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Couleur Lauragais : les journaux

Les noms de lieux du Lauragais

Les noms de lieux du Lauragais sont très anciens. Leur origine est souvent obscure à cause de l’évolution de la langue avec les apports des nouvelles populations venues s’installer dans la région depuis plusieurs millénaires.


Carte de Tassini

La carte de Cassini, réalisée vers 1770

Au cours des siècles les noms de lieux se sont "usés"
La signification des noms de lieux ayant été oubliée, des syllabes ont disparu, ainsi Eburo-magus de l’époque gallo-romaine est devenu Bram. Leur graphie parfois attirée par un mot ressemblant a conduit à de délicieux toponymes ironiques et souvent burlesques. La signification d’un nom de lieu est à rechercher à partir de sa graphie originelle ou du moins la plus ancienne. Pour les villes et les villages, généralement leur nom figurant dans des textes (latin) du Moyen Age, on dispose de bases relativement solides pour trouver l’étymologie du nom et comprendre son sens. La tâche est plus difficile pour les microtoponymes tels que les noms de métairies, de petits ruisseaux, de coteaux et de parcelles de terre, quand on ne dispose bien souvent que de cartes du 18ème siècle comme seul outil de travail (Carte de Cassini vers 1770, par exemple).

La majorité des noms de villes et villages du Lauragais date du Moyen Age
Ces noms tirent généralement leur sens de la topographie, de la flore, de la faune ou de l'intervention de l'homme et parfois d’un nom de personne(1).
Avec un sens topographique, on peut citer les noms formés avec "Mont" suivi d’un qualificatif souvent emphatique pour exprimer crainte et respect, car il s’agissait de lieux privilégiés de défense et de construction de châteaux. Le mont est qualifié de sauvage, esquiù en occitan, avec Montesquieu, gaillard, solide, vaillant avec Montgaillard, clair probablement déboisé ou couleur du sol avec Montclar, sombre (more en occitan) avec Montmaur, aigu avec Montégut.

Sont présents aussi des noms formés avec "pech" (hauteur, colline), avec un qualificatif : grand, beau pour Belpech, supérieur pour Pexiora (Podium Superiano en 1100 devenu Puegsiura en 1441).

Avec un nom d'homme germanique, il faut citer Molandier du nom de personne Landhart et Montgiscard de Wisichart.

Certaines communes du Lauragais sont désignées par le nom d'un saint, coutume qui remonte au début du Haut Moyen Age. A la fin de l'empire romain, les premières églises furent placées sous la protection des apôtres, par la suite ce fut la vénération des premiers martyrs, notamment de ceux qui ont vécu en Lauragais : le Mas Saintes Puelles (Santas Puellas en 960, Manso en 1241), du latin puella, jeunes filles (martyrisées pour avoir donné une sépulture à Saint Sernin, 1er évêque de Toulouse), Saint Papoul avec Papulus (martyr de ce lieu au 3ème siècle, condisciple de Saint Sernin), Cintegabelle (Sancta Gabellae en 948) du nom de Camélie née en ce lieu vers 400 qui selon la légende se jeta dans la fontaine proche de sa demeure pour fuir la persécussion des Wisigoths (ariens). Saint Rome appelé Sanctus Romanum en 1242 vient de Saint Romain (Ro-manus), nom de deux martyrs dont un mort à Rome en 258.

Parmi les noms liés à l'intervention de l'homme venant du Moyen Age, il faut citer certains noms formés avec "ville" en début de mot. Le mot villa désignait à l’origine des domaines de l’époque gallo-romaine (plusieurs centaines d’hectares), centre important de population, centre artisanal et religieux ; par la suite le mot villa a servi à désigner des défrichements faits par les nouveaux arrivants, des fermes ou des maisons rurales. Ce mot est souvent suivi par le nom du propriétaire fondateur : Villescicle du nom de son propriétaire Asiscle, Villassavary du nom de son propriétaire Savaric, Villeneuve nouveau domaine, nouvelle implantation.

