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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Les activités artisanales dans les agglomérations
gallo-romaines de la voie d’Aquitaine

Depuis de nombreuses années, les trois agglomérations majeures de notre région, Eburomagus (Bram) Elusio (Montferrand) et Sostomagus (Castelnaudary) font l’objet d’approches archéologiques multiples. Il y a une trentaine d’années, elles étaient connues seulement par leur nom, mentionné dans les itinéraires antiques et de rares textes. Aujourd’hui on a précisé leur localisation, leur extension, leur topographie, leurs fonctions et leur évolution au cours du temps. Les fouilles ont permis d’approcher la vie de leurs occupants, ainsi que leurs activités. Dans un ouvrage récemment paru Les agglomérations gallo-romaines en Languedoc-Roussillon, Michel Passelac, archéologue au CNRS, Président du Laboratoire d’Archéologie du Lauragais a rédigé quatre notices faisant le point sur ces sites du Lauragais. En même temps qu’il donne dans le pays une série de conférences, il confie à Couleur Lauragais cet article sur les productions artisanales.


Cruche pour l'utilisation domestique de l'eau

En Lauragais, ces principales agglomérations gauloises et gallo-romaines étaient situées sur la voie d’Aquitaine, axe d’une importance économique considérable entre Narbonne et Toulouse, entre Méditerranée et Atlantique, et en direction du Massif Central et des piémonts pyrénéens. Elles rassemblaient la partie la plus importante de la population et des activités de production et de distribution.


Décor d’applique : tête de Jupiter

Les agglomérations
Sostomagus est un important oppidum gaulois, un chef-lieu secondaire des Tectosages avant de voir sa prospérité décroître à la période gallo-romaine. Elusio est une agglomération très liée à la route et à sa position de porte du toulousain, tandis qu’Eburo-magus, la plus vaste agglomération antique de l’actuel Languedoc-Roussillon n’ayant pas le statut de cité est un vicus aux multiples activités artisanales et commerciales. Le terme de vicus désigne le statut d’une agglomération liée à la cité sur le territoire de laquelle elle est située, qui la date d’une administration locale. On peut approcher l’importance relative de ces agglomérations en se fondant sur leur superficie, même si on ne peut la mettre en rapport direct avec leur population. Ainsi Sostomagus occupe de 5 à 7 ha sur le plateau du Pech. L’agglomération d’Elusio s’étend sur environ 16 ha de part et d’autre de la voie d’Aquitaine sur le piémont de la hauteur de Montferrand. Eburomagus est d’une tout autre envergure : elle couvre plus de 50 ha. A cette emprise du bâti, il faut ajouter les ateliers et les nécropoles situés en zone périurbaine.


Bol à vernis rouge de forme italique

Potiers gaulois et production céramique gallo-romaine
La production céramique est une des plus caractéristiques de notre région. A Castelnaudary, les potiers sont groupés à la fin de l’âge du fer dans un quartier à l’ouest de l’oppidum. Ils produisent les vases nécessaires à la vie quotidienne, dans des fours dont l’architecture est indigène, ainsi que des mortiers et des jarres diffusées dans les exploitations agricoles de son territoire. On observe ici un début de spécialisation, mais la diffusion reste limitée au stade micro-régional.
Le centre de production de Bram qui regroupe cinq ateliers à la période d’Auguste montre le dynamisme de négociants et de patrons italiens venus établir les fabriques au plus près des nouveaux marchés. Une gamme beaucoup plus large de produits y est fabriquée. Ils présentent les formes et l’aspect des produits italiens contemporains sans en présenter toutes les qualités. La production est optimisée, elle utilise sans doute de la main d’œuvre servile. La diffusion se fait par la voie d’Aquitaine vers Carcassonne et Toulouse, et touche une large partie du midi de la Gaule, de la Méditerranée à Bordeaux, des Pyrénées à l’Albigeois. Les transferts de technologies et de modèles culturels sont ici évidents, mais la production s’adapte à un milieu provincial. Ces ateliers constituent actuellement un des meilleurs cas pour l’étude des phénomènes de "gallo-romanisation" des sociétés méridionales.


Graffito du potier PROTUS sur un outil de fabrication

Métallurgistes et forgerons
Le travail du fer a aussi laissé de nombreuses traces à Bram et à Montferrand. A Bram, on pratiquait la réduction du minerai et surtout la fabrication d’objets pour les besoins locaux, ceux de l’arrière-pays et sans doute ceux d’une plus vaste région. Les fours de forge et de cémentation ont été retrouvés, et les déchets de fabrication, scories et battitures permettent d’identifier précisément ces activités. Les échanges avec le complexe sidérurgique de la Montagne Noire apparaissent clairement : les céramiques de Bram se retrouvent aux Martys, tandis que les lingots produits dans la montagne étaient trans-formés dans le vicus. A Montferrand, la forge semble plus précisément destinée aux besoins du trafic routier. Dans les deux agglomérations, une partie de ces activités de forge était pratiquée en bordure même de la voie, sous des portiques qui la bordaient. Les déchets servaient à recharger la route, colmater les ornières et nids de poules, d’où, sans doute le terme de cami ferrat.
Des restes moins évidents permettent d’évoquer également le travail du bronze à Bram, consacré à la fabrication de petits objets de parure et d’ustensiles de la vie quotidienne : bagues et bracelets, fibules, étiquettes…

Activités liées à l’alimentation
L’activité des boulangers, sans doute très importante, apparaît grâce à la découverte de grandes meules d’un type bien connu dans les boulangeries de Pompei.
Enfin, l’analyse d’un puisard de Bram renfermant les restes de 13 bœufs et de 23 porcs, remarquablement étudiés par V. Forest, archéozoologue à l’INRAP, dévoile une activité jusque-là difficile à mettre en évidence dans ces agglomérations : le fonctionnement, à Eburomagus, au IIème siècle, d’un atelier de boucherie où sont écharnés des quartiers de viande en dehors du lieu d’abattage. L’utilisation des sous-produits animaux, comme les os, a donné lieu au travail de tabletterie qui fournit une foule de petits objets de la vie quotidienne : aiguilles, épingles, jetons de jeux, dés à jouer, charnières, manches, petites boîtes…
Au travers de ces activités de production, qui mobilisaient tout un peuple modeste et actif, c’est le dynamisme des agglomérations de notre région qui apparaît au cours de la période gallo-romaine, leur évolution culturelle et économique, leurs relations avec les arrière-pays et les cités voisines de Toulouse et de Carcassonne.


Michel PASSELAC
Chercheur au CNRS
Président du Laboratoire d’Archéologie du Lauragais
Crédit photos : Michel Passelac
Toutes les poteries en photo
proviennent des Ateliers de Bram.

Couleur Lauragais N°51 - Avril 2003