accueil
Couleur Lauragais : les journaux
Reportage

Les Granier, une famille de maçons depuis 10 générations

A Sorèze depuis 1701, on est maçon de père en fils chez les Granier. Les temps changent, mais la passion du métier demeure. Retour sur cette "saga" familiale en terre lauragaise.

René Granier maçon averti

René Granier, ancien maçon
sorèzois fier de son métier - Crédit photo : Estelle Couvercelle

Les travaux généalogiques
Chez les Granier, personne n’aurait jamais imaginé que l’on naît et on est maçon depuis maintenant plus de dix générations sans discontinuer. Pour s’en convaincre, il aura fallu les travaux généalogiques de l’un des membres du "clan Granier", Guy, ancien fonctionnaire civil au Ministère de la Défense du côté de Bordeaux, qui a décidé de profiter de sa retraite en revenant dans le "fief" de la famille, à Sorèze. "Mes cousins, qui n’ont jamais bougé du village, ont estimé que j’étais le seul à avoir la patience nécessaire pour travailler sur les archives. Et donc ils m’ont encouragé à étudier l’histoire de la famille." Simple curiosité. Qui sait ? Dans ses recherches, Guy pourra expliquer pourquoi les Granier sont depuis tant d’années à Sorèze, voire plus, par exemple, s’ils ont en commun un ancêtre illustre ! Et puis, il y a eu ce bout de papier datant du XVIIème siècle sur lequel était inscrit le nom de Granier. C’est un antiquaire de Sorèze qui a fait part de sa découverte à la famille. La curiosité attisée, il n’en fallait pas plus pour convaincre Guy de mener des recherches.

Des ancêtres très fidèles à un métier
Homme d’écrit, le jeune retraité savourera son année durant laquelle il passa ces vendredis après-midi, exactement entre 15 h et 18 h, à étudier les archives à la mairie de Sorèze. Il accomplit brillamment la mission suivante : remonter le plus loin possible dans la lignée directe des Granier. "Je me suis concentré uniquement sur les fils aînés, précise-t-il. J’ai commencé par noter tous les enfants à partir de l’arrière grand-père. Ensuite, il a fallu que je me plonge dans les archives qui étaient à ma disposition." A la mairie de Sorèze, il peut librement étudier plusieurs documents. Au menu : les états civils de 1793 à 1892, puis, quand il remonte dans le temps, il peut se fier aux informations issues des registres paroissiaux, où sont enregistrés les baptêmes, les mariages, les décès depuis 1622. Tout y est scrupuleusement noté. Guy s’armera néanmoins de patience et de pugnacité pour retrouver les ancêtres… et faire le tri entre les diverses branches. Certaines ar-chives lui donnent effectivement du fil à retordre. Il doit parfois faire preuve de méthodes dignes d’un détective en recoupant diverses informations pour retrouver la bonne piste. Ses efforts payeront, puisqu’il parvient à retrouver les traces de la famille jusqu’en 1701. "Impossible d’aller plus loin. Les archives ont brûlé. J’ai bien essayé de trouver un lien avec d’autres Granier, des tisserands, sans succès", regrette Guy.

Comment devient-on maçon de père en fils ?
Ses recherches généalogiques sont un échec relatif, car Guy fait une découverte extraordinaire. Sous le règne de Louis XIV est né un certain Jean Granier à Sorèze. Et devinez ce que faisait ce brave homme ? Maître maçon, évidemment ! Son fils, François, son petit fils Jean, Joseph, Pierre Auguste…. feront de même ! Au fil des siècles, sans exception, les fils aînés de la famille ont choisi une voie professionnelle identique. Guy communique ses conclusions en novembre 1998 dans un petit rapport qu’il intitule sobrement : "Nos ancêtre les Granier." Les membres de la famille s’arrachent les photocopies de ce fameux document, se passionnant pour cette incroyable histoire.
Ce samedi 6 janvier, son cousin, René, l’a invité chez lui pour qu’il fasse partager ses recherches à Couleur Lauragais. Etalés sur la table, Guy détaille ses travaux. L’historien de la famille est aujourd’hui un observateur qui reste attentif à la destinée de cette fameuse lignée de maçons. Que va-t-elle devenir ? La réponse à cette question ne se trouve malheureusement pas dans les archives de la mairie de Sorèze. Du haut de ses presque quatre-vingts printemps, René a pris depuis quelques années sa retraite. Il a passé le flambeau à son fils, Bernard. "Je n’aurai jamais imaginé faire cette découverte, confie Guy. Jamais ne m’était venu à l’esprit qu’il y avait une telle tradition au sein de la famille."