De nombreux noms de lieux du Lauragais comprennent le mot "ville" en suffixe ; ces noms dits d’origine germanique, sont plus anciens que les précédents et semblent correspondre à l’occupation par les francs des domaines gallo-romains antérieurs. Le Lauragais passe sous la domination franque au 6ème siècle après la bataille de Vouillé (près de Poitiers) en 507 où Clovis tua le roi wisi-goth Alaric II et refoula les Wisigoths vers Carcassonne et Narbonne : Beauteville, Beauville, Francarville, Generville, Lauzerville, Mascarville, Maureville, Mayreville, Mézerville, Moleville, Mourvilles, Préserville, Renneville, Treville, Vallesville. Dans certains de ces toponymes apparaît le nom du propriétaire et dans d’autres c’est un élément topographique qui y est inclus.

Beauville

En Lauragais de
nombreux noms de villages comportent le suffixe -ville - Crédit photo : Couleur Média

Les wisigoths auraient laissé des noms de lieu avec le suffixe -ens comme Peyrens. Cependant dans le Languedoc ce suffixe n’est pas forcément germanique, comme dans le nord de la France, mais prélatin et peut venir du suffixe d’appartenance ibère ou ligure -inco (-inca au féminin).

Les noms qui remontent à la période gallo-romaine sont en très petits nombres en Lauragais et leur répartition est peu homogène à cause des dévastations causées par les vandales et les francs dans la plaine du Lauragais, vallée du Fresquel et région toulousaine. Certains sont liés à la présence de sanctuaires. Fanjeaux, Fanojovis en 1154, vient du latin fanum temple et Jovis Jupi-ter, tandis que Venerque, Venercha en 1080, qui vient du latin Venus évoque probablement un temple voué au culte de Vénus. D'autres sont formés à partir du nom de leur propriétaire avec un suffixe d'appartenance -anum ou -acum ou -ac ou encore -one : Gaja la Selve Gaianium en 1244, vient du nom du propriétaire Gaius ; Prouille Prolanum en 1123, du nom d'homme Probilius.

Les noms d’origine gauloise
Les Celtes Volques-Tectosages arrivèrent en Lauragais vers -250 soit un peu plus d’un siècle avant les romains. Il faut citer dans cette classe les deux agglomérations lauragaises qui figurent sur la plus ancienne carte itinéraire de l’empire romaine appelée table de Peutinger du 4ème siècle, Bram (Eburomagus) et Baziège (Badera) ; ces noms signifient probablement "marché de l’if" pour la première et "gué de l’étang" pour l’autre.

Table de Peutinger

Table de Peut
inger

Des noms de lieux qui remontent à la nuit des temps
En remontant encore plus loin dans le temps, quand les celtes (peuple pré-indo-européen) s’installent dans le sud de la France, ils y rencontrent des populations déjà installées depuis plu-sieurs centaines d’années voire des millénaires pour certaines, y compris les Ligures et les Ibères, dont on ne sait que peu de choses. Il est admis actuellement que ces peuples, appelés faute de mieux pré-indo-européens, dont nous ignorons pratiquement tout, ont laissé des vestiges linguistiques dans des noms de lieux qui constituent la toute première strate toponymique, la strate la plus ancienne. Ce sont les noms les plus accrochés au sol comme ceux des cours d’eau (hydronymes) et des reliefs, hauteurs, montagnes (oronymes) qui ont gardé la mémoire de ces vestiges linguistiques sous forme de racines spécifiques.

Ces toponymes dont l’origine remonte à la nuit des temps, nous sont parvenus encore plus déformés ou altérés que ceux issus des périodes plus récentes, si bien que leur signification fait encore l’objet de controverse.

Parmi les racines pré-indo-européennes, il faut citer car- qui a le sens de dureté, de roc (pierre, rocher) et par extension hauteur ou mont, qui entre dans la composition de nombreux noms de montagnes (caillouteuses, rocheuses) et qui a donné Caraman (Caramanum au 13ème siècle) avec le qualificatif latin magnus, grand : Caraman est un oronyme en bonne relation avec sa situation sur une grande hauteur. La racine -ar avec le sens de pierre, qui a donné en basque arri ou harri (pierre), est très probablement à l’origine de Castelnaudary (Castellum novum quod cognominatur Arri en 1118) ; Arri pouvant désigner l’éperon rocheux sur lequel fut construit au Moyen-Âge un solide Château Neuf en pierres(1).

