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Couleur Lauragais : les journaux

Un joyau de l'art baroque : la chapelle Notre-Dame de Pitié à Castelnaudary

Au pied du château neuf d’Arri, devenu Présidial au XVIème siècle, se trouve la plus belle et l’une des plus anciennes de toutes les chapelles ayant existé au cours des siècles hors les murs

La tradition

Selon la tradition, on aurait trouvé, à une époque indéterminée, hors les murs du bourg, une statuette de la Vierge abandonnée dans un tas de décombres, près de la Porte Saint-Antoine, qui permettait l’entrée de la ville à l’Est, par la route de Narbonne à Toulouse. Pour réparer cette profanation, on décida de construire une chapelle où l’on conserverait cette statue. Cette chapelle avait un emplacement bien choisi : les pèlerins se rendant à Saint-Jacques de Compostelle pouvaient faire halte en ce lieu de prières sans entrer dans le bourg.

Notre-Dame de Pitié à Castelnaudary
Notre-Dame de Pitié à Castelnaudary

Essai de datation

Les registres de délibération consulaires de Castelnaudary permettent d’avancer une date de construction : à la date du 6 avril 1517 figure une requête du Sieur Dega demandant que lui soit attribué un local pour bâtir une chapelle dédiée à Notre-Dame. Les consuls donnèrent une suite favorable. Il semble donc que l’on puisse dater la construction du XVIème siècle au vu de ces documents. Quant à penser qu’elle ait pu être un sanctuaire Compostelien, la présence dans un angle de la sacristie d’une petite fontaine ornée de la symbolique coquille est un élément à ne pas repousser.
En 1597, le conseil de la ville ordonna une quête pour faire réparer la chapelle dédiée à Notre-Dame. En 1681, on acheta au nommé Barou une portion de sa maison pour construire la sacristie de la chapelle. Un plan de 1781 permet de dater l’embellissement du XVIIIème siècle : c’est peut-être à cette époque que les murs de la chapelle ont été recouverts de lambris, lui-même surmonté de dix tableaux dont les personnages, demi grandeur naturelle, évoquent en désordre des scènes de la Passion du Christ.
Les révolutionnaires firent de la chapelle un bien national qui pouvait être vendu comme tel (Loi du 24 août 1792). C’est alors que 30 habitants du quartier Saint-Antoine se portèrent acquéreurs afin d’éviter que ce lieu de culte ne devienne une remise ou une boutique. La vente eut lieu le 11 Messidor an IV (soit le 29 juin 1796) moyennant la somme de 1404 francs. La chapelle devint ainsi un bien privé que les prêtres réfractaires utilisèrent un temps pour continuer d’y célébrer le culte. Elle demeura bien privé jusqu’en 1972. La Vierge de Pitié en bois doré et polychrome (XVIème s.), les lambris et le retable furent classés monuments historiques le 30 septembre 1911.
L’association "Les Amis de Castelnaudary" fondée par M. Jean Imbert, prit alors l’initiative des démarches pour faire passer la chapelle dans le patrimoine communal. Me Jean Belloc retrouva 5 des descendants des 30 copropriétaires de 1796. Ils consentirent à vendre la cha-pelle à la ville par devant Me Boudou, notaire à Castelnaudary, le 7 juin 1972, pour le Franc symbolique. Après sa restauration, la chapelle a été solennellement rendue au culte le 22 juin 1981 par l’évêque de Carcassonne, Monseigneur Puech, Jean-Pierre Cassabel étant Maire et l’Abbé Laffon, curé archiprêtre. La messe y est toujours célébrée le premier vendredi de chaque mois à 9h30, sauf l’hiver.


