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Couleur Lauragais : les journaux

Reportage

Les restaurations de l’Abbaye de Saint-Papoul

À 8 Km au nord-ouest de Castelnaudary, dans une région boisée, au contact des collines et de la Montagne Noire, se dresse l’abbaye de Saint-Papoul. Baignée par le ruisseau du Limbe, elle fut érigée en cathédrale en 1317 et vit se succéder trente-quatre évêques, dont sept furent cardinaux. Ayant subi de nombreuses dégradations qu fil du temps, il a été décidé de restaurer son église. Des travaux minutieux qui ont nécessité deux années.


Le choeur de l'église de St Papoul restauré
Crédit photo : Marie Robart

L’usure du temps
Au cours des siècles, l’église fut dotée de superbes décors comme le baldaquin baroque en bois sculpté, peint en faux marbre et doré, ou les 26 stalles entourant le chœur.
Cet ensemble remarquable subit les désagréments du temps et du mauvais entretien. La moisissure et la saleté risquaient de nuire définitivement à cet édifice.
L’arc triomphal était fissuré, ses peintures altérées, les stalles démontées étaient vermoulues et disloquées, une partie du siège épiscopal avait disparu.
Suite à de longues études préalables, les travaux de restauration ont débuté en mars 2002. La campagne de restauration s’adressait à trois corps de métier : peintres, doreurs et menuisiers. La première étape fut celle des doreurs.

Élément sculpté avant restauration de la dorure
Crédit photo : V. Petit

Les dorures
Les parties essentiellement concernées par la dorure sont visibles sur le baldaquin. De façon générale, les apprêts étaient particulièrement dégradés, la couche initiale se détachait et le bois apparaissait. Seulement 15 à 20 % des ors anciens étaient encore en place, leur étude a permis de connaître les techniques et les coloris utilisés afin que le travail de restitution des dorures soit le plus proche possible de l’état primitif.
Les ors d’origine ont été conservés, nettoyés et consolidés. Et là où une restauration était impossible, le bois a été mis à nu. Au début de la campagne de travaux, cent sept éléments du baldaquin ont été démontés pour être redorés un à un.
La dorure "à la détrempe" peut nécessiter jusqu’à vingt-deux étapes différentes, dont les apprêts (encollage composé d’eau, de peau de lapin, de craie et d’ail), les blancs, le ponçage, l’encollage jaune, la reparure, le coucher d’assiette, la patine.
Cette tranche de travaux occupa deux personnes hautement qualifiées durant dix semaines. Ces artisans ont aussi travaillé sur le lutrin et le siège épiscopal.

Élément sculpté après restauration de la dorure
Crédit photo : V. Petit

Les peintures
La restauration des peintures prit huit mois et mobilisa trois restaurateurs.
Le décor peint de l’arc triomphal ayant beaucoup souffert, on consolida l’enduit qui formait par endroits des poches en injectant un produit à base de chaux. Les peintures furent dépoussiérées à la brosse douce, puis nettoyées de bas en haut à l’aide de tampons imprégnés de solvants. Ayant perdu son liant, le nettoyage de la peinture menaçait sa conservation. Il a donc fallu fixer les pigments en nébulisant la résine en surface.
Les trous, les fissures et les lacunes bouchées au mortier à chaux, un badigeon a été posé "à fresque" (1) comme couche de fond.
L’étape suivante a consisté à restaurer le décor. On a utilisé la technique dite "illusionniste" qui consiste à reconstituer le dessin à l’identique ; on ne distingue plus les restaurations des originaux. Certaines usures ont été laissées telles quelles car elles ne gênaient pas la lecture de l’œuvre.
Les peintures du chœur étaient ravagées par les infiltrations de la toiture. L’humidité et une mauvaise préparation d’origine ont fragilisé le décor. Après avoir consolidé l’ensemble avec des injections comme précédemment, il fallut dessaler les peintures. En effet, celles-ci se désagrégeaient sous l’action des sels minéraux qui remontaient à la surface par capillarité. Le nettoyage avec solvants a révélé des dessins cachés sous une épaisse couche de salissures et de moisissures. Les voûtes ont fait l’objet d’une restauration "picturale" (2) alors que la travée a été reconstituée à l’identique. Les chapiteaux romans ont été dégagés, nettoyés et passés à l’eau-forte.
Depuis la construction du baldaquin, les variations hygrométriques avaient provoqué des gonflements du bois, les peintures s’étaient délitées et défraîchies. L’épais verni, qui après oxydation avait assombri et jauni les couleurs, a été décapé. Les couleurs ont alors retrouvé leur éclat d’origine. Certains détails sont ainsi réapparus tel le vol d’une colombe sur le dos !
La couche picturale fut consolidée, les faux marbres réintégrés puis l’ensemble a été verni.