René Granier et son cousin Guy

René Granier (à gauche
) et son cousin Guy, l'historien de la famille, étudient leur généalogie
Crédit photo : Estelle Couvercelle

L’historien maison, se rappelle bien de son père, maçon, qui l’avait encouragé à choisir une autre voie professionnelle : un métier de la fonction publique plutôt que de poursuivre dans le bâtiment. "J’ai écouté mon père, c’est tout." Son cousin, René a suivi depuis qu’il était enfant son père sur les chantiers. "J’ai trouvé tout à fait normal de faire le même métier que mon père, confesse-t-il. Il ne m’a pas forcé la main. Je suis allé jusqu’au certificat d’études et à 15 ans, j’ai fait comme papa, j’ai pris la truelle." Suite à ses révélations d’ordre généalogique, René en a conclu que la famille Granier était sûrement d’une descendance peu ordinaire. "Nous avons des qualités d’honnêteté, de travailleur, de sérieux. Mais nous avons aussi de nombreux défauts", lance-t-il sur le ton de la plaisanterie.

Un dur apprentissage
En fait, ce "destin" dans la maçonnerie l’amuse plus qu’autre chose. René n’est pas le genre d’homme à cacher que le travail était relativement dur. Il se souvient de son grand-père qui, bien qu’étant lourdement handicapé, venait encore à l’âge de 65 ans sur les chantiers. Avec sa canne, il expliquait à son petit-fils ce qu’il fallait faire. Pas besoin de parler, un regard suffisait pour que le jeune homme comprenne. "Il avait beaucoup de mal à s’exprimer et avait perdu beaucoup de ses facultés motrices, mais il restait tout à fait capable de diriger un chantier", assure René. C’est ainsi que débutant dans le métier, il a appris à mettre en place les équerres, les niveaux et autres cordeaux et piquets pour établir l’espace de travail. "Sur un chantier, il faut être débrouillard, ne pas attendre que l’on vienne vous dire ce qu’ il y a à faire. On peut dire que c’était la façon de travailler à l’époque : être mis devant le mur, si je puis dire." A défaut d’avoir des diplômes, "mon instruction ne dépassait pas le niveau secondaire", il décide de profiter de l’expérience des ouvriers, mais aussi des ingénieurs, des architectes qui fréquentent les chantier. "Au fur et à mesure, j’ai accumulé des connaissances, j’étais plus sûr de moi-même. Le syndicat du bâtiment m’a prêté un ouvrage grâce auquel j’ai appris à établir des devis, d’anciens conducteurs de travaux m’ont donné quelques conseils. Je ne savais pas lire de plans. Là aussi j’ai appris au contact de personnes, disons plus qualifiées, ce fut le cas notamment d’un directeur de l’urbanisme qui avait appelé mon père pour faire des travaux dans sa maison. Mes amis qui étaient collégiens ou lycéens à l’époque ont aussi beaucoup fait pour répondre à mes questions", souligne René. Car chez les Granier, les grands discours ne sont pas légion : "mon père était un homme craint. Il parlait peu. Tout juste me disait-t-il : "tu n’as qu’à regarder et tu apprendras." Jamais de compliment ou presque. C’est ainsi qu’il m’a largué sur mon premier chantier en lançant : "maintenant, tu te débrouilles. J’ai commencé à apprendre à faire du ciment. Petit à petit des ouvriers m’ont expliqué comment construire un mur. J’ai essayé de faire de mon mieux." Un apprentissage pas à pas. Mais, sans doute par pudeur, pas question de s’apitoyer.
"Je me souviens étant gamin avoir entendu une expression en patois sur un chantier, intervient Guy. Ton mur est un peu plus que droit". "C’est vrai que j’ai beaucoup appris sur le terrain. Avec les années, j’ai acquis de l’expérience et du savoir faire. A l’époque, c’est de cette manière que l’on évoluait dans le métier. Parfois en se faisant rabrouer parce que le travail effectué n’était pas bon", se souvient René. Heureusement le père de Guy, a soutenu moralement le jeune maçon. "Ce que tu fais-là est bien" : des paroles auxquelles René à ses débuts n’était pas insensible au vu de la rigueur du métier. "A l’époque, il fallait tenir bon, faire ses preuves, et encore plus, quand on est le fils du patron."

René Granier

René Granier s
e rappelle des progrès liés à l'arrivée de la bétonnière dans les années 50
Crédit photo : Estelle Couvercelle

Un métier en mutation
La maçonnerie, René l’avait dans le sang. Sans se poser trop de question, il poursuit la tradition familiale. Affecté par le décès de son épouse, son père décide de passer le relais. "J’avais alors une trentaine d’années. Même s’il ne m’a rien dit de spécial. J’ai vu qu’il avait finalement confiance dans mes capacités. Il a continué à travailler. C’était un manuel, il ne connaissait que ce travail. Il a dû arrêter à 60 ans car il souffrait de la maladie de Parkinson." Jusqu’à présent, le métier de maçon n’avait guère évolué aussi bien au niveau des matériaux que des techniques : "il fallait chercher tous les matériaux à la main, charger soi-même les camions. Nous n’avions pas à l’époque de chariot élévateur, ni de grues et encore moins de monte-charges. Mon oncle avait bien récupéré des wagonnets dans une ancienne mine. On les chargeait de terre, de pierres, et ensuite on poussait ces chariots." Un travail fatigant, voire éreintant, soumis aux aléas du temps. "Je me souviens d’un chantier à Revel. On construisait une maison en pierres. Celles-ci étaient soudées par le gel. On s’est armé de pioche pour séparer les blocs." Quand René était en activité, il a été néanmoins le témoin d’une grande révolution : l’arrivée de la bétonnière au cours des années 1950.

