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Couleur Lauragais : les journaux

Les petites filles modèles de la Comtesse de Ségur et le Lauragais

Les Petites Filles Modèles de la Comtesse de Ségur sont les héroïnes d’un livre paru en 1858 et qui a été parmi les ouvrages les plus lus par les adolescents de France, entre 1860 et 1940. En 1990 des professeurs de lettres de collèges lauragais y faisaient allusion dans leurs classes. Il est toujours à notre disposition dans les librairies toulousaines. Elles s’appelaient Camille et Madeleine d’Ayguesvives- Malaret et leurs attaches avec le Lauragais sont très nombreuses ; par leur grand-mère, Camille de Malaret, elles ont vécu à Malaret, terre lauragaise de Verfeil, et à Toulouse.

Litterature de la Comtesse de ségur

La Comtesse de Ségur et son oeuvre, occupent une large place dans la littérature française du 19ème siècle ; la comtesse Sophie est née à Saint Pétersbourg en 1799, décédée à Paris en 1874 ; elle est la fille du gouverneur de Moscou qui incendia sa ville lorsque arriva l’armée de Napoléon en 1812. Elle épousa le comte Eugène de Ségur (français) et s’établit en France où elle devint une femme de lettre française particulièrement prolifique en écrivant pour ses deux petites filles de nombreux romans dont le succès ne s’est pas atténué avec le temps. Sans doute l’évolution sociale et littéraire ont fait vieillir le cadre familial, celui de l’ancienne aristocratie terrienne lauragaise, et les solutions proposées ne répondent plus guère aux exigences de l’éducation en 2006 ; cependant de très nombreux adultes contemporains ont lu "Les Petites Filles Modèles" ou "Les Malheurs de Sophie" et les enfants demeurent toujours sensibles à ces histoires tantôt humoristiques, tantôt émouvantes. Je rappelle quelques noms d’ouvrages choisis dans l’oeuvre immense de la comtesse : "Nouveaux Contes de Fées pour les petits enfants", "Les Petites Filles Modèles" 1858, "Les Vacances" 1859, "Les Malheurs de Sophie", "Mémoires d’un âne", "Les Deux Nigauds", "Jean qui grogne et Jean qui rit", "Un Bon Petit Diable", "Le Général Dourakine" 1866, "Après la pluie le beau temps".
Le livre qui nous intéresse (Les Petites Filles Modèles) est une sorte de biographie de Camille et Madeleine, leur adolescence, celle des enfants de l’aristocratie, vers 1850-1870, sous l’Empire de Napoléon III. Toutes deux sont inhumées à Verfeil dans un curieux cimetière familial isolé, près de l’église Saint Sernin des Rais.

La famille des Petites Filles Modèles s’appelle les d’Ayguesvives-Malaret

Le père de Camille et Madeleine est Paul d’Ay-guesvives. En 1842, il ajoute à son nom, de Malaret, du nom de sa mère Camille de Malaret et de son grand père Joseph François Madeleine de Malaret, ancien maire de Toulouse de 1811 à 1815. La terre éponyme est la seigneurie d’Ayguesvives, située entre Baziège et Mont-giscard. Le domaine et le château inachevé de Malaret sont à 3 km (environ) au Sud Est de Verfeil, à proximité de la route de Lavaur.
Un tableau généalogique simplifié(1) nous précise concrètement la puissance et la richesse de cette grande et nombreuse famille de la noblesse, du Lauragais et du Toulousain(2).
- Jacques Martin d’Ayguesvives : il achète la seigneurie en 1706,
- Jean Jacques d’Ayguesvives : il est capitoul en 1717,
- Jean Jacques Marie Joseph d’Ayguesvives (1738-1794), président aux enquêtes, exécuté à Paris en 1794 : il est arrière grand-père des Petites Filles Modèles,
- Félix d’Ayguesvives (1769-1836) épouse Pauline de Cambon,
- Paul Alphonse d’Ayguesvives (1796-1831), procureur général de la Cour d’Appel : père de Paul, grand-père des Petites Filles Modèles,
- Paul d’Ayguesvives, diplomate (1820-1886) : père des Petites Filles Modèles,
- Camille et Madeleine.
La famille possédait des centaines d’hectares en Lauragais, des seigneuries dont Ayguesvives, Corronsac, Pouze, Montgiscard, Garrevaques. Ils sont également hauts fonctionnaires, membres du Parlement de Toulouse, diplomates ; propriétaires de plusieurs châteaux (Ayguesvives, Fonbeauzard), deux hôtels à Toulouse ; un pair de France, un maire de Toulouse, un député.

Marquise d'Ayguesvives
Marquis d'Ayguesvives président du parlement de Toulouse
La Marquise d'Ayguesvives, née de Polastre
Le Marquis d'Ayguesvives, Président du Parlement de Toulouse, guillotiné le 26 mai 1793

Du côté des Malaret, nous observons :
- Joseph François Madeleine de Malaret, maire de Toulouse (1811-1815), possède le château de Verfeil et l’hôtel d’Haut-poul à Toulouse : grand père maternel des Petites Filles Modèles,
- Camille de Malaret (1798-1882), fille unique, épouse Paul Alphonse d’Ayguesvives, transmet son nom à Paul : mère de Paul d’Ayguesvives,
- Paul d’Ayguesvives-Malaret 1820-1886, épouse Nathalie de Ségur 1827-1910 : mère des Petites Filles Modèles,
- Camille et Madeleine.
Ce sont donc des familles de la très haute aristocratie de la région lauragaise.

