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Joseph Claustres, le gâtebois de Baziège

Né en 1924, Joseph Claustres a été d'abord agriculteur puis berger dans les montagnes ariégeoises. Il entre à la SNCF en 1960 où il sera veilleur de nuit durant vingt ans. Ce travail lui permet surtout de trouver du temps pour exercer ses multiples talents artistiques. Et ses loisirs sont éclectiques comme on peut en juger : tour à tour vannier, peintre et sculpteur. Le gâte-bois de Baziège, comme certains l'appellent affectueusement, nous dévoile quelques-unes de ses réalisations.

Joseph ClaustresQuand on demande à Joseph d'où lui vient cette passion du bois, il ne sait trop quoi répondre. Enfant, il portait toujours un couteau qui servait à de multiples usages : couper le pain, travailler, bricoler. Un jour, pour les besoins de l'exploitation agricole où il commence à travailler, il confectionne des paniers. La vannerie dévoile alors ses aptitudes manuelles et fait naître une passion.

Aujourd'hui encore, Joseph utilise la même méthode ancienne de vannerie. Il tresse de la paille de coudrier (plus dure que l'osier) avec des ronces. Cela permet de réaliser des paniers plus solides, mieux adaptés à l'utilisation intensive que l'on en faisait à l'époque à la ferme. Des paniers faits pour traverser le temps. Il réalise également des dessous de plat en coudrier (en patois des " Couloundels "), qui servaient autrefois à préparer le millas. Il conçoit enfin des corbeilles dont il scuplte les anses dans du bois dur.

Ce sont ces corbeilles qui l'ont amené ainsi tout naturellement à la sculpture. Joseph s'attaque en effet rapidement à des réalisations plus ambitieuses. Il commence avec quelques outils rudimentaires : une hache pour préparer le billot de bois et un couteau pour sculpter. L'artiste gâche rarement le bois qu'il utilise : si ses réalisations sont plus ou moins réussies, il dit n'avoir que très rarement raté un objet.
Avec le temps, il s'est doté de véritables outils professionnels : ciseaux de différents gabarits, burins, rabots, lames simples Il possède aujourd'hui un véritable atelier avec tout l'équipement nécessaire pour tailler grossièrement le bois comme pour ciseler précisement une forme ou le détail d'un visage.

En ce qui concerne la matière première, n'importe quel bois de chauffage lui convient mais il préfère quand même les bois de noyer, d'ormeau, de buis et de hêtre, des bois faciles à travailler, résistants, qui ne se fendent pas, ni ne s'écaillent. Pour les couleurs, il possède quelques recettes personnelles composées d'oxyde de fer, de gale de chêne ou d'essence de térébenthine. Ces mélanges lui permettent de donner une couleur très naturelle à ses réalisations qui ont un aspect à la fois rustique et patiné.
Joseph choisit ses modèles dans ses souvenirs d'enfance. Il sculpte ainsi des bergers typiques des Pyrénées avec leur pèlerine et leur bâton. Il en a de toutes les formes et de toutes les tailles. Il redonne également vie aux anciens pélerins de Compostelle ou prend pour sujet des thèmes bibliques (Adam et Eve, le Christ sur sa croix taillés dans le même bloc).

Il aime également sculpter la nature qui nous entoure. Le règne végétal d'abord avec des cèpes plus vrais que nature. Joseph raconte comment il a un jour piégé un vendeur de champignons, sur un marché local, en déposant l'une de ses répliques en bois près de l'étal. Celui là n'y a vu que du feu pendant un court moment et a pris l'objet pour un authentique et énorme spécimen. Le règne animal fait aussi partie de ses modèles avec notamment des chouettes et des hiboux qui pourraient presque hululer.

L'homme peut aussi avoir ses grâces et Joseph ne se prive pas de réaliser quelques caricatures politiques qui donnent ainsi tout leur sens à la fameuse langue de bois.
Le sculpteur de Baziège se lance également quelques beaux défis tels la sculpture sur des noyaux d'olives. Patiemment, il donne la forme au noyau avant de creuser son centre pour créer par exemple de minuscules sabots.

Mais sa plus grande réalisation est incontestablement un monumental jeu d'échec entièrement réalisé à la main et dont les pièces font toutes une dizaine de centimètres de haut. Des pièces qui sont taillées en un seul morceau dans le bois puis sont soit teintes avec une couleur brune, soit laissées dans la couleur brute du bois d'origine. Joseph a passé une journée de travail sur chaque pièce soit plus d'un mois au total pour réaliser l'ensemble du jeu. Celui-ci trône désormais au centre de son salon ; car Joseph ne sculpte pas pour les autres mais avant tout pour lui. Il avoue même que se séparer d'un objet donné à un voisin ou un ami lui arrache toujours le coeur.

Le travail de veilleur de nuit que Joseph exerca jusqu'à sa retraite, lui a laissé suffisamment de temps libre pour pouvoir exercer sa fibre artistique. Durant toute sa carrière professionnelle, il pensait la nuit aux objets qu'il allait réaliser, les dessinait déjà par avance avant de les sculpter le jour. La retraite lui a permis de consacrer tout son temps libre à sa passion et les sculptures ont aujourd'hui envahi sa maison qui reste son principal lieu d'exposition. Il a certes déjà participé à de nombreuses foires dans la région mais n'apprécie pas cette publicité un peu tapageuse.
Peut-être, malgré tout, pourrez-vous vous-même croiser au détour d'un marché, les réalisations typiques du gâte-bois de Baziège.

Interview : Pascal RASSAT
Crédit photos : Collection Joseph Claustres

 

Couleur Lauragais N°29 - février 2001