec Bertrand de La Tour d’Auvergne, comte d’Auvergne et de Boulogne et propriétaire du château de St Paulet le Pays Lau-ragais contre le Port de Boulogne. Il érigea cette contrée agricole et riche en "comté". La petite fille du donateur, Catherine de Médicis hérita du titre de comtesse de Lauragais qui passa à sa fille la Reine Margot.
Catherine, Reine mère y fit deux visites officielles : avec son fils Charles IX à Toulouse (en 1564 et en 1578 au château de Montlaur, accueillie par Guy du Faur de Pibrac). Elle fit de Castelnaudary un "Présidial" : juridiction entre le Parlement de Toulouse et les anciens Bailliages.

En 1562, les Catholiques ou Ligueurs, soutenus par Catherine s’affrontent avec les Religionnaires ou Protestants financés par les Pastelliers. La voie "Royale", axe routier traversant la forêt de Saint Rome, était pénalisée par la présence des Calvinistes ou Réformés.
Le 13 mai 1570, la "Bonne Ville" de Villefranche subit des représailles pour désobéissance au Roi. Elle devint protestante et fut "mise à l’index" pour 4 années.
En 1586 (8e et dernière guerre de Religion dite des Trois Henri), le Maréchal Henri de Joyeuse, chef Ligueur, reçut l’ordre du Parlement de Toulouse, organisme royal, de prendre Montesquieu, place forte protestante occupée par les cinq frères d’Avexens (dont l’un était seigneur de Saint Rome).
Avec 8000 hommes contre 300, Montesquieu capitula.
En 1613, les Capitouls demandèrent à Marie de Médicis (2e épouse du "Bon Roi" Henri IV) de faire abattre quelques ormeaux de la forêt de Saint Rome, aux environs de Montlaur pour le service de l’artillerie.
En 1662, les Autorités procédèrent à de nouvelles coupes d’arbres, de Toulouse à la Trouée de Naurouze, afin de permettre le creusement du Canal Royal des Deux Mers. Il fallait délimiter ses remblais et ses francs bords et redresser la rivière Hers.
C’est l’ingénieur occitan Pierre-Paul Riquet qui se chargea de cette entreprise. À cette époque, il était indispensable pour assurer la bonne économie du sud-ouest du Royaume, de relier Toulouse aux ports méditerranéens, par voie d’eau. Ce nouveau moyen de circulation favorisa l’écoulement des produits du Lauragais vers le "Pays-Bas" (céréales). Un de mes ancêtres, paysan du terroir de Trébons créa à l’écluse de Gardouch, vers 1900, un commerce de pailles et fourrages destinés aux chevaux de trait des viti-culteurs languedociens en contrepartie de leur production vinicole. De nos jours, le Canal du Midi figure au Patrimoine Mondial de l’Humanité. Il est pris en charge par l’Unesco. Le chemin de halage qui vit passer de nombreux attelages de service est un lieu de détente très prisé des marcheurs et des cyclistes. Ses platanes séculaires délimitent encore le tracé de cette voie d’eau. Il y a quelques années, sur les quais de ses écluses, on échangeait céréales contre vins et carburant. Citons ses ports, en vallée de l’Hers : En Borrel, Gardouch, Négra et sa chapelle des Bâteliers, Ayguesvives et Montgiscard.
En 1800, il ne restait plus que le Bois de Saint Rome limité à quelques séterées ou arpent mesure agraire locale : 1/2 hect. (chaque arceau de métairie équivalait à 10 ha. et à une Paire de Labour), auxi-liaire indispensable au paysan.

Odette BEDOS

(1) St Romain était un soldat martyr, décapité en 261 sous Valérien
(2) les 3 baies campanaires (3 : symbole de la Ste Trinité) étaient bâties en mitre d’évêque.
(3) Ce chef-lieu de baylie gérant 15 Communautés situé en bordure de l’axe routier, fut repris à Simon de Montfort, chef des Croisés, par Raimond VI (1212).


Couleur Lauragais n°97 - Novembre 2007