La Cocagne : une histoire dans l’histoire
La fête historique de la Cocagne fait partie du patrimoine culturel Lauragais. Elle attire à Saint Félix Lauragais de nombreux visiteurs venus de toute la région. Chaque année, ses organisateurs choisissent un nouveau thème pour le plaisir des petits et des grands. Hubert Roques, qui en a été le président pendant 14 ans, nous raconte la naissance de cette manifestation bien de chez nous et ses faits les plus marquants.
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C’était
il y a 32 ans...
"Alors, bonnes gens et gentes dames, Saint Félix, le Pays de Cocagne,
va ainsi très bientôt et pendant deux jours se parer de rétrospective
et de rêve, de camelots et de troubadours, d’acrobates et de magiciens,
de manants et de damoiseaux, de ménestriers et de vilains, de larrons
et de chevaliers et pour tout dire … de tout un peuple !"
C’est ainsi qu’il y a 32 ans, en 1973, le héraut d’armes
conviait la population à la première Foire à la Cocagne.
Dans le but d’animer les rues et places pendant la période pascale,
le Maire de l’époque, Raymond Lanjard, entouré d’une
équipe dynamique venait de créer ces festivités, évocation
du siècle du pastel qui fit la fortune de notre région au XVIème
siècle. Au terme des rigueurs de l’hiver et à l’orée
des beaux jours, la foule des promeneurs et touristes (qui ne connaissait
encore ni les autoroutes, ni les moyens de communication actuels plus rapides)
se pressaient à Saint Félix qui devenait en quelques années
un lieu de rendez-vous incontournable attirant plus de 10 000 personnes (le
billet d’entrée était à 1 Franc avec gratuité
pour les enfants).
La cour des miracles
Crédit photo : Collection Hubert Roques
Les
origines du nom "cocagne" et donc de la foire
"Le païs a nom Coquaigne
Qui plus i dort plus i gaigne"
"Au pays de Cocagne Plus on dort plus on gagne"
Le nom de Cocagne se réfère à une culture, celle du pastel
(Isatis Tinctoria) cultivé depuis le Moyen Age dans le triangle Toulouse
- Carcassonne - Albi, et qui a connu son plein essor aux XVème et XVIème
siècles. Cette plante à fleurs jaunes servait à tinter
les étoffes en bleu. Par des mélanges on obtenait du noir, du
vert, du violet. Or le pastel nécessitait une longue préparation
et les feuilles, une fois broyées dans les "moulins pasteliers"
étaient mises à fermenter. On confectionnait ensuite des boules
de 10 cm environ appelées "cocos" ou "cocanhas"
: d’où le nom Cocagne.
Et c’est sous cette forme qu’elles étaient négociées
en Lauragais dans des marchés et foires. Prospérité de
la région, voire fortune des négociants toulousains, les grands
pasteliers à qui l’on doit le premier commerce international
vers l’Angleterre et les Flandres. De là l’évocation
de l’âge d’or, du pays des merveilles :
"Veut-on manger, les metz sont épars dans les plaines
Les vins les plus exquis coulent de nos fontaines,
Les fruits naissent confits en toutes les saisons,
Les chevaux tous sellés entrent dans les maisons,
Le pigeonneau farci, l’alouette rôtie,
Vous tombent ici-bas du ciel comme la pluie".
Legrand (1737-1800) - Le roi de Cocagne I,2.
Grimper
au mât de Cocagne
Tenter sa chance et pourquoi pas faire fortune : le traditionnel mât
dressé sur la place où sont accrochés filets de charcuterie
et d’autres présents constitue à lui seul une belle attraction
permanente où se mesurent les champions de la grimpe et de l’escalade.
Le mat de cocagne
Crédit photo : Collection Hubert Roques
La
fête - Foire à thèmes
Le thème des premières années : les produits naturels
et fermiers de notre pays Lauragais, l’artisanat rural artistique et
local, la reconstitution de la cour de ferme avec ses animaux, les vieilles
coutumes et les grands souvenirs des petits métiers du spectacle, des
camelots, des cirques et des bateleurs, allaient très tôt être
complétés par des évocations historiques avec défilés
et spectacles d’une rare qualité tels que la télévision
de l’époque nous les offrait avec la fameuse "Piste aux
Etoiles".
Et
voici le cirque, les balladins...
Grâce à Pierre Lartigue, citoyen d’honneur de Saint Félix,
président fondateur du Cirque de Noël de Toulouse, nous allions
avoir le privilège de voir évoluer sur nos places des artistes
de la famille Zavatta et Bouglione. Spectacles d’une prestation exceptionnelle
avec les funambules : les Collin’s et Roger Regor et sa fameuse roue
de la mort, Désiré Rech et ses chimpanzés, la famille
Bauer avec éléphants, lions et tigres, l’homme orchestre
Rémy Brica, recordman de la traversée de l’Atlantique
en planche à voile.
Autre événement, "l’intrusion" des ours dans
le défilé de la Cocagne, l’admirable Noël Lestienne
"plus ours que son ours", promenant son "Dandy" de 250
kg dans les rangs de la salle de classe, créant l’émerveillement
des enfants lui prodiguant bonbons et autres friandises. A mentionner également
les ours de "Dimitri" venus tout droit des Karpates et évoluant
au son de la musique tzigane et de l’orgue de barbarie.
