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Couleur Lauragais : les journaux

BALADE EN LAURAGAIS

La vallée de l’or, découverte d’un patrimoine méconnu autour de Berniquaut

Du côté de Sorèze, dans le Tarn, la "Vallée de l’Or" offre aux visiteurs des promenades dans de magnifiques paysages jalonnés de sites recelant des trésors pour qui s’intéresse au passé : en ces lieux l’homme a laissé sa trace, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours, en passant par l’Antiquité et surtout la période médiévale. Jean-Paul Calvet, membre de Sociétés d’histoire et d’archéologie du revélois et du sorézois, nous invite à une découverte qui nous transporte à la naissance de l’humanité.

Vue aérienne de la vallée de l'or

Aux origines de la vallée de l’or
Au départ de Sorèze, si on pénètre la Montagne Noire par la vallée de la Mandre en direction de l’Est, l’environnement minéral et végétal, ainsi qu’une atmosphère mystérieuse, emplissent le promeneur de fortes sensations. Cette aventure pédestre va le conduire sur des chemins qui remontent le temps.
Cette vallée est mentionnée dès le VIIIème siècle dans la charte de fondation de l’abbaye de Sorèze. Le ruisseau est mis en relation avec le site de Verdinius qui n’est autre que Berniquaut : "Construere monasterum in pago tolosano juxta castrum quod dicitur Verdinius cui Sorcinii rivulo..." ce qui signifie : "Construire un monastère (abbaye) dans le pays toulousain (zone administrative) jouxtant une place fortifiée que l’on appelle Verdinius (Berniquaut) située sur la rivière du petit Sor (Orival ou vallée de la Mandre)".
Par le terme "Soricinii Rivulo" (diminutif de la rivière Sor) on a désigné le petit ruisseau de l’Orival (Auriesvalt) au toponyme évocateur. Celui-ci laisse à penser que, dans des temps reculés, les sables alluviaux de la vallée auraient été aurifères, attirant les orpailleurs.
Il est possible que cette vallée renferme de l’or. Mais la véritable richesse est surtout patrimoniale ; en effet, on y trouve de nombreux sites archéologiques et historiques. Nous vous invitons à les découvrir.

Sorèze, ville historique
La première étape de ce périple est Sorèze. On peut y visiter :
- son parcours historique dans les ruelles au caractère médiéval (27 panneaux explicatifs),
- son musée municipal géré par les "Amis de Sorèze" (musée d’archéologie et du verre),
- le clocher St Martin,
- l’Abbaye Ecole, ancienne Ecole Royale militaire.
L’abbaye est la "pierre d’angle" de l’histoire de la ville qui connaît une phase d’expansion du IXème au XIIIème siècle.
Dès 1057, un texte fait mention d’actes de vente de maisons. En 1280, 1286, puis 1322 on trouve la présence de "bordes et de jardins" parfois "hors de la ville". Le terme "barri" (faubourg) est employé en 1322, soulignant l’importance de l’extension de la cité.
Le bourg de Sorèze se développe en 3 phases principales :
- la Ville Vieille : naissance du bourg à l’Ouest des bâtiments conventuels (Xème - XIème siècles) ;
- la paroisse Saint Martin : développement méridional de l’agglomération (XIIème siècle) ;
- la Nouvelle Ville (XIIIème - XIVème siècles) ou "bastide de Sorèze".


Panneaux indicatifs dans les rues de Sorèze, relatant l'histoire du développement de cette cité

Cette cité s’agrandit avec la création du village de Durfort par des habitants de Berniquaut, qui préfèrent descendre dans la vallée, plus fertile.
De nombreuses controverses existent quant à la fondation de Sorèze. La charte de fondation de l’abbaye carolingienne ainsi que le "vidimus" original (voir définition in fine) n’ont pas été conservés. La tradition attribue à Pépin le Bref puis à Pépin 1er d’ Aquitaine l’acte de fondation de cette abbaye, nommée Sainte Marie de la Sagne, puis Notre Dame de la Paix au XIIIème siècle.
Plusieurs documents nous éclairent en partie sur l’origine de la ville, notamment une copie incorrecte du vidimus de 1391 faite à l’abbaye en 1723.
Les principales dates retenues sont 754, 814, 817 et on s’accorde maintenant à faire remonter la fondation à l’an 816 sous le règne de l’empereur Louis le Pieux.
La "paix franque" suscite au IXème siècle un essor monastique. Incorporée au diocèse de Narbonne, l’abbaye bénéficie de l’appui et des privilèges royaux. Elle participe au mouvement de réforme des monastères, confiée par l’empereur à Benoît d’Aniane. Elle fait partie des quelque 25 établissements créés à l’époque carolingienne.

