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Couleur Lauragais : les journaux

Reportage

Lauragais, pays de blé

Le pays de Laurac, de Castanet à Bram, de Verfeil à Venerque et Belpech, est formé de collines mollement ondulées portant d'immenses parcelles couvertes de froment, le roi froment. Le Lauragais ? une machine à fabriquer du blé. Quelques chiffres : en 1995, les paysans ont battu tous les records de rendements, 85 quintaux de blé tendre à l'hectare, résultats comparables à ceux de la Beauce. Les silos de Baziège ont la capacité de stockage la plus forte de tout Midi-Pyrénées. Le groupement occitan coopératif de Castel-naudary est une des premières coopératives céréalières de France.


Les facteurs de cette richesse
La première condition est naturelle : les sols lauragais sont naturellement, exceptionnellement fertiles. Il s'agit des terreforts et des boulbènes les plus fertiles du Midi de la France. Toutes les plantes y poussent merveilleusement : les plantes à huile (tournesol, colza, soja) mais surtout les céréales (blé, maïs, sorgho). Cette terre brune a une vocation à produire du blé. Le climat est aussi favorable, pas trop de pluie, des étés chauds pour la maturité. Le vent d'autan secoue les épis mais ne les casse pas. Les douces Les silos de Baziegepentes des collines ou de la plaine de Revel - Pexiora Bram ont permis la constitution d'immenses parcelles nécessitées par l'utilisation de puissantes machines agricoles et les paysages découverts du Lauragais rappellent étrangement la Beauce et même les hautes plaines de l'Ouest des Etats-Unis (avec le même matériel agricole, les mêmes monstrueuses moissonneuses batteuses).
Les conditions humaines sont devenues aussi très favorables, surtout depuis 1995, avec la disparition de la traction animale, l'évaporation de la population paysanne des bordiers, maîtres-valets et métayers, une mécanisation rapide et totale, le développement par concentration foncière de vastes unités d'exploitation (400 hectares, 600, jusqu'à 1000 hectares), l'apparition de nouvelles variétés à très hauts rendements : tout favorise le blé. Totalement mécanisées, les opérations culturales font que les grains sont parfaitement invisibles : les enfants sont incapables de l'identifier.

Le blé dans l'histoire économique du Lauragais
Le roi froment pousse en Lauragais depuis le Néolithique, depuis les balbutiements de l'agriculture. Les terreforts sont hostiles au seigle, aussi, avec l'orge, le blé est la première céréale cultivée du pays de Laurac. Peu exigeant, le blé se contente de labours peu profonds (avec l'araire primitif). Durant l'antiquité, le Lauragais nourrit Toulouse et Jules César célèbre la richesse en blé des campagnes voisines de Tolosa où les aigles des légions romaines s'installent en 118 avant Jésus Christ. La construction de la voie romaine d'Aquitaine permet un transport aisé vers la grande ville qu'était Tolosa à l'époque gallo-romaine et vers le port de Narbonne.
Au Moyen-âge, le Lauragais est un fromental (pays au blé) comme en témoignent les comptes du monastère de Prouille, fondé par Saint Dominique en 1206 au pied de Fanjeaux (Dominique a été un curé lauragais de 1206 à 1214). En 1340, l'alimentation humaine repose sur le pain d'orge, mais le pain blanc (ou pain de couvent) est largement répandu. Les silos de CastelnaudaryLe blé est la première spéculation avec l'élevage des moutons : le blé donne le pain, la laine donne le vêtement. Aux XVème et XVIème siècles, le blé est un peu éclipsé par "l'herbe du Lauragais", le pastel. Mais ce dernier n'était pas cultivé sur de grandes surfaces et l'essentiel du terroir demeure réservé au blé.
Les siècles d'or du froment s'étalent de 1681 (ouverture du canal du Midi) à 1857 (ouverture de la voie ferrée Toulouse-Sète). Le "canal royal du Languedoc" a été établi pour désenclaver Toulouse et le Lauragais dont le blé gagnera facilement Sète et de là, la Catalogne, la Provence et l'Italie. Avec le canal, s'ouvre une période de très grande prospérité, deux siècles, avec une augmentation spectaculaire du prix du blé durant tout le XVIIIème siècle. Le maïs sert d'aliment de base pour la population et tout le blé est vendu, souvent fort loin. L'apogée de cette prospérité se trouve vers 1780 : 200 barques naviguent alors sur le canal. Les collines se parent de somptueuses demeures des grands propriétaires : les châteaux du froment, comme ceux des Varennes, Maurémont, Mourvilles-Basses. Les difficultés commencent avec l'arrivée à Sète des blés russes d'Odessa, puis, avec les chemins de fer, du blé bon marché de la Beauce.
Le blé connaît alors un siècle d'atonie (1857-1955). Le blé lauragais se vend mal : en 1936, il ne valait guère plus qu'en 1780. L'exode rural commence vers Toulouse, les grandes propriétés sont fragmentées, le marasme est durable.
Une révolution spectaculaire débute pourtant en 1955. En 10 ans, un bouleversement technique et social transforme le Lauragais. En une décennie, les progrès sont plus rapides qu'en 4000 ou 5000 ans antérieurs. Le vieux système agraire fondé sur l'énergie animale et humaine disparaît. Les petites et moyennes exploitations ne peuvent s'adapter et sombrent rapidement. La mécanisation est totale avec des tracteurs de 150 chevaux, des charrues de 4 socs, des moissonneuses batteuses de type nord américain (4 m. de barre de coupe). Avec les engrais artificiels, les fongicides et herbicides, les rendements explosent. Par endroits, un système d'aspersion permet de se libérer de la sécheresse estivale. Les paysans deviennent progressivement des techniciens-agriculteurs. D'énormes coopératives de commercialisation (à Baziège, Auterive, Castelnaudary) réussissent à s'ouvrir des débouchés hors de France, dans les pays arabes ou en Chine. Le vieux Lauragais est une nouvelle Beauce. La spécialisation y est extrême, essentiellement sur deux plantes : blé et tournesol. Les paysages parcellaires sont eux-même bouleversés par la disparition des haies, talus, fossés. Le blé envahit tout l'espace cultivé. Vers les années 1980, il occupait 80% du sol, moins aujourd'hui avec l'essor du tournesol, mais il demeure encore le pilier fondamental de l'économie lauragaise.

