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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire de l'Art

Jean Paul Laurens,
un peintre lauragais célèbre
1838-1921

Avec Paul Sibra, Jean Paul Laurens est le peintre le plus célèbre du Lauragais. Son rayonnement est international avec des oeuvres dispersées dans le monde entier : à Moscou, au Japon, aux Etats Unis. Couleur Lauragais vous présente dans ce numéro une étude inédite sur ce Lauragais de Fourquevaux qui a donné aussi son nom au collège d'Ayguesvives. Il faut voir la très belle affiche reproduisant "Les Inquisiteurs" dans le hall du collège.


Portrait de Jean-Paul Laurens

Un Peintre d’histoire
Jean Paul Laurens appartient à un courant de peinture aujourd'hui disparu : les peintres d'histoire, appelés aussi "les Pompiers(1)" au 19ème siècle. Ils sont bien oubliés aujourd'hui, malgré des oeuvres souvent d'une très grande valeur. Retenons toutefois quelques noms : Debat-Ponsan, Lhermitte, surtout Meissonier qui a peint le Panthéon, comme Laurens. Les sujets sont tirés de l'histoire de France mais aussi de la Grèce et de la Rome Antique. Dans ce groupe, Jean Paul Laurens est un des plus connus.

Le destin exceptionnel d’un enfant analphabète
Jean Paul n'a jamais fréquenté une école, c'est un pur autodidacte qui se forme avec le missel de sa mère mais c’est un génie exceptionnel pour le dessin. Ce trait fondamental se retrouve tout au long de son oeuvre avec la primauté du dessin, la précision sublime dans le détail. Les couleurs sont secondaires, souvent sombres, ternes, du noir, du brun. Il s'oppose ainsi brutalement au groupe des Impressionnistes qui utilisent des couleurs vives, brillantes, qui chantent le soleil. Ce petit paysan de Fourquevaux peint cependant le Panthéon et finit président de l'Académie des Beaux Arts.


Maison natale de Jean-Paul Laurens, à Fourquevaux
Crédit photo : Collection Jean Odol

Il est né en 1838 à Fourquevaux (2) dans une famille de paysans pauvres. Son père possède un petit bien, une maison (demeurée intacte), quelques moutons. Il est charruier c'est à dire une sorte de forgeron qui fabrique et répare des charrues. Pour aider sa famille le jeune Jean Paul garde le petit troupeau. Sa mère meurt sous ses yeux alors qu'il n'a que 8 ans. Ainsi rien ne le dispose à devenir un peintre.
Il parle occitan (3), il l'écrit, et cependant il est habité du désir irrésistible de dessiner. La force de cette vocation sans aucun environnement culturel est mystérieuse, il contemple et recopie la seule image qu'il a à sa disposition, une natavité de Van Loo qui se trouve dans le missel que lui a laissé sa mère. Le petit paysan passe aussi des heures à dessiner les feuilles des arbres, il passe encore des heures à peindre sur les murs de la chambre unique de la maison (4).
Lorsque des Italiens passent à Fourquevaux pour restaurer les peintures de l'église, le jeune garçon les suit abandonnant ainsi sa famille alors qu'il n'a que 13 ans. Deux ans après il les quitte pour se réfugier à Toulouse chez son oncle qui le fait inscrire aux Beaux Arts de la ville.

Aux Beaux Arts de Toulouse
Là il peut enfin dessiner et le professeur de dessin le prend sous sa protection, l'accueille dans son foyer, sa femme se préoccupe de son éducation et sa fille s'éprend de lui. Très attaché à cette jeune femme, Jean Paul l'épouse. Beaucoup plus tard après son décès, il l'immortalisera sous les traits d'un gisant en bronze qui est dans l'église de Fourquevaux.

A Paris, des débuts difficiles
En 1860 il obtient une bourse de la municipalité qui lui permet d'aller à Paris dans l'atelier de Léon Cogniet où il rencontre Bida, toulousain comme lui. Il lit Corneille et Eschyle, copie les peintres italiens. En 1863 son envoi n'est pas accepté au Salon des Artistes Français et il expose au Salon des Refusés. La vie est difficile pour le jeune artiste. Il peint des vitraux, des faïences, fournit des caricatures à un journal satirique.


Fresque dans la chambre natale de Jean-Paul Laurens
Crédit photo : Collection Jean Odol

Une brillante consécration
A trente quatre ans, il obtient enfin au Salon de 1872 la médaille de première classe pour le tableau "La mort du duc d'Enghien" (actuellement à New York). C'est le début de la carrière des honneurs avec l'attribution de la Légion d'Honneur en 1874. En 1875, "l'Excommunica-tion de Robert le Pieux" est très bien accueillie, avec une image du couple royal prostré dans la grande salle vide tandis que s'éloignent les prélats. Ce tableau sera reproduit dans les livres, les dictionnaires notamment le Petit Larousse et fera partie de l'imaginaire collectif des Français de la fin du 19ème siècle. Il illustre des ouvrages, une traduction de Faust, et surtout les Temps Mérovingiens d'Augustin Thierry. Sa réussite se mesure à l'importance des commandes qu'il reçoit. Au Panthéon il représente en 1882 "La mort de Sainte Geneviève", il décore les plafonds de l'Odéon, de l'Hôtel de la Légion d'Honneur. Un salon entier lui est confié en 1891 à l'Hôtel de ville de Paris où il raconte les épisodes traitant de la lutte contre l'arbitraire royal, avec 8 tableaux : "Turgot", “Louis XVI à l'Hôtel de Ville" (fresque appelée aussi la "Voûte d'acier" ou encore "La naissance du drapeau tricolore"), "Louis VI octroie les premières chartes (1108-1137), "Etienne Marcel sauve la vie du Régent 1358", les Maillotins 1383", "Henri Il et Anne du Bourg, séance du Parlement de 1530", "Arrestation du Conseiller Broussel", "la Reynie".