A l’image de nombreux monastères fondés au IXème siècle, celui de Notre Dame de la Sagne se place sous la protection du castrum de Verdinius (Berniquaut), et de la famille vicomtale d’Albigeois.
Le droit d’immunité permet à l’abbé d’être maître des terres attribuées à l’abbaye.

Le site minier médiéval et le complexe souterrain Jean Antoine Clos
Situé à 530 m d’altitude, le plateau du Causse de Sorèze s’est formé sur des terrains calcaires datant de plus de 540 millions d’années. Des remontées hydrothermales ont fait migrer des hydroxydes de fer dans la masse rocheuse il y a au moins 160 millions d’années.
Ces hydroxydes ont été utilisés et "fondus" dans des bas fourneaux aux XIème et XIIème siècles. Aux alentours de l’an mil, une collecte de "nodules de fer" a eu lieu en surface et en profondeur ; les "mineurs médiévaux" ont pénétré jusqu’à 130 mètres la plupart des cavités naturelles de cette région.
Un ensemble souterrain de 7 kilomètres environ, la grotte du Calel, drainé par un ruisseau souterrain, en fait un véritable paradis pour spéléologues.
De nombreuses traces de l’exploitation médiévale ont été relevées par le Service Régional de l’ Ar-chéologie, dans le cadre de campagnes de fouilles programmées de 1989 à 1996 avec le concours de la Société de Recherches Spéléo-Archéologiques du Sorèzois et du Revélois.
Parmi ces "traces" on trouve des escaliers, des ponts, des tunnels, de nombreux coups de pics sur les parois, des restes de foyers, et, certainement le plus intéressant, des dessins et gravures représentant bien souvent les mineurs eux-mêmes, ou plutôt les "enfants de la mine". Agés de 6 à 8 ans, ils ont laissé les empreintes de leurs pieds dans l’argile, prouvant ainsi leur présence au plus profond de la grotte.


Gravures anthropômorphes représentant les "enfants de la mine" - Grotte de Calel

En effet, il fallait être robuste et agile pour prospecter l’intérieur de la montagne : quelques torches et lampes à graisse y dispensaient un faible éclairage, la protection vestimentaire était bien souvent insuffisante (les traces laissées dans l’argile démontrent la présence de tissus à fibres grossières) ; quant aux pieds ils étaient nus !
Le paysage de la vallée à l’époque devait être différent : les forêts étaient utilisées pour alimenter en charbon de bois les bas fourneaux, dont certains ont été repérés avec les charbonnières sur les versants de "Malcoustat".
Un projet de valorisation du site est déjà amorcé : table d’orientation, espace pique-nique, panneaux didactiques situés à quelques kilomètres de Sorèze.

L’oppidum de Berniquaut
Surplombant de 300 mètres la ville de Sorèze, Berniquaut est réputé comme le plus beau belvédère de la région.
La charte de fondation de l’abbaye de Sorèze cite le castrum de Berniquaut :
"juxta castrum quod dicitur Verdinius" (jouxtant une place fortifiée que l’on appelle Verdinius (Berniquaut)) qui serait à cette date une forteresse publique carolingienne.


Oppidum de Berniquaut

Le site de Berniquaut dénommé "castellum", "castellare" ou "bastimentum" (entre 1046 et 1141) est au XIIème siècle une possession des vicomtes d’Albi ; l’administration est inféodée aux seigneurs de Roquefort et au seigneur abbé de Sorèze. L’occupation de ce site se perd dans la nuit des temps, les premières traces attestées de la présence de l’homme remontent à plusieurs dizaines de milliers d’années dans les grottes du versant méridional.
A partir de moins 5000 ans les producteurs éleveurs du néolithique s’installèrent sur la partie sommitale.
Les fouilles effectuées dans les années 1970 puis 1980 ont permis de mettre à jour des éléments nous informant sur ces occupations au travers des périodes préhistorique, protohistorique puis historique.
La courbe démographique a varié selon les époques. Refuge des populations lors de conflits, le site sera rendu à la nature après la "Pax Romana" ainsi qu’à la fin du XIIème ou au début du XIIIème siècle.
Deux grandes périodes ponctuent l’importance de cet habitat fortifié :
- le premier et surtout le deuxième âge du fer : moins 750 à moins 50 av. J.C. avec com-me caractéristique un im-portant mur défensif de plus de 700 m de longueur. En effet vers le milieu du IIème siècle avant J.C., une partie du monde celtique se couvrit de "villes". Certaines pouvaient être immenses (plusieurs centaines d’hectares) et avoir le rôle de véritables capitales politiques, économiques et religieuses pour tout un peuple. D’autres plus modestes comme Berniquaut ont toutefois joué un rôle non négligeable. Son nom antique Verdinius (Verdun) évoque une place fortifiée et "militarisée" celte (peuple des Volques Tectosages ou Ruthènes). Il occupe une position prédominante, à la limite de l’Albigeois et du Lauragais, à proximité de la voie d’Aquitaine (l’isthme gaulois – la route de l’étain) et des centres métallurgiques antiques des Martys.
Cette situation privilégiée en fait un site archéologique incontournable pour la compréhension des rapports entre les pays méditerranéens et l’Aquitaine durant un millénaire riche en évolutions techniques, économiques et sociales ;
- la période médiévale avec le "castellare de Brunichellis" sous la dépendance des seigneurs de Roquefort et de l’abbé de Sorèze.
Toute une communauté villageoise vivait à l’intérieur de remparts.


