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Couleur Lauragais : les journaux
Histoire

Le retour des Trois Grâces

Lé "Grifoul"*, qu’es acô ?…
A Revel aux siècles derniers (XIXème et XXème) c’était une place, sise au carrefour de la route de Castres et des boulevards de la République et Gambetta. Celle-ci était divinement agrémentée d’une fontaine monumentale. C’est son histoire succinte, mais non moins romanesque que nous allons vous conter…
Car cette fontaine n’était autre que celle des célèbres "Trois Grâces" divinités gréco-romaines dans la mythologie : Aglaé, Thalie et Euphrosyne. L’original de cette sculpture est au musée du Louvre à Paris (Germain Pilon, sculpteur français du XVIème siècle).
Pourquoi ce sujet exclusivement revélois, dans ce numéro de Couleur Lauragais ?… Eh bien… Tout simplement parce qu’elles sont de retour, nos Trois Grâces !… Mais surtout parce qu’elles ont abreuvé durant près de cent ans, les animaux (chevaux et bovins) qui étaient commercés sur le foirail tout près. A Revel se tenaient en ces temps là de gros marchés et foires à bestiaux provenant de toute la région du Lauragais…



Le retour des Trois Grâces à Revel
Crédit photo : Couleur Média

Nous sommes en 1874, plusieurs intervenants, dont la maison Ducel et Fils, maîtres de forge à Paris, traitent d’un projet, avec le Maire de Revel, Jean Get, pour la construction d’une fontaine monumentale, à l’entrée de la ville par l’avenue de Castres.
Cette fontaine, après de nombreuses palabres et tergiversations, verra enfin son projet se concrétiser en 1877, pour la somme totale de 1370 Francs (somme importante à ce moment-là !).
Elle se compose d’un bassin circulaire, entouré d’une douzaine de bornes protectrices, en belle pierre de la Montagne Noire.

En son centre, perché sur un piédestal triangulaire, un ensemble en fonte moulée, représentant les Trois Grâces, divinités gréco-romaines. Deux vasques circulaires d’où s’écoulera l’eau leur serviront de chapeau. Avec au sommet une ferronnerie représentant les armoiries de la ville : blason contenant un R couronné (voir cartes postales n°1 et 2). Également en fonte moulée, plaqués sur les trois côtés, trois blasons armoiries de la ville, surmontés de trois robinets d’où s’écoule l’eau. Toute cette eau est récupérée dans le bassin circulaire de 10 mètres de diamètre environ et de 0,80 mètre de hauteur. Le socle triangulaire qui doit supporter l’ensemble en fonte est d’une hauteur de 3,50 mètres, le tout construit en pierre. Quelle aubaine, pour ces nombreux animaux, bœufs, vaches, chevaux et autres, qui étaient de passage sur les marchés et foires voisins où avait lieu cet important commerce, ils pouvaient s’abreuver à volonté. Mais aussi, oh !… Joie des petits et des grands !… lors de la venue de cirques au Padouvenc, les animaux de la ménagerie venaient également s’y abreuver. Le spectacle des éléphants qui, sous les Trois Grâces médusées, venaient faire leurs "ablutions" et s’asperger d’eau avec leurs longues trompes… C’était la belle époque !… Mais un jour de 1924, tout celà s’interrompt brutalement !… Le Grifoul était entouré de platanes majestueux (voir carte postale n°3), et lors de l’abattage de l’un de ceux-ci, malade certainement et devenant dangereux, une grosse branche s’abattit sur la fontaine… Celle-ci ne résista pas à cette attaque impromptue… et les Trois Grâces furent passablement mutilées… Oh !… Rage ! Oh !... Désespoir !…


Carte postale n°1

Carte postale n°2

Mort et renaissance de nos trois divinités
L’histoire de ces trois grâces aurait pu s’arrêter là. Eh bien non !… Nos édiles municipaux décidèrent rapidement de réparer cet outrage malencontreux, d’autant que la compagnie d’assurance, couvrant la responsabilité civile de la mairie, finança en partie le remplacement de la fontaine. Et c’est en 1925 que de nouvelles Trois Grâces se substituèrent à leurs aînées…
Toutes pimpantes de neuf, elles virent sur leur partie sommitale, en lieu et place de la ferronnerie avec les armoiries, une superbe lanterne, en fer forgé…(voir carte postale n°4) Celle-ci servait-elle de "phare" à l’entrée de la ville ?… L’eau y coula et abreuva encore pendant un quart de siècle… Puis, les animaux quittèrent la ville… Les autos remplacèrent les chevaux… et les exigences de la vie moderne, comme la circulation, firent que dans les années 1950, nos Trois Grâces descendirent de leur piédestal et quittèrent le Grifoul pour être enfermées dans le dépôt municipal… Triste destin à nouveau… !…Il faut dire honnêtement que la fontaine ne remplissait plus ses fonctions d’agré- ment ; passablement dégradé, le bassin servant de dépôtoir, fuyait l’eau de toutes parts. Elle fut rasée et fit place à un simple bassin, qui servait de giratoire…


Carte postale n°3

Carte postale n°4

Mais pour nos Trois Grâces, tout n’est pas terminé… Après une cure de sommeil de presque trente-cinq années, voilà que nos édiles municipaux, encore eux, décident de les faire renaître !… Pourquoi pas !… en 1987. Cette renaissance va s’opérer à l’entrée des allées Charles de Gaulle, face au boulevard de la République. Un nouveau bassin hexagonal celui-là, plus quelques éléments, bacs à fleurs, le tout en granit taillé en arêtes vives. Nos Trois Grâces perdues dans les feuillages des platanes de cette belle allée promenade ne se sentaient pas très à leur aise !.. D’anciens revélois attachés à leur patrimoine, ont fait pression sur leurs édiles (et oui !… encore) pour que nos trois belles retrouvent leur Grifoul d’origine. C’est chose faite depuis quelques semaines, elles trônent à nouveau, sur leur piédestal et au centre d’un beau bassin circulaire identique à celui d’origine, le tout agrémenté d’un parterre fleuri. Elles sont enfin de retour parmi nous !… Aglaé, Thalie et Euphrosyne. Merci à nos édiles… !

Quant aux Trois Grâces mutilées, après que la Compagnie d’assurance les ait cédées, pour une somme modique, à un revélois possédant château (En Tell) à Nogaret, elles se trouveraient actuellement dans un autre château, voisin du précédent, à Montgey… Que demande le peuple pour ces trois reines, célèbres divinités… Une vie de château bien méritée !

Jacques BATIGNE

* Jet d’eau d’une fontaine, d’un robinet, d’une source…
(Dictionnaire Languedocien /Français d’Adelin Moulis)

Documentation : Archives de Paris et Revel
Collection Cartes postales : Michel Bourguignon et Jacques Batigne.

Couleur Lauragais n°75 - Septembre 2005