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Couleur Lauragais : les journaux

Gens d'ici

Juliette Mercadier, la marchande de bonbons

Juliette Mercadier (née Massip) est née en 1910. Jusqu’à l’après guerre, elle a travaillé sur les marchés autour de Revel. Elle tenait alors un stand de ventes de bonbons et de jouets, comme l’avait fait avant elle sa grand-mère Marie. Juliette nous raconte un morceau de cette vie : dure mais où elle a tout appris. Elle nous livre aussi quelques recettes commerciales dont sa grand-mère avait le secret.


Juliette de nos jours

Juliette, confiée à ses grands-parents
A l’âge de sept ans, Juliette est laissée à la garde de sa grand-mère Marie. Une femme de caractère qui était connue sur les marchés de la région du début du siècle, sous le surnom de "La Trioune", celle qui trie ses bonbons. On la reconnaissait aussi grâce à une particularité physique : un énorme goître à la base de son cou. Son époux était gardien de la prison du beffroi de Revel et, à l’occasion, sonneur de cloche. Mais il passait surtout beaucoup de temps au bistrot laissant Marie gérer seule les affaires de la famille. Depuis 1870, elle devait ainsi gagner la croûte de la famille en faisant les marchés. Elle y vendait des bonbons, berlingots multicolores, des jouets, des poupées…


Marie, marchande de bonbons
(crédit photo : collection Mercadier)

Une recette très personnelle
Le succès de ses bonbons, Marie le devait à sa recette. Une recette bien particulière que Couleur Lauragais vous révèle aujourd’hui, bien des années plus tard ! Marie achetait le sucre chez un grossiste de Revel. Elle mélangeait ce sucre avec de l’eau dans un grand chaudron en cuivre et, secret de fabrication, y rajoutait un peu de "teinture idéale" dont on se servait d’ordinaire pour colorer les habits. Cette substance faisait tout le succès de ses sucreries en leur donnant les couleurs les plus variées, avant même l’apparition des colorants chimiques. Pour déterminer la bonne cuisson, elle trempait son doigt dans un verre d’eau froide puis dans le sucre. Si l’eau perlait légèrement, c’est que le bonbon était prêt. Elle étalait alors la mixture sur une plaque en marbre et, une fois légèrement refroidit, la découpait avec une simple paire de ciseaux.
Quand les bonbons étaient prêts, elle les mettait par couleur dans des petits casiers en métal et embarquait le tout dans une vieille cariole tirée par un cheval qu’elle avait louée pour transporter tout le matériel jusqu’aux foires ou aux marchés voisins. Elle y entassait aussi une baladeuse (le banc d’étalage), de longues barres avec des piques et une bâche qui allait couvrir l’étalage. Arrivée sur le lieu du marché, elle avait sa place réservée et pouvait donc s’installer.

L’importance de la présentation

Outre les bonbons, Marie proposait aussi des pommes d’amour, des sucres d’orge et toutes sortes de jouets. Avant l’heure, elle avait certainement inventé les paquets surprise : elle prenait en effet un bonbon, y ajoutait un morceau de ficelle ou un bouton et entourait le tout d’un papier journal. Elle faisait ainsi la joie des enfants devant ce cadeau improvisé et toujours surprenant, à une époque où les cadeaux étaient plutôt rares.
Marchés ou fêtes de village au rythme des saisons
Toute l’année, on vivait au rythme des marchés. Celui de Revel, le samedi, était le plus important. A l’époque, il s’étalait sur toute la ville : de la promenade à la place du Beffroi. Il durait toute la journée, commençant tôt le matin et ne se terminant pas avant 18 h le soir. Les commerçants tournaient le reste de la semaine aux alentours de Revel : Puylaurens le mercredi, Saint Félix, … Depuis la fin du printemps et durant une bonne partie de l’été se rajoutaient à ce programme déjà chargé toutes les fêtes locales de la région.
Le jeudi était le jour de l’approvisionnement. On prenait alors le train pour Toulouse. Une virée d’une journée où, récompense suprême, on allait manger au restaurant dans la capitale régionale.


Juliette jeune et sa grand mère Marie


Une carrière précoce
Juliette a commencé à travailler dès que sa grand-mère l’a prise en charge. Elle la suivait sur tous les marchés de la région, l’aidant à porter les casiers, monter la bâche ou encore accueillir les clients. Une journée complète de travail. Juliette n’a jamais fait d’indigestion de bonbons. Marie veillait à ce que sa petite-fille ne chippe pas les précieux berlingots. Juliette et son cousin se rappellent néanmoins combien il était difficile de ne pas plonger une main vers les berlingots, lorsque leur grand-mère était occupée avec un client ; leur nez étant alors au niveau des bonbons, au-dessus des caisses. Juliette garde surtout le souvenir de ces petite bouteilles en chocolat au goût de liqueur. Enveloppées dans du papier argenté à l’effigie de bouteilles de Cointreau, Poire et autres liqueurs, c’étaient les bonbons les plus prisés de l’époque.
Juliette évoque également une concurrence surprenante : celle de l’église ! Un jour de pluie, au début du siècle, Marie et son mari s’était abrités sous le auvent de l’église de Revel. En les voyant, le curé a essayé de les chasser. La raison en était simple : il proposait lui-même des sucettes à la vente au profit d’œuvres caritatives et a vu d’un mauvais oeil l’intrusion de concurrents qui en fait ne souhaitaient que s’abriter !

Une vie de labeur et des temps difficiles
De cette époque, Juliette ne garde pas de nostalgie particulière. "C’étaient des temps très durs" confie-t-elle, "et c’est avec plaisir que j’ai changé d’activité à partir de 1945". De la Trioune, Juliette garde le souvenir d’une femme très dure, au caractère trempé. A 92 ans, Juliette conserve sa bonne humeur et un moral hors du commun. Elle se rappelle ces moments avec le sourire mais en gardant aussi une certaine distance : "On se plaint beaucoup aujourd’hui, mais la vie à cette époque, explique-t-elle, c’était vraiment pas de la tarte !". Son secret ? la méthode Coué : voir le bon côté des choses malgré les problèmes et les difficultés, nombreuses au cours d’une vie. Sage message d’espoir en ces temps d’interrogations !

Interview : Pascal Rassat

Couleur Lauragais N°43 - juin 2002