Le spécialiste des temps Mérovingiens
Il se spécialise dans le haut Moyen Age, les temps Mérovingiens, "Le paysan (5), le primitif qu'il a dû rester au tréfond de son être se retrouve dans ces évocations d'archaïsation de soi-même. Il s'est fait une mentalité des temps reculés, cette race de géants aux mâchoires encore primitives se meut lentement parmi des meubles massifs enveloppés de longs manteaux, suivis de femelles aux seins pesants et aux nattes somptueuses".

La complainte du Cathare
Jean PauI Laurens est férocement anticlérical, hostile à l'Eglise catholique, apostolique et romaine des 12 et 13ème siècles. "Son attachement pour le Midi est viscéral, et bien avant la redécouverte des Cathares et de Montségur, il prend parti contre les envahisseurs venus du Nord. Hanté par la férocité ergoteuse des moines blancs (les cisterciens) il les peint avec la colère sourde d'un albigeois, fils d'une race de suppliciés", l'Inquisition est souvent attaquée dans ses oeuvres comme "Les Inquisiteurs" ou "Bernard Délicieux délivrant les Emmurés de Carcassonne".


Le Lauragais par Jean-Paul Laurens (Capitole de Toulouse)
Crédit photo : Collection Jean Odol

 

Tableaux célèbres dans notre région
L'oeuvre de Jean Paul Laurens est immense, énorme, avec des centaines de tableaux dispersés dans le monde, dans les musées ou collections privées. La mort de Sainte Geneviève, au Panthéon, est mondialement connue. A Toulouse, au Capitole, "La Muraille", les Toulousains reconstruisent la muraille entourant la ville (1218), le trait principal est la femme vêtue de blanc (en haut et à droite) qui se dirige vers une catapulte. Il s'agit de la scène au cours de laquelle les femmes de Toulouse lancent des pierres sur l'armée des Croisés et l'un de ces projectiles écrase la tête de Simon de Montfort, donc cette fresque, mal nommée, est le symbole de la mort de Simon de Montfort (la goïra), le chef exécré de la Croisade. "Le Lauragais" avec des biaus que fan la réga, il s'agit d'un paysage, rarissime chez Jean Paul Laurens, avec des collines bien de chez nous, et des laboureurs, des boeufs gascons tirant l'arnés (l'araire). Les couleurs sont médiocres, comme toujours, un peu plus éclairées toutefois. "La Séance d'Ouverture des Jeux Floraux 1323", fresque immense, en grimpant l'escalier qui conduit aux Illustres, à gauche le buste de Jaurès, à droite les Jeux Floraux. Cette fresque est terminée par les deux fils de Laurens, également peintres. "L'Agitateur du Languedoc", au musée des Augustins (Toulouse), il s'agit de Bernard Délicieux représenté encore dans "Les Emmurés de Carcassonne" oeuvres très connues. La vie de Délicieux est un vrai roman ; franciscain, il soulève le peuple de Carcassonne contre les excès des Inquisiteurs. Le pouvoir royal intervient en faisant pendre les consuls de la ville. Bernard est traduit devant l'Inquisition et finira ses jours dans un cachot du sinistre tribunal (voir les travaux de Jean Duvernoy).


L’agitateur du Languedoc

A Ayguesvives, au collège, une affiche représente "Le Saint office" ou les "Inquisiteurs", aux figures sinistres, l'influence de Jean Paul Laurens est très sensible sur les fresques de Béringuier, "le martyre de Saint Saturnin" au chevet de l'église du village.
Jean Paul Laurens connaît actuellement un renouveau spectaculaire avec une très belle exposition aux Augustins en 1998. Les reproductions se multiplient dans les revues spécialisées comme l'Histoire en 2002 (Délicieux). Ami lecteur, pour prendre la mesure des qualités extraordinaires de notre "petit paysan analphabète", allez à Fourquevaux voir le gisant original de son épouse, peut être un portrait de sa mère, un retable par ses fils. Au Capitole, "Le Lauragais" et "La Muraille", aux Augustins "Délicieux".


La Muraille (capitole de Toulouse)

 

Jean ODOL

1. Ils plaçaient très souvent sur les têtes de leurs héros grecs des casques rappelant ceux des pompiers de l'époque, d'où leur nom. Voir le livre : "Les Pompiers" par Cécile Ritzenthaler Mayer-Paris-1987.
2. Ce petit village du Lauragais est situé entre Labastide Beauvoir et Odars, route de Revel.
3. Toute sa vie il demeure un occitan, il correspond en languedocien avec ses amis de Baziège. Sur un tableau du Capitole de Toulouse, il a soigneusement calligraphié : "Les biaus que fan la rega".
4. Les peintures ont été bien conservées, "Une guerre d'Espagne" (1808) traduit cependant une source documentaire plus élaborée que l'image du missel.
5. Madame Juskiewenski : "Jean Paul Laurens" 1984
Bibliographie :
Jean Odol : "Jean
Paul Laurens" 1985
Pierre Cadars :
"Jean Paul Laurens, peintre d'histoire travail inédit"
Catalogue de l'Exposition
aux Augustins 1998
de Vergnette :
"Jean Paul Laurens, un homme exemplaire" 1998

 

Couleur Lauragais N°59 - Février 2004