L’histoire
de France vue par la Cocagne
Histoire de France et de notre région : Saint Félix ayant été,
à travers les siècles, témoin de faits historiques importants,
ceux-ci constituaient autant de thèmes illustrés par nos fêtes
- le Concile Cathare de 1 167 qui se tint dans notre village nous permettait
d’évoquer le Moyen Age avec l’arrivée du Pape Nicetas
(Hervé Bourdil) sur son char tiré par les vaches de Maurice
Batigne. L’abbé Giordano, curé du village et historien
érudit s’attacha à reconstituer l’événement
avec l’intronisation des évêques Cathares.
Ce Moyen Age nous invitait à la relecture de "Notre Dame de Paris"
et c’est ainsi que dans nos rues et sur nos places déambulait
la Cour des Miracles avec Esméralda, sa chèvre blanche et Quasimodo.
Autre thème : le XVIème siècle, le pastel et la Renaissance
où les couturières réalisèrent de somptueuses
toilettes pour vêtir ces gentes dames et les Capitouls toulousains.
L’évocation de la découverte de l’Amérique
vit même une caravelle évoluer (à défaut de naviguer)
dans les rues de Saint Félix.
Ainsi, chaque année amenant un nouveau thème, ce furent tour
à tour Rabelais et le culte du bien manger et du bien boire, le siècle
de Louis XIV avec une attention toute particulière et un hommage à
"nostre" Pierre-Paul Riquet qui fût baron de Saint Félix.
En mémoire de l’arrivée des anglais de Wellington en 1814
bivouaquant sur les collines des Fourches, le vestiaire se mettait à
l’heure de l’Empire : Napoléon, Joséphine et les
admirables hussards de Tarbes dont les prestations musicales dans le défilé
et sous les voûtes de la collégiale resteront un des grands moments
de la Cocagne. Le souvenir de Déodat de Séverac, enfant de Saint
Félix, constitua l’argument conduisant au thème 1900 et
la Belle Epoque avec les danseurs de Quadrille et la présentation des
premières voitures automobiles.
Autre époque et autre ambiance créée par les formations
musicales des Manja Cat et du Banana Jazz : les Année Folles avec ses
garçonnes, ses canotiers et le Charleston.
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Une
année exceptionnelle : le bi-centenaire de la Révolution
En 1989, il s’imposait que la Cocagne fête historique, célébrât
dignement le bi-centenaire de la Révolution. Les couturières
confectionnaient nombre d’uniformes de gardes républicains armés
de pied en cap, habillaient les "sans culottes" pendant que le maître
d’école (Gilbert Estève) faisait répéter
les chœurs : "çà ira, çà ira, dansons
la Carmagnole" et le redoutable Chœur des esclaves de Nabucco de
Verdi.
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La
Cocagne et ses hôtes médiatiques
En fonction des thèmes choisis, les jeux, la musique, les bâtisseurs
du Moyen Age, la machine à vapeur …, des personnalités
sont venues à Saint Félix : les célèbres personnages
de Fort Boyard, "Passe Partout, Passe Temps et la Boule", notre
"cuisinière télévisée", Maïté,
qui a participé en costume à ces journées et en a particulièrement
apprécié la gastronomie.
Au hasard des thèmes, la Cocagne se donnait même une vocation
internationale avec les lanceurs de drapeaux italiens et les arquebusiers
venus de Belgique.
Les
prodiges de l’atelier de couture et le défilé historique
Ainsi, au fil des ans et des faits historiques évoqués, l’atelier
de couture a réussi à confectionner environ 1100 costumes, travail
admirable des couturières qui a conduit au "point d’orgue"
de ces fêtes : le défilé. Mini défilé et
sorte de parade de cirque avant le repas de midi et grand défilé
en fin d’après midi vers 17 h. Rétrospective où
300 personnages illustrent l’histoire de France : on y rencontre les
manans de la Cour des Miracles, les Mousquetaires du Roi, les Hussards de
l’Empire, voire quelques animaux insolites tels que chameaux, éléphants,
ours, tigres et la cavalerie de la très dévouée famille
Beteille.
Mais la Cocagne c’est aussi l’accueil des visiteurs, les fidèles
qui viennent chaque année en famille et les nouveaux découvrant
le village et la fête ; et qui, du passo-carriera du matin au défilé
du soir peuvent au hasard des stands qui fleurent bon les oreillettes, crêpes
et millas confectionnés par les gens du pays, auprès du manège
gratuit et dans la salle des fêtes où la bonne chère est
prodiguée par une armée de cordons bleus, trouver un dépaysement
total ; auprès des odeurs et saveurs oubliées et de la cuisine
(haricots et daube) telle qu’on ne la fait plus.
Nous en sommes donc à la 32ème Cocagne qui en 2004 évoquera
les vieux métiers de notre Lauragais.
Chaque année apporte ses nouveautés, nouveau thème et
nouveaux spectacles mais l’esprit des années 70 demeure ; un
brin de nostalgie vers le passé mais avant tout la fête, un dépaysement
dans le temps et un merveilleux livre d’histoire.
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Hubert ROQUES
Couleur Lauragais N°61 - Avril 2004