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Couleur Lauragais : les journaux
Reportage

Sur les traces des Seigneurs Rigaud de Vaudreuil chez nous et Outre-Atlantique

C’est dans notre ancienne colonie française aux XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, que nous appelions la "Nouvelle France", le Canada (1) entre autres, où je vais vous entraîner en suivant les traces des familles de seigneurs : les Rigaud de Vaudreuil. Ces derniers ont leurs origines dans le charmant petit village de Vaudreuille (2), à deux pas de Revel Saint-Ferréol. Suite à un voyage que j’ai fait récemment, dans les anciens fiefs de Rigaud et de Vaudreuil (3) au Québec, un rapprochement est né entre ces deux communautés de part et d’autre de l’Atlantique Nord.

Chiens de traineau

Chiens de traineau au départ, devant la résidence du maire Edouard Martel,
dans la rue Saint-Michel à Vaudreuil - crédit photo : Collection du Centre d'Histoire La Presqu'île

La seigneurie des Rigaud de Vaudreuil

Une étude faite par deux historiens du "Mouvement Culturel - Histoire locale - Vie et Information" de Villepinte dans l’Aude nous donne beaucoup de détails sur les origines de cette grande et illustre famille bien de chez nous. Ils nous disent avoir tiré ces renseignements de l’histoire générale du Languedoc de Dom Vaissette et de Dom Devic (Paris 1733). Résumons-là en quelques lignes.
En 879, Louis II le Bègue (roi des Francs de 877 à 879), fils de Charle le Chauve (roi des Francs de 840 à 877) fit un voeu à Saint-Vincent de Castres et le fit exécuter par Froidain, évêque de Barcelone, qui porta le poids de 22 livres d’argent et le donna à l’abbé Rigaud, de la famille des "nobles Rigaud" (ex-familia nobilium Rigaldarum ou Rigaldus). Ce nom devint par la suite Rigaud (4) en l’année 890 au concile de Valence. Dans son "Armorial de France", Pierre d’Hozier, Seigneur de la garde, généalogiste français, né en 1592 à Marseille, compte onze générations dans la famille de Rigaud, avec de très nombreuses descendances.

Les seigneurs dans notre région

Raynal de Rigaud fut l’un des cinq barons que Bardin dans sa chronique, rapporte avoir été nommés pour tenir un Parlement à Carcassonne, en l’an 1283, Pierre de Rigaud, Seigneur de Labécède fit son testament en 1260, Noble Bertrand de Rigaud, fut nommé par acte du 5 décembre 1559, prieur ou curé de St Georges de Bescaud et de Berthemes au diocèse de St Papoul, sur présentation qui en avait été faite à l’évêque du lieu, par noble Gifard de Rigaud, patron du dit prieuré, Jean de Rigaud d’Aigrefeuille, Capitoul de Toulouse au XVème siècle, fut l’auteur d’une branche qui donna des "capitouls" (5) à cette ville. Nous retrouvons que des de Rigaud, possédaient indépendamment de la Seigneurie de Villemagne, le domaine des Causses, commune de Verdun-Lauragais en 1562. En 1560-1567, une dame de Rigaud assista la reine, épouse de Charles IX. En 1587, un seigneur de Rigaud, baron de Vaudreuille est gentilhomme de chambre d’Henri III. Ce serait cette branche cadette qui se serait perpétuée jusqu’à nos jours. Car il existe encore aujourd’hui dans notre proche région toulousaine et dans le Lauragais des nobles Rigaud de Vaudreuil.
Parmi ces nombreux nobles, retrouvons la branche qui nous intéresse. La seigneurie de Vaudreuille fut portée en mariage en 1189, par Anna Adémar de Vaudreuil à Bernard de Rigaud. Les successeurs ont toujours porté le titre de Vaudreuil. Au milieu du XVème siècle, Alzias de Rigaud possédait en tout ou partie vingt seigneuries. En 1789 (année de la Révolution), son descendant Louis-Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuille, député de la Noblesse du Lauragais et aux Etats généraux, n’en possédait plus que trois.
La seigneurie de Vaudreuille était alors dans la famille depuis 600 ans. Grâce, il est vrai à sa vaste étendue de montagnes incultes, c’était une des plus "grosse terre" du Lauragais : 1061 hectares (d’après la liste des biens d’émigrés).
Par ses alliances, ses hautes distinctions et son crédit à la Cour des Princes, cette famille devint l’une des plus renommées dans le Midi de la France. La famille de Rigaud a constamment servi le roi, plus près de nous, sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Longtemps cette famille restera confinée dans la région et essaiera par son fief principal de Vaudreuille, de s’affranchir de la tutelle de Revel, provoquant ainsi de nombreux conflits avec les consuls de cette ville.