Le sort tragique du président d’Ayguesvives

Jean Jacques Marie Joseph d’Ayguesvives est, dans tous les documents que je possède sur la famille, toujours appelé "le Président" ; il a connu une fin tragique. Pendant la terrible période de la Révolution appelée la Terreur (1793-1794), 53 membres du Parlement de Toulouse sont arrêtés par les révolutionnaires toulousains, transportés à Paris, jugés sommairement et guillotinés ; le Président est exécuté en juin 1794, ainsi que son épouse.
Les descendants contemporains m'ont offert la reproduction de documents uniques : trois billets "à la mie de pain" ; le Président et la marquise sont à Paris, enfermés dans deux prisons différentes ; avec la complicité d'un gardien, ils communiquent grâce à de petits morceaux de papier dissimulés dans des "boulettes de mie de pain", d'où leur nom. Voici le texte de l'un de ces messages : "Je me porte bien. Soyez tranquille sur mon compte. Je vous embrasse bien tendrement. Dayguesvives. 17 floréal"; je possède également le fac-similé d'une "lettre de cachet" signée Louis (Louis XV) par laquelle le Président est interdit de déplacement et interné dans son château, à la suite d'un conflit entre le roi et le Parlement de Toulouse.

Billet "à la mie de pain"

Billet "à la mie de pain" communication entre detenus
Billet "à la mie de pain" moyen de communication sous la Terreur

Billets "à la mie de pain"
moyens de communication entre détenus
pendant la Terreur.
 

Le Château d’Ayguesvives

Il a été construit entre 1720 et 1740 ; il est l'un des plus connus "Château du Froment" (18ème siècle), reposant sur des fortunes tirées de la production et du commerce du blé ; le 18ème siècle est l'âge d'or du blé ; grâce au canal du Midi qui permet l'exportation du blé lauragais jusqu'à Sète et Narbonne. Les bâtiments sont une belle copie classique de Versailles, avec un parc splendide dans lequel subsistent quelques coni-fères multiséculaires. Dans l'église, une cha-pelle porte le nom de la famille ; elle communiquait avec le château par un chemin couvert, aujourd'hui disparu ; dans cette chapelle, une inhumation est certaine : celle de Jean Jacques d'Ayguesvives, décédé en 1741, d'après les registres paroissiaux que j'ai dépouillés, mais l'absence de dalle funéraire ne permet pas une localisation précise de la tombe. Le château est devenu la mairie actuelle en 2004. Les armes de la famille sont au plafond de la chapelle et entre les pattes de deux griffons placés sur les deux piliers de l'entrée du château ; les armes sont : "d'azur à un chevron d'or, accompagné en pointe d'un martin-pêcheur au naturel".

Le château d'Ayguesvives

Le château d'Ayguesvives : construit entre 1720 et 1740, en 2004 il devient mairie.

Crédit photo : Josiane Lauzé

Les Petites Filles Modèles à Ayguesvives et Verfeil

Elles ont partagé leur adolescence par des séjours à l'étranger, leur père étant diplomate, et lors des vacances à Ayguesvives, Toulouse (les deux hôtels) et le châtau de Malaret. A Ayguesvives, elles admiraient le fonctionnement de l'écluse du canal de Riquet, les bateaux qui naviguaient sur la "Merveille de l'Europe" ; elles étaient reçues à l'énorme moulin de Ticaille qui a été construit par "Madame d'Ayguesvives"" vers 1831 (archives municipales), se déplaçant avec un pittoresque attelage, une petite "jardinière" tirée par deux chèvres "aux sabots cirés de noir". La vie des Petites Filles ne fut pas des plus heureuses ; Camille mourut à Paris le 8 février 1883 à l'âge de 34 ans, de tuberculose ; elle avait eu un fils Paul de Belot, de santé délicate qui disparaissait à l'âge de 18 ans, en décembre 1888, à Toulouse. Tous deux reposent au cimetière Saint Sernin de Rais. Madeleine resta célibataire et s'occupa de sa famille, soignant sa grand-mère puis ses parents au château de Malaret ; elle se retira ensuite à Toulouse où elle mena une vie dévôte dans la paroisse Saint Sernin ; elle mourut en 1930 et enterrée près des siens.

Les Petites Filles Modèles et leurs familles, nous ont laissé de nombreux monuments et documents ; des châteaux, à Ayguesvives, Verfeil, Fonbeauzard ; deux tombes au cimetière, une chapelle dans l'église ; à Toulouse les hôtels d'Ayguesvives (rue Place Mage) et d'Hautpoul-Malaret sont indestructibles.

Tombeau familial

Tombeau familial des petites filles modèles ; une tombe à l'écart celle de la gouvernante des petites filles.
Crédit photo : Couleur Média


A Verfeil, à la mairie, un musée rassemble des objets évoquant Camille et Madeleine, un ensemble émouvant. A Saint Sernin des Rais le cimetière familial est isolé dans les terres, soigneusement entretenu, entouré de quelques cyprès ; une tombe à l'écart, celle de la gouvernante des Petites Filles ; des fleurs sont toujours disposées sur les imposantes dalles : le vent d'autan s'assagit pour doucement les caresser.

Jean ODOL et
Solange SAILLARD

(1) le tableau complet est dans "l'Histoire d'Ayguesvives"
(2) Verfeil est une des portes du Lauragais.

Bibliographie :
- Solange Saillard : "Histoire d'Ayguesvives et du Lauragais" en cours d'édition 2007 avec biblio-graphie.
- Jean Odol : archives privées sur la famille, documents originaux
- Musée de Verfeil : à la mairie (à voir)


Couleur Lauragais n°88 - Décembre 2006 / Janvier 2007