Croquis de l'ancien site de Berniquaut

La chapelle Saint Jammes de Bezaucelle et le hêtre multicentenaire
Dans la Montagne Noire, le domaine de Pratviels appartenait autrefois aux religieux bénédictins de Sorèze. Ceux-ci, en accord avec le curé de Durfort, officiaient à la chapelle Saint-Jammes de Bezau-celle située dans la montagne, sur la route d'Arfons, près du grand hêtre.
Les métairies étaient nombreuses autour du domaine : Grange Vieille, Grange Haute, Grange Basse, le Granjou, et la chapelle était considérée comme une paroisse rurale. Baptêmes et mariages y étaient célébrés et les défunts inhumés dans le cimetière entourant la chapelle (les archives de Durfort mentionnent des inhumations en 1669, 1684, et 1728).
Aujourd’hui on peut encore voir les murs extérieurs, sur une hauteur de un mètre cinquante environ.


Murs extérieurs de la chapelle Saint Jammes du XIème siècle,
placée sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle

Le chœur est bien délimité par la base de deux piliers et les restes de l'abside sont abrités par le grand hêtre.
La porte d'entrée se situait sur le mur sud et une petite porte, sur le mur nord , donnait accès au cimetière.
L’origine de cette chapelle pourrait dater des environs du XIème siècle ; placée sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle, elle fait partie des "églises de la croissance". Elle est mentionnée dans un texte daté de 1130 concernant la donation par des seigneurs propriétaires de la moitié de la dîme de l’église.
L’église de Saint-Jammes se voyait déléguer le devoir de messe auprès des habitants de la Montagne Noire, symbolisant ainsi le pouvoir du seigneur abbé sur les hauteurs du sorèzois. Ce pouvoir était également représenté par la présence de "granges", où les frères venaient pour travailler dans les forêts ou les cultures.
Un respectable "Fagus Sylvatica", ou hêtre, multicentenaire, veille à la tranquillité du site. Ses mensurations sont impressionnantes : 5,60 m de tour de taille, 18 à 20 m de hauteur, 20 à 25 m de diamètre de frondaison (circonférence de plus de 90 m).


Le hêtre de Saint Jammes

Le site est en cours d’aménagement par un collectif associatif avec le concours de la municipalité de Sorèze.

Le castlar de Durfort
Grâce aux fouilles, on connaît mieux aujourd’hui ce site médiéval daté des XIIIème au XVème siècles. Entourant une tour castrale, plusieurs maisons d’habitation se sont installées, surplombant le village de Durfort.

Les archéologues ont eu la chance de découvrir un grenier incendié, grâce auquel on a pu mieux connaître les habitudes alimentaires du Moyen-Age. Le castlar est visible depuis la sortie du village ; on peut y accéder à pied à condition d’être entraîné et prudent.


Tour castrale surplombant le village de Durfort


Le site castral du château de Roquefort

Juché au sommet d’une sorte de pain de sucre, le village médiéval de Roquefort est surplombé par une belle tour. Les vestiges de cet ensemble ont été étudiés récemment par les archéologues. La tour peut se voir de loin ; il faut remonter la vallée du Sor.

Bague oiseau, 2ème âge du fer. Ce pictogramme a été retenu comme "logo" de la médiatisation du projet de valorisation de Berniquaut
(Musée de Sorèze)
 
   

Bijou celte, du 2ème âge du fer
(musée municipale de Sorèze)

 

Lampe à graisse, servant
à éclairer les mineurs dans
les grottes

Pièce de monnaie ruthène
(Musée municipal de Sorèze)

 

Que vous soyez randonneur, féru d’histoire ou simple curieux, ces sites vous raviront, et leur visite enrichira votre connaissance de cette région.

Jean-Paul Calvet
Société d’Histoire de Revel Saint-Férréol
Société de Recherches Spéléo Archéologiques du Sorèzois et du Revèlois

Crédit photos : Jean-Paul Calvet - excepté "Le hêtre de St Jammes" par Jean-Marie Maurin
Définition : Vidimus - mot latin signifiant "nous avons vu". Attestation certifiant qu’un acte a été trouvé conforme à l’original.

Couleur Lauragais n°84 - Juillet/Août 2006