Un décor unique

L’ensemble en bois doré de la chapelle Notre-Dame de Pitié est un trésor exceptionnel du début du XVIIIème siècle de par la qualité de la sculpture des dix panneaux en bas-relief, l’agencement du retable baroque du choeur et surtout la richesse du thème : la Passion du Christ.
Il est surprenant de constater que les panneaux ne se suivent pas dans l’ordre chronologique (comme les chemins de croix). Le visiteur passe d’un mur à l’autre, d’une extrémité de la chapelle à l’autre. Après analyse des panneaux, plusieurs hypothèses sont apparues :
- Lorsque l’on fait face au choeur, on s’aperçoit que sur le mur droit se trouvent les scènes où figurent presque exclusivement le Christ et les apôtres, alors que sur le mur gauche, il s’agit plutôt du Christ et des Juifs. A-t-on voulu différencier les deux thématiques ?
- La deuxième hypothèse fait appel à l’analyse stylistique des panneaux : il semble en effet que trois maîtres aient travaillé à la sculpture de ces tableaux.

Le Christ aux outrages
"Le Christ aux outrages"

Le premier a réalisé l’ "Entrée de Jésus à Jérusalem" et le "Baiser de Judas", le style est ici naïf et parfois grossier. Le second maître a travaillé sur le "Lavement des pieds", "La Cène", "Le jugement du Christ" et le "Crucifiement". Le style est plus sûr et plus recherché que le précédent. Les traits des visages sont plus fins. Les pieds et les mains nettement moins grossiers, les visages et les drapés plus travaillés. L’apothéose de cet ensemble sculptural se trouve dans le style du dernier maître qui a réalisé les quatre tableaux du choeur : la "Flagellation", "Gethsémani" mais aussi "Le portement de la croix"" et le "Christ aux outrages" qui font partie intégrante du retable. La qualité figurative est très poussée : les traits des visages sont expressifs, presque réalistes comme le visage du "Christ aux outrages". On sent la maîtrise du sculpteur qui porte son attention sur tous les détails. Chaque groupe de panneaux sculptés par chacun des trois maîtres est disposé face à face. Est-ce volontaire ?
Le positionnement aléatoire des panneaux restera donc une énigme tant que les archives ne nous aurons pas livré le secret de cette installation.



Le retable de la Chapelle Notre-Dame de Pitié

Dans les actes du colloque sur les retables baroques publiés en 2004 (éd. Acte Sud), Marie-Anne Sire rappelle que la région Sud-Ouest a constitué un véritable foyer de création pour les ateliers itinérants spécialisés dans les travaux de hûcherie, de sculpture, de dorure et de polychromie (366 retables sont classés en Languedoc Roussillon). Bien que de nombreuses familles se soient illustrées dans la création de retables, celui de la chapelle n’est malheureusement pas signé et les archives concernant son origine sont inexistantes. Les retables en vogue au XVIIème et XVIIIème s. ont une fonction liturgique en lien avec le sacrifice de l’autel. Le développement de l’adoration du Saint Sacrement depuis le Concile de Trente a entraîné l’installation au-dessus de la réserve d’un baldaquin destiné à mettre en valeur l’ostensoir. Le choeur de Notre-Dame de Pitié reprend ce schéma. Il recèle un magnifique retable baroque dans lequel figure deux des dix panneaux qui constituent le décor de la chapelle.
le retable de la chapelle Notre-Dame de Pitié