Les Rigaud de Vaudreuil s’illustrent Outre-Atlantique

Ce ne sera qu’à partir des XVIIème et XVIIIème siècles, que cette famille s’illustrera brillamment dans la Marine Royale, l’administration des colonies d’Amérique du Nord (Louisiane, Canada, Saint-Domingue) et aussi pendant la Guerre d’Indépendance Américaine (1775-1782). Ainsi, Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil, né à Vaudreuille le 13 août 1650, fut gouverneur général du Canada de 1703 à 1725. Pierre de Rigaud, marquis de Vaudreuil-Cavagnal (comprendre Cabanial, village à 15 km de Revel) né au Québec le 22 novembre 1698 (fils du précédent) fut gouverneur de la Louisiane de 1742 à 1752, puis gouverneur général du Canada de 1755 à 1760. Il y laissera un souvenir vivace. Il mit sur pied une politique bienfaisante pour le peuple. Son oeuvre fut considérable. Seigneur élégant et superbe, indolent et heureux, on le surnommait le "Grand Mar-quis". François, Pierre de Rigaud, marquis de Rigaud, né à Montréal le 8 février 1703, fut gouverneur des trois rivières au Canada en 1749 et gouverneur de Montréal en 1757. Joseph-Hyacinte de Rigaud, comte de Vaudreuil, né à Québec le 21 juin 1706, fut gouverneur de la partie française de l’Ile de Saint-Domingue de 1753 à 1757.

Philippe de Rigaud

Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil - 1er gouverneur du Canada (1650 - 1725)
Crédit photo : Collection Noé Batigne

La conquête du Canada

La découverte de l’Amérique du Nord est attribuée au navigateur français Jacques Cartier, en 1534. En réalité, d’autres navigateurs espagnols, anglais... et marins pêcheurs basques, bretons et normands, seraient allés pêcher le long des côtes de Terre Neuve, bien avant… En 1534, le roi de France François Ier, décide de financer une première expédition de Jacques Cartier à qui il fixe comme but de découvrir un passage vers la Chine et l’Inde, afin de rapporter des métaux précieux, des épices... et de constituer un empire pour la France. Au cours de ce premier voyage, le navigateur explore un fleuve qu’il appelle le Saint-Laurent et prend officiellement possession de ce nouveau pays en plantant une croix portant trois fleurs de lys à Gaspé (6). Ce qui signifiait pour les navigateurs français qu’ils prenaient possession de ces terres au nom du roi de France. Les habitants de ces régions nordiques ne furent pas tout à fait d’accord ! S’en suivirent des années de guérillas avec ces autochtones indigènes, iroquois entre autres, mais qui finirent par tolérer leur présence. Point de richesse minérales sur le sol de la "Nouvelle France", mais la pêche et la traite des fourrures y suppléa.
Les français eurent à affronter une puissance étrangère autre que ces nouveaux "indiens"... les anglais ! Au cours des siècles qui suivirent ce sont de véritables guerres que se livrèrent ces deux pays, sur terre et sur mer !
Ce n’est véritablement qu’avec l’arrivée de l’explorateur et géographe Samuel Champlain, qui fonde la ville de Québec (7) en 1608, qu’une présence française devient permanente en Amérique du Nord. Cette colonie royale, la "Nouvelle France" est gérée par et sur le modèle du royaume de France. Un système seigneurial y est appliqué, inspiré par celui de l’Etat français, mais adapté à ce nouveau pays : le Canada (8). L’Eglise va jouer un rôle primordial dans cette nouvelle colonie. Elle a pour mission de convertir le plus grand nombre possible "d’Amérindiens" et de les inciter à commencer de préférence avec les français. Le Clergé qui a en charge la tenue des registres d’Etat-Civil, l’enseignement et l’assistance sociale, reçoit une aide directe de l’Etat. L’Eglise règlemente tout ou presque. En 1663, Monseigneur de Laval (avec l’accord du roi) établit la "Dîme", qui impose à chaque colon de verser à l’église l’équivalent du dixième des récoltes faites sur sa terre, sous peine de poursuites devant les tribunaux. Le 17 mai 1642, une colonie missionnaire française, d’une cinquantaine de pionniers, menée par Paul Chomedey sieur de Maison-neuve, fonde la ville de Ville-Marie, qui deviendra rapidement Montréal en 1685. Elle devient très vite un pôle stratégique pour le négoce de la fourrure et une véritable base militaire pour les expéditions contre les colonies anglaises. Suite à la "Guerre de Sept Ans", qui sévit en Europe, la France signe le traité de Paris en 1763, cédant ses terres Canadiennes à l’Angleterre.

