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Docteur BACOU, l'évolution du métier de médecin dans le Lauragais

Le docteur Charles BACOU, médecin généraliste aujourd'hui à la retraite, a vécu, dans sa belle ville de Bram, 38 ans d'évolution de la médecine. Il nous raconte ce qu'était la vie d'un médecin de campagne'après la seconde guerre mondiale jusqu'à nos jours.

Le docteur Bacou a commencé ses études après la seconde guerre mondiale. Lors-qu'elles se terminent, il passe d'abord trois ans comme interne à l'hôpital de Carcassonne où il peut déjà constater les incroyables progrès de la médecine dans cette seconde moitié de siècle. Avec, d'abord, la formidable révolution que devait entraîner l'apparition des premiers antibiotiques (pénicilline, streptomycine, tifomycine et auréomycine). Dans ces années là, explique-t-il, on prescrivait encore des doses légères et ce n'est que plus tard qu'on a compris que des dosages plus massifs étaient indispensables, avec la pénicilline en particulier.

En 1952, à l'issue de son internat, il s'installe à Bram. Cette localité ne comptait encore que deux médecins et une infirmière, pour une ville qui constituait un nud de communication au bord de l'ancienne voie romaine et à la limite inférieure du Lauragais. La clientèle était répartie sur une quinzaine de communes alentour et le docteur Bacou faisait pas moins de 100 kilomètres par jour avec sa deux chevaux Citroën, l'une des nouvelles voitures de sa commune, voiture révolutionnaire pour l'époque.

Les pathologies qu'il rencontrait étaient avant tout des affections courantes (grippes, infections pulmonaires (1), accidents) avec néanmoins une différence ma-jeure par rapport à notre époque : ces affections devaient souvent être traitées sur place. Il arrivait même que le médecin fasse parfois quelques actes de petite chirurgie et les accouchements se passaient encore à domicile jusque vers les années 60. Le docteur Bacou avoue avoir les "cheveux qui se dressent sur la tête" quand il pense aux risques considérables que devait parfois pren-dre le praticien pour faire accoucher sa patiente dans des conditions très précaires comparées aux Maternités d'aujourd'hui, bien organisées et bien équipées (2).

Dans la région, comme ailleurs en France, les progrès immenses de la recherche ont permis, au fil des ans, la régression de très graves maladies (3). En 40 ans, le docteur Bacou a connu trois épidémies de grippe : une épidémie qui devenait réellement visible quand tous les membres d'une même famille étaient touchés en même temps. Les vaccins antigrippaux, apparus en 1975, ont permis une certaine prévention de ce fléau. En 1956, la France fût cette fois touchée par la dernière grande épidémie de variole. Le Docteur Bacou se rappelle qu'une campagne de vaccination avait alors était lancée : une vaccination gratuite et systématique qui s'effectuait à la mairie de Bram vers laquelle des foules, nombreuses, convergeaient chaque jour.
Dans ses dernières années d'exercice, le médecin de Bram a pu noter une apparition de maladies marquant un brassage de plus en plus important des populations : affections virales, maladies parasitaires, exo- tiques

La principale évolution de la médecine, insiste le docteur Bacou, a surtout consisté à diagnostiquer les maladies de plus en plus tôt : les pathologies que l'on ne pouvait constater il y a quel-ques années encore, qu'en période d'état (lorsque la maladie était déjà déclarée) sont désormais diagostiquées en période initiale. Une révolution lente qui s'est appuyée sur la multiplication du nombre des analyses (radiologie, IRM, endoscopie, scanner, examens biologiques ). Une autre révolution pratique de la médecine fût incontestablement le radio téléphone, ancêtre du téléphone portable. Le docteur Bacou en a acquis un dans les années 80 et avoue que cet appareil a changé sa vie. Il faut dire que la relation entre le patient et le médecin commence bien sûr souvent par le téléphone. Certains patients en abusent même parfois et n'hésitent pas, au moindre coup de froid, à réclamer au plus vite la présence du praticien. Et le médecin d'une petite ville se devait d'être toujours disponible. Le radio téléphone a permis au médecin de gagner en liberté en le libérant de la contrainte de devoir sans cesse fournir un numéro où il serait joignable, même en cas de déplacement. Cette disponibilité totale rendait bien sûr ses horaires très flexibles : le docteur Bacou consultait du matin au soir et sept jours sur sept. Il se rappelle encore l'affluence importante du dimanche, ou encore celle des fins d'après midi dominicales avec l'arrivée des blessés sur les terrains de rugby ou de foot.
Pour les cas les plus difficiles, le médecin de campagne des années 50 n'avait bien sûr pas encore tout le panel de solutions thérapeutiques et technologiques qui existe aujourd'hui. Pour les cas difficiles, pas de possibilité de faire appel aux examens les plus poussés mais parfois l'opportunité de demander l'assistance d'un professeur de médecine d'une grande ville proche. Car certains professeurs de Toulouse ou de Montpellier acceptaient encore, à cette époque, de se déplacer chez le patient pour confirmer un diagnostic difficile. Un déplacement qui n'allait pas toujours sans inquiétude : en mai 1951, le docteur Bacou se souvient encore de l'affaire Dominici où un couple d'anglais et leur fille étaient assassinés, un soir, sur une route près de Manosque. Quelques jours plus tard, le docteur Bacou devait faire appel à un professeur toulousain, en vacance non loin de Bram, pour visiter un malade. Celui-ci avait accepté de se déplacer mais, dans la psychose ambiante de l'affaire Domicini, semblait fort peu rassuré, la nuit tombée, sur les petits chemins de terre du Lauragais.

Pour rester informé des dernières évolutions de la médecine, le docteur Bacou se rendait chaque année à Paris pour suivre les entretiens de Bichat. Pendant une semaine, souligne-t-il, nous avions la possibilité d'approcher les grands patrons de la médecine, de participer à des conférences et de recevoir une information et les derniers médicaments, efficaces et non dangereux, sortis sur le marché. Cette information était ensuite complétée, tout au long de l'année, par la presse médicale, par la venue des visiteurs médicaux et par des conférences hospitalières à Carcassonne et Toulouse.
A cette époque, le médecin était bien sûr un personnage important au niveau local. Médecins, instituteurs, prêtres faisaient ainsi partie des notables. Ce qui n'empêchait pas la relation médecin / patient d'être beaucoup plus étroite qu'aujourd'hui : médecin de famille n'était pas un vain mot et le docteur, lorsqu'il prend sa retraite, a ainsi parfois soigné cinq générations d'une même famille ! Avec l'appui de son épouse à laquelle il sait d'ailleurs rendre hommage car, se plaît-il à insister, elle a su inlassablement pendant son long exercice, avec beaucoup de patience et de tact, recevoir et accueillir ses patients.

En ce début de l'an 2000, les médecins de famille existent toujours mais la relation au patient a beaucoup évolué. Bram compte aujourd'hui sept médecins et autres infirmières. Les infrastructures de communication et les moyens de locomotion permettent un accès