Le panneau de gauche est celui du "portement de la croix", celui de droite le "Christ aux outrages". Il est intéressant de noter que ces deux tableaux ont été retaillés pour pouvoir s’insérer dans les cadres en marbre du retable. Avait-on prévu cette insertion ? Ont-ils remplacé d’autres panneaux qui étaient destinés à faire partie de l’ensemble ? On remarque aussi que les deux petits panneaux de part et d’autre de la porte du tabernacle reprennent les mêmes thèmes que ceux des grands panneaux. Ceci tend à démontrer la volonté des constructeurs de créer un ensemble homogène. Sur la porte du tabernacle a été sculpté un "Ecce Homo", image symbolique de la Passion et du supplice. Deux grandes colonnes corinthiennes en marbre rouge de Caunes Minervois supportant une gloire, séparent les tableaux en bois doré de la réserve eucharistique. Au centre, une Piéta en plâtre du XIXème siècle repose sur un socle où figure le monogramme de la Vierge.
L’ensemble du retable, associé aux autres tableaux, montre l’écrasante prédo-minance de la dorure. L’or, métal pur et inaltérable, témoigne de l’idée du divin. Mais il présente aussi un sens pratique utile dans les églises souvent peu éclairées, car il reflète la lumière. Les doreurs jouent souvent de leur technique, alternant l’or mat et l’or brillant qui renforcent les contrastes entre ombre et lumière, tout en laissant une place à la peinture, notamment le rose pour la carnation. Ce décor fait de la chapelle Notre Dame de Pitié un monument unique dans le département de l’Aude, voir au-delà … Mouvement, plasticité, symbolique, tout est réuni ici pour témoigner de manière exceptionnelle et vivante de la Passion du Christ.

Stéphanie Tonon, historienne et archéologue.
Directrice de l’office de tourisme de Castelnaudary et du Bassin Lauragais

Francis Falcou, Professeur certifié, Président des "Amis de Castelnaudary".

Visite guidée toute l’année sur réservation pour les groupes (+10 pers) OTSI : 04 68 23 05 73.

Crédit Photos : Jean-Claude Huyghe,
président des "Artistes Peintres du Lauragais".



Tableau du Jugement : "Ecce Homo"

Ce tableau s’apparente à ce que l’on appelle l’"Ecce Homo" qui est la forme latine de l’annonce de Pilate : "Voici l’homme !". Cette scène trouve son origine dans l’Evangile de Jean. Ponce Pilate fait sortir Jésus du San-hédrin sous le déguisement d’un roi caricatural et réaffirme une fois encore qu’il n’a trouvé aucune faute qui puisse justifier une condamnation à mort. Comme dans toutes les représentations de l’Ecce Homo, le Christ nous apparaît vêtu du manteau de pourpre, de la couronne d’épines et du roseau dont l’on a affublé par dérision quelque temps auparavant dans le prétoire des romains. Ses mains sont liées.

Le jugement

Les premières figurations de cette image du Christ apparaissent au IXème ou Xème siècle. A la fin du Moyen Age, le corps de Jésus est dénudé sous le manteau de pourpre, ses mains liées sont croisées devant lui. A la fin du XVème et au début du XVIème siècle, la scène s’enrichit d’un nombre croissant de personnages. Ici, le sculpteur reprend la tradition iconographique connue depuis le XVIème siècle : un soldat écarte le manteau de pourpre pour faire ressortir la nudité du Christ. Ce geste tend à souligner la part humaine de Jésus (l’auréole n’est jamais figurée dans cette scène) mais aussi sa complète solitude, abandonné de tous. L’artiste a accentué cette "nudité" par le contraste avec l’ensemble des autres personnages qui eux sont totalement vêtus.
A gauche du tableau on reconnaît Pilate, préfet de Judée (de 26 à 36 ap. J.C.), sur un trône dont les accoudoirs ont la forme de tête d’aigle. Pilate se lève et tend la main vers Jésus : "Ecce Homo", "Voici l’homme". Caïphe, grand prêtre de Jérusalem, est présent à sa droite. Le sculpteur l’a représenté tenant dans ses mains une des Tables de la Loi de Moïse dont il avait la garde au Temple de Salomon. Il est assis, son regard se détourne du Christ, les jambes sont croisées en signe de désinvolture. Il semble s’adresser à Pilate : "Si tu relâches cet homme, tu n’es pas un ami de l’empereur ! Quiconque se prétend roi est un ennemi de l’empereur !" Jean 19,12.

Extrait de l’ouvrage La chapelle Notre-Dame de Pitié : joyau du baroque Languedocien, par S. Tonon et F. Falcou, nov. 2005.
En vente auprès des «Amis de Castelnaudary»


Couleur Lauragais n°88 - Décembre 2006 / Janvier 2007