Eglise St Michel de Vaudreuil

Eglise St Michel de Vaudreuil - Crédit photo : collection Noé Batigne

Vaudreuil-Dorion au Québec

C’est en banlieue de Montréal (9) que nous retrouvons l’ancienne seigneurie et la Ville de Vaudreuil-Dorion aujourd’hui. Elle est située au Sud de cette très grande métropole, en bordure de l’immense confluent de la rivière des Outaouais (10) et du fleuve Saint-Laurent. Celui-ci formant de nombreux lacs et îles sur la côte de Quinchien (10) qui fera l’envie de tous, car située sur la route richissime des fourrures et route stratégique militaire. Elle n’est reliée au nord à l’île de Montréal que par des ponts routiers et autoroutiers et du chemin de fer à quelques dizaines de kilomètres. De la seigneurie, il ne reste plus rien des bâtisses qui composaient ce vaste domaine seigneurial des Rigaud de Vaudreuil. Il avait été concédé à Philippe Rigaud, marquis de Vaudreuil en 1702, puis à ses fils par succession, Pierre et François-Pierre en 1725. A la suite de la conquête britannique, le domaine seigneurial est racheté par les frères Rigaud, en 1763, par leur cousin Mi-chel-Chartier de Lotbinière, ingénieur royal de l’ancienne "Nouvelle France". Celui-ci reçoit du roi de France, le titre de marquis le 25 juin 1784. Cette seigneurie acquise par son fils Alain Chartier de Lotbinière en 1771 et léguée en 1829 à la fille de celui-ci, Louise-Josèphe, épouse de Robert Unwin Harwood. Cette famille Lotbinière-Harwood va détenir la seigneurie jusqu’à la fin du régime seigneurial en 1854, puis elle fut démolie en 1865. Michel-Chartier de Lotbinière, seigneur fut le bienfaiteur de l’Eglise paroissiale Saint-Michel de Vaudreuil, construite à partir de 1784. Monseigneur Briand, accepte alors que l’Archange St Michel soit le patron de la nouvelle paroisse, pour honorer le nom du seigneur. Des peintures ornent le coeur, décors peints en trompe l’oeil. De belles et grandes toiles y sont exposées, notamment la peinture de "Saint-Michel précipitant l’ange rebelle dans l’enfer", de Von Moll Berczy. Nous trouvons à Vaudreuil, quelques autres bâtiments patrimoniaux : le couvent des soeurs Sainte-Anne, le musée régional de Vaudreuil Soulanges (ancienne école), la maison Valois datant de 1796, la maison Trésler de 1798.