 
Fresques avant restaurations
Crédit photo : V. Petit

 
Fresques après restaurations
Crédit photo : V. Petit

Les bois
Ensuite, c’est le mobilier en bois qui fut restauré. Les stalles étaient vermoulues et disloquées. Elles ont été démontées et déchevillées, les parties abîmées superficiellement ont été renforcées par des applications de résine époxy. Les parties manquantes ont été remplacées en bois de chêne. L’ensemble a été traité avec des produits fongicides et insecticides.
Une fois l’ensemble rechevillé, des sculptures "à la gouge" (3) ont été réalisées en suivant scrupuleusement le modèle des stalles conservées.
Pour conserver et laisser visible l’enfeu (4) du mur nord du chœur et placer le trône épiscopal dans le prolongement des stalles, seules vingt-deux des vingt-six sièges d’origine ont été réinstallés.


Stalles restaurées
Crédit photo : M. Robart

Les restaurations ont été achevées en mars 2004 afin de proposer aux nombreux visiteurs et aux habitants une église qui a retrouvé toute sa splendeur. Le mélange des styles dû à une histoire très riche donne à ce monument son originalité. Toutes les caractéristiques des grandes périodes de l’histoire de l’art sont présentées au travers de cette ancienne cathédrale ; l’architecture primitive et les sculptures du chevet du Maître de Cabestany témoignent de l’art roman, les chapelles et le chœur gothiques sont magnifiés par un décor baroque.

(1) "Peindre à fresque" : technique de peinture murale exécutée à l’aide de couleurs délayées à l’eau, sur une couche de mortier frais à laquelle ces couleurs s’incorporent. Cette expression provient de l’italien "fresco" se traduisant par frais.
(2) La restauration picturale : on évoque le terme de "restauration", comblement des lacunes, des éclats et des usures ou de "restitution" lorsque les éléments importants ont disparu.

(3)- "à la gouge" : la gouge est un ciseau à tranchant courbe ou en V, servant à sculpter, à faire des moulures.

(4) - Enfeu : niche funéraire

Sources
Panneaux de l’exposition permanente sur la restauration du Chœur de l’église de Saint-Papoul.
Jean Odol, Guy Jungblut, L’abbaye de Saint-Papoul, ed. Stéphan Arcos, Toulouse, 1995.


Rappel historique

Le martyre de Saint Papoul s’est probablement déroulé au VIème siècle après J-C. La tradition rapporte qu’il aurait été un évangélisateur du Lauragais et disciple de Saint Sernin, premier évêque de Toulouse.
Au VIIIème siècle, les ermites, qui s’étaient installés sur le site, se déplacèrent pour fonder l’abbaye à l’emplacement que l’on connaît aujourd’hui. Le premier document connu est un acte de Louis le Pieux daté de 817 .
Au XIème siècle, la vie spirituelle de Saint-Papoul, régie par la règle bénédictine est marquée par la présence de Saint Béranger, moine réputé pour son ascétisme. Après sa mort, survenue en 1093, les miracles se multiplient sur sa tombe, son culte connut une immense renommée.
Si au XIIème siècle l’abbaye, affaiblie, dépend de celle d’Alet, la prospérité semble revenir au XIIIème siècle puisqu’en 1209 elle achète la seigneurie de Villespy.

Saint-Papoul, évêché

Mais c’est au XIVème siècle que Saint-Papoul connaît son âge d’or, l’église abbatiale devint église cathédrale. En effet, en 1317, Jean XXII, évêque en Avignon, créa de nouveaux évêchés dont celui-ci. Saint-Papoul, centre d’un territoire qui comprenait quarante-quatre paroisses et huit annexes connut ce statut jusqu’à la Révolution.
Cette situation favorisa le développement du site, l’église et le village connurent une longue période de prospérité. De style Roman, l’architecture de l’église a été maintes fois remaniée au cours des siècles suivant les modes et les goûts des différents évêques. Le cloître datant du XIVème siècle est formé de quatre galeries à arcades en plein cintre retombant sur des colonnettes jumelées par des chapiteaux ornés de motifs feuillagés et d’animaux monstrueux appartenant au gothique fantastique.
L’église connut plusieurs modifications, son architecture évolue en même temps que ses fonctions : la liturgie monastique et son austérité laissent la place à l’accueil des fidèles et aux fastes épiscopaux.

Marie ROBART

Couleur Lauragais n°63 - Juin 2004