Les noms de rivières
Les noms de cours d’eau proviennent en majorité de racines pré-indo-européennes. Ainsi l’Hers, Rivus Yrcii en 1278 (Hers ou Hers Mort) Yrce Alba (Grand Hers ou Hers Vif) vient de la racine hydrony-mique pré-indo-européenne Ir, qui a le sens d’eau, de rivière. Néanmoins certains noms de ruisseau sont plus récents. Ainsi le Fresquel Fiscavum en 835, In flumine Fiscovo en 870, vient probablement du mot latin fiscus trésor impérial, qui désignait les biens personnels des empereurs romains, puis domaine du roi ou de l’Eglise peut-être poste de contrôle ou péage.

L'Hers mort

Les noms
de cours d'eau lauragais ont également des origines lointaines : ici, l'Hers mort
Crédit photo : Couleur Média

Les noms des métairies et lieux-dits
Il est souvent difficile de disposer de la graphie originelle des microtoponymes, néanmoins le classement des milliers de noms de lieux du Lauragais (à paraître) indique que leur origine suit les mêmes règles que les toponymes majeurs que nous venons de citer et qu’ils s’inscrivent en parfaite harmonie dans le paysage.

Les plusieurs dizaines de toponymes formés à partir du mot moulin (essentiellement moulin à vent farinier) rappellent que le vent est très présent en Lauragais et que le blé lui a procuré beaucoup de richesse. Les centaines de noms de lieux avec le mot saint indique le rôle important de l’église en Lauragais. Quant à la très fameuse préposition en présente dans une centaine de toponyme, qu’elle soit honorifique pour certains (Monsieur) ou simplement la traduction de la préposition latine in latin (dans, en, sur, chez) elle est comme une caractéristique du terroir, presque un emblème. En Lauragais il y a aussi des Bordes (métairie), Bourdette, Bourdic à profusion, en relation avec le caractère agricole des plaines et des coteaux.

Une grande partie des noms de lieux du Lauragais décrivent son paysage avec ses Serres, collines longues et étroites si caractéristiques du pays et ses Coustous qui entrent dans la composition de dizaines de noms de lieux, rappelant que le Lauragais est aussi le pays aux mille collines, avec ses nombreux Pèires, Périé, Peyre, Peyret, Peyrouille qui désignent leur sol pierreux et avec une centaine de Pech et de Mont. Les Boulbènes terrain argilo sablonneux, les Barthes terrain couvert de broussailles, les Brougues champ de bruyères apparaissent aussi en grand nombre dans les noms de lieu du Lauragais. Parmi les noms très répandus qui proviennent de la nature du sol en Lauragais il faut citer Lause, Lauset, mais aussi Cantalauze (de l’occitan lauseta, terrain maigre et pierreux) et encore Grave, Gravette (sol graveleux).

Des noms de lieux qui fleurent bon le Lauragais avec ses dizaines de Souleilla (flanc de coteau ensoleillé) et sa centaine de Font et Fontanille, des noms qui portent le soleil du Midi et la fraîcheur des sources comme pour nous rappeler qu’au temps jadis l’eau était l’un des biens les plus précieux.

Chaque toponyme, souvent un tout petit nom, est un véritable condensé d’information, juste l’essentiel. Avec la disparition de nos aînés, les noms de lieux subissent des altérations qui les rendent méconnaissables et indéchiffrables ; pourtant ils ont en eux toute la saveur du terroir et constituent un précieux patrimoine culturel linguistique.

Lucien ARIES

(1) - Le Lauragais - terre de passages, d’échanges et de cultures - Lucien Ariès - Ed. A.R.B.R.E. (Association de recherches baziègeoise - Racines et environnement), 2005.

 


Couleur Lauragais n°89 - Février 2007