St Michel precipitant l'ange rebelle dans l'enfer

"Saint-Michel précipitant l'ange rebelle dans l'enfer" de Von Moll Berczy
Crédit : Centre d'Histoire La Presqu'île

Vaudreuil-Dorion contemporain

On peut aussi trouver la maison où habita de 1946 à 1966, Félix Leclerc et sa famille. Une célébrité du music-hall français, chansonnier, poète, compositeur et interprète, à la jeune époque de Charles Trenet. Un petit musée dédié à ce personnage très connu en France dans les années 1950-1960 vient d’être inauguré.
D’après le livret, "Notes Historiques de Vaudreuil" écrit par le Chanoine Adhémar Jeannotte, les villages de Dorion et Vaudreuil, très proches, ont eu beaucoup de "querelles de clochers" au cours de leur histoire. Déjà en 1891, le village de Dorion devient une municipalité indépendante. Il note également qu’en 1910, ce même village entre au Conseil de Comté, ayant refusé d’en être depuis 1891. En 1924, Dorion devient une paroisse religieuse, malgré les protestations de Vaudreuil. En 1961, un projet de fusion est d’abord accepté puis échoue. Le Clergé, l’Eglise et les paroisses sont très influentes et impliquées dans la vie des villages et ce depuis la colonisation française. En 1963, une "fusion" se réalise entre la paroisse et le village (municipalité) de Vaudreuil. Elle s’appelle : ville. Et c’est en 1994, qu’une nouvelle fusion est établie entre Vaudreuil et Dorion. Aujourd’hui, une ville de plus de 22 000 habitants. Elle est située aux portes de Montréal sur l’axe : Québec-Montréal-Toronto. Plusieurs parcs industriels de prestige bordent déjà ses autoroutes et voies ferroviaires. Elle connaît un développement urbain fulgurant, par la qualité de vie exceptionnelle qu’elle offre. Un panorama des plus enchanteurs l’entoure, avec ses lacs et rivières. Une communauté de communes dans cette région du Suroît, porte le nom de "Municipalité Régionale de Comté de Vaudreuil-Soulanges". A découvrir ! Nos "cousins québécois" y sont très accueillants.

Jacques BATIGNE

La maison Valois monument historique
Armoiries de Vaudreuil
La maison Valois acquise en 1972 par la ville de Dorion est classée "monument historique" depuis cette date ; Erigée par le Capitaine de Milice Joachim Genus en 1796, cédée en 1830 à Joseph Valois - Crédit photo : collection du Centre d'Histoire de la Presqu'île
Armoiries de Vaudreuil :
"D"argent à un lion de gueules,
langué et armé de même"

Crédit : collection Noé Batigne

 

(1) - Canada, ce toponyme étant d’origine iroquienne signifie "amas de petites cabanes"
(2) - Voir Couleur Lauragais n°86 (octobre 2006).
(3) - Deux villes distantes d’une quarantaine de kilomètres, dans la banlieue résidentielle de Montréal (Québec).
(4) - Rigaud est un bourg situé aujourd’hui dans le département des Alpes-Maritimes.
(5) Au XIIème siècle, la dynastie des comtes héréditaires de Toulouse, les Raymond, donnent à cet-te capitale de la Province du Languedoc, une de ses institutions les plus célébres : "Les Capitouls". Il s’agit d’un chapitre d’administrateurs au nombre de 12 représentants élus par les corporations dès 1141, pour administrer la ville.
(6) - Nom du port où débarqua le navigateur au fond de la baie de Gaspé.
(7) - Qui donna son nom à la province francophone du Canada.
(8) - Autre version des origines du mot : Canada, elle viendrait du mot Kanata, employé par les indigènes pour désigner le pays où ils vivaient, en Iroquois : "là où j’habite".
(9) - Aujourd’hui une métropole de plus de trois millions et demi d’habitants.
(10) - Appellations Amérindienne.

Bibliographie :
Une famille illustre : de Rigaud de Vaudreuil par le "Mouvement Culturel - Histoire locale - Vie et Information" à Villepinte (Aude).
Les cahiers de l’histoire de Revel, n°4, par Paul Redon et Bernard Velay.
Précis historique sur la maison de Vaudreuil, par Noé Batigne (avril 2000).
Un voyage au Québec chez nos cousins d’Amérique, par Marc Béluet (1996).
Une histoire du Québec, par Jacques Lacoursière (2004).
Sur la route de Vaudreuil, de Marcel Brouillard (1998).

 


Couleur Lauragais n°88 - Décembre 2006 / Janvier 2007