Etre fier de son métier
Le travail étant facilité, les chantiers vont plus vite. Construction de maison, rénovation, et surtout un beau chantier à Sorèze : l’Abbaye-Ecole qui a toujours besoin des bons soins des artisans locaux pour conserver son éclat. Mitoyen à sa maison, l’atelier de René, est devenu trop petit. Nouvelle acquisition de terrain à 200 mètres de la maison, nouveau chantier, cette fois pour faire sortir de terre un nouveau local avec parking, bureaux administratifs, etc. "Notre métier a acquis une autre dimension", note tout simplement René qui ne veut pas se complaire dans la nostalgie. Au contraire, il est animé d’une grande fierté quand il parle de son métier, ou plutôt de la passion pour une activité reconnue, appréciée du moins dans la famille Granier. "On a toujours été dans le bain. On a jamais vu ce métier d’une manière péjorative. Au contraire."
L’amour du métier, les Granier ont voulu le traduire pour la toute première fois au travers d’une cérémonie réunissant, l’année dernière, trois générations de maçon. Ainsi la famille a remis une truelle d’or à René, tandis que son fils, Bernard, recevait une truelle d’argent et que son petit fils, Damien, une truelle en bronze. La truelle, l’instrument emblématique de toute une profession. Une truelle, qui malgré les progrès techniques, reste indispensable pour construire un mur, tout comme la taloche.

Trois générations de maçons

Trois
générations de maçons - Crédit photo: Damien Granier

Une famille de bâtisseur
"On avait une maison dans les années 1950. Elle devenait trop petite entre les enfants, mais aussi pour accueillir des parents qui ne pouvaient plus vivre seuls chez eux, raconte René. J’ai travaillé sur des plans courants comme on dit dans notre jargon. Puis, j’ai acquis un terrain." A 40 ans, il se lance dans l’un de ses chantiers les plus ambitieux et de plus précieux : celui de sa maison, route de Castres. Deux ans de travaux avant de s’installer avec toute sa famille dans sa maison. "J’ai essayé d’être fidèle à la tradition du bâtiment en exploitant tout le savoir-faire que j’avais acquis au cours de mes années de travail comme maçon. Même le toit est en ciment !" Son fils, en tout bon entrepreneur dans le bâtiment, a fait de même, à quelques pas de là. Damien son petit fils, 28 ans, travaille déjà sur les plans de sa maison…

René Granier devant sa maison

Maçon averti, René
Granier a construit entièrement la maison familiale - crédit photo : Estelle Couvercelle

Un digne héritier
Conducteur de travaux en maîtrise d’oeuvres à Toulouse, c’est sur Damien que repose la poursuite de cette incroyable histoire familiale. "C’est le seul aujourd’hui à pouvoir transmettre le nom de Granier, lance René, le grand-père. On le taquine un peu qu’il nous donne un successeur." Là encore tout le monde vous le dira, pour Damien, personne ne l’a poussé à embrasser une carrière dans le bâtiment. "Je savais plus ou moins que j’allais travailler dans le bâtiment, admet-il. J’ai tiré une grande fierté quand j’ai su que ma famille était issue d’une lignée de maçons." Il a donc décidé de suivre cette voie professionnelle et a obtenu un BTS Bâtiment à Castelnaudary puis une licence de gestion et de production en génie civil à la faculté de Toulouse Rangueil. Le jeune homme ressent un profond respect pour tous les ouvriers sur un chantier : "ils sont par tous les temps à pied d’oeuvre. Ils éprouvent tous l’amour du métier. Quand on voit un bâtiment construit, c’est le produit d’un travail d’équipe, on est tous fiers d’y avoir participé. Mon travail consiste actuellement à vérifier que le planning est suivi, à contrôler les coûts, à coordonner les différents corps de métier. "
Damien est à l’affût de nouveaux défis techniques. "C’est vrai, j’aurai pu travailler chez mon père à la sortie de l’école, mais je préfère d’abord accumuler des expériences à l’extérieur."

L'entreprise René Granier

L'entrepris
e René Granier - Crédit photo : Estelle Couvercelle

Estelle COUVERCELLE

 


Couleur Lauragais n°89 - Février 2007