Le rôle du blé dans la vie économique et sociale
Dans la société lauragaise actuelle, les grandes fortunes reposent toujours sur le blé, comme au XVIIIème siècle. Les puissants marchands en blé, les bladiers, ont disparu avec la création des coopératives en 1936. Le propriétaire exploite lui-même : il conduit 200 hectares, seul ou avec un fils ou un ouvrier agricole. On peut donc discerner deux grands groupes sociaux : les propriétaires exploitants directs et quelques salariés, peu nombreux. Par contre, ces derniers se sont multipliés dans les coopératives (400 à Castelnaudary, une centaine à Baziège).
Le blé est invisible dans la vie économique, tout commerce a disparu dans les bourgs. Seuls des chèques circulent entre les producteurs et les coopératives, et souvent de très gros chèques
Un port au ble sur le Canal du MidiSeule présence matérielle du blé : en juillet, lors de la moisson, de grosses remorques livrent la céréale aux silos. Et pourtant, il demeure présent dans les paysages et l'habitat.
Le blé, sa présence dans les paysages et son influence sur l'habitat
Du vieux système du XVIIIème siècle, on relève des traces sur les cartes de Cassini de 1780 qui présentent un système de routes (les routes du blé) construites à partir de 1750 en fonction des ports du canal. Ainsi, une route relie Nailloux (qui est un cul de sac) aux quais de Gardouch, une autre voie sinue entre Caraman et Villefranche de Lauragais Gardouch.
Dans les vieilles métairies, les grands hangars toujours présents, étaient nécessaires pour abriter les gerbes avant la dépiquaison. Un petit bâtiment, ou une pièce soigneusement aménagée (la garde pièle) gardait jalousement les précieux grains. Dans les bourgs, les vieilles halles au blé sont partout visibles et parfois elles ont conservé "leurs mesures". Elles sont souvent transformées en salles polyvalentes. Les collines du Lauragais sont parsemées de châteaux du froment du XVIIIème siècle : en briques, ils ont conservés fière allure. Sur le canal, les ports sont abandonnés, mais les entrepôts sont toujours debout (Renneville, Bram). Des centaines de moulins ont tourné face au vent de cers, tous ont disparu, sauf ceux qui, restaurés, sont devenus des curiosités que l'on montre aux touristes. Aujourd'hui, le blé apparaît dans le paysage par l'immensité de parcelles façonnées aux moyens de monstrueuses machines mais surtout par les "nouvelles cathédrales du froment", ces énormes blocs de ciment où le grain attend son départ vers la Chine.

Le froment est le pilier central de la richesse du pays de cocagne. Mais cette réussite est précaire car le prix est désormais fixé à Chicago ou Zurich et non plus sous la halle de Baziège ou celle de Castelnaudary. La surproduction généralisée fait apparaître des friches obligatoires sur nos collines. Les années à venir seront sans doute pleines d'incertitudes.

Jean ODOL

 


Couleur Lauragais N°23 - Juin 2000