"Balade
sorézienne"
A l'époque romantique, venir à Sorèze était
voyage. La description commençait, non aux portes de la cité,
mais à partir d'un promontoire : Saint-Félix de Caraman.
Dès les premières lignes, Sorèze était
situé : au pied des «...mamelons d'une montagne âpre»,
à «...l'entrée d'un vallon large et profond».
Le goût naissant du pittoresque allait trouver à s'exercer.
Sorèze, quelle aubaine! Mythe et réalité inextricablement
liés inspiraient les poètes. Et les peintres! |
Venu de
Toulouse, le pont sur l'Orival passé, j'opte pour le «Chemin
du tour du Parc». Le parc, c'est celui de l'Ecole. Le chemin qui
le borde semble fait pour les rêveries d'un promeneur solitaire.
Mais n'allons pas trop vite. Cette haute grille flanquée de colonnes
et d'urnes de pierre laisse deviner un jardin échappé
à Gustave Doré. Quelques pas et c'est un portail imposant,
uvre du sorézien Rivenq sous Napoléon III. Les Pasturin
ont inscrit dès l'entrée du village, aux premières
années du XIXème, le dessin d'une belle demeure cachée
en ses jardins.
Je
dois un regard au paysage. Peintres et lithographes ont trouvé
là le visage même de Sorèze. Des prairies, quelques
arbres et, tirant peut-être de ses pentes abruptes, le secret
de son nom charme : Berniquaut. Montagne ? Grosse colline ? Qu'importe!
Connaît-il Sorèze, celui qui n'a jamais accédé
au sommet ? Là-haut, les origines : les restes discernables d'un
village perché où l'homme vécut au moins deux mille
ans, avant d'établir sa maison dans la plaine, tout contre l'Abbaye.
Là-haut, un paysage insoupçonnable : le bassin de St Ferréol,
les gorges du Sor, la vallée de la Mandre, le Causse, mais aussi
tout le Lauragais tant de générations ont cherché
le Veau d'Or, entrevu la Dame Blanche, où le sorcier invoquait
le diable.
D'un coup, la rue St Martin projette l'image inattendue : la grande
façade de l'Ecole. Avec son ample fronton, son perron, la symétrie
aussi raffinée que rigoureuse des ouvertures, la délicatesse
des proportions, elle ne peut cacher le temps de sa naissance. Avant
même que le règne ne commence, le style Louis XVI se manifeste.
L'Ecole Royale Militaire, uvre des Bénédictins de St Maur,
ne dura qu'une quinzaine d'années. La Révolution respecta
une institution où tant de pays d'Europe et d'Amérique
envoyaient leurs enfants. L'Ecole changea simplement de statut. N'étant
plus ni Royale, ni Militaire, elle se mua en grand collège libre
à double aumônerie : l'une catholique, l'autre protestante.
Elle redevint catholique en 1840, passa aux Dominicains avec Lacordaire
en 1854.
![Ecole de Soreze : le seminaire, la Cour des Rouges](balad23b.jpg)
Cordonniers
et tailleurs faisaient partie du personnel. Les élèves,
en effet, ignoraient les vacances en famille. On ne sortait de l'Ecole
qu'à la fin de ses études. Ce long bâtiment (aujourd'hui
brasserie) est l'ancienne Cordonnerie.
La
rue de Puyvert avec ses quelques modillons sculptés dans le marbre
de Berniquaut, au XIIème siècle nous convie... mais les
nécessités d'un itinéraire... Elle a perdu, cette
rue, son ruisseau des Teinturiers. Restent leurs maisons. Celle de Jean
Leignes dit son âge : une date, 1612.
Une forteresse
? Mais non, un clocher. Celui de l'Abbaye ? Pas du tout. Ici, s'élevait
l'église paroissiale St Martin. Seul, le clocher survécut
aux Guerres de Religion du XVIème siècle. Il surmonte
ce qui était le chur. De jolis bandeaux sculptés dans
le grès, des fenêtres d'un gothique tardif et, à
l'extérieur, bien visibles, des pierres de ré-emploi.
Sans doute témoignent-elles d'une reconstruction de l'Abbaye
à l'époque romane.
La rue
Lacordaire a failli garder intact l'alignement de ses encorbellements.
Ici, naquit l'un des auteurs de l'Histoire Générale du
Languedoc, Dom Devic ; là, Jean Mistler... Ce dernier, ministre
puis secrétaire perpétuel de l'Académie Française,
nous a laissé «le Bout du Monde» (récit d'une
jeunesse immergée dans le Sorèze de la fin du XIXème,
des premières années du XXème). L'enfant attentif
enregistre le geste, la parole. Mistler nous les transmet plus tard
avec une simplicité apparente : un arrière-plan de croyances,
de traditions nous est révélé.
Nous sommes
sur la place Dom Devic. Nous le remarquons, les rues de Sorèze
sont le reflet de son histoire. Ceux qui ont vécu à Sorèze,
participé à son rayonnement, nous retrouvons leur nom
qui est celui des rues.
A l'angle de la rue Balette, l'ancienne maison des Blaquière
de Sabournac, devenue celle de Jean-Antoine Clos, abrita les prospections
multiples (dans l'ordre de la Science comme dans celui de l'Histoire)
de cet infatigable chercheur. Sa «Notice historique sur Sorèze
et ses environs»...fit grand bruit au XIXème.
Rejoignons
la rue Rastoul. Elle n'a (et c'est bien la seule) jamais changé
de nom depuis 1595. Face à deux jolies maisons à pans
de bois, se trouve l'ancien atelier Metge (aujourd'hui Prom). Le nom
a changé. C'est toujours la même famille qui depuis Louis
XV uvre là. Attirée par les énormes travaux que
nécessita la création de l'Ecole Royale Militaire, elle
installa son établi de menuisier. Famille d'ébénistes
et, depuis quatre générations au moins, de sculpteurs,
elle continue de créer de beaux meubles et en particulier des
sièges d'une rare qualité.
L'ancienne
rue de Castres (aujourd'hui «du Maquis») présente
le plus bel ensemble de maisons à encorbellement et colombages.
Ne passons pas sans voir tant de poutres sculptées. Trois pas,
et c'est la Ville Vieille. C'est ici, adossé à l'Abbaye
carolingienne, que serait né notre village. Les cartes postales
de la Belle-Epoque nous disent le bouillonnement de vie que connut ce
quartier, autour d'un marronnier à l'ombre généreuse.
Le village, par vagues, s'agrandit. Une « muraille » le
ceintura, défendue elle-même par le fossé où
coulait l'eau du Causse. Au XVIIIème siècle, ce système
de protection devenu inutile, Jacques-François de Robert de la
Vilette créa les actuelles allées. Il veillait avec une
attention sans faille, sur les ormeaux qu'il avait fait planter. Le
bouillant curé de l'époque, Jean Cailhassou parlait avec
émotion de ce « bon gentilhomme ». Avait-il oublié
le calvinisme de la famille de Robert ? Certes, pas! C'était
plutôt sa façon d'égratigner les Bénédictins
de Sorèze. Ils avaient, de manière très contestable,
abattu d'innombrables peupliers. Les plantations de Mr de la Vilette
autorisaient une leçon sans frais, administrée à
Ceux de l'Abbaye.
Yves
BLAQUIERE
Couleur
Lauragais N°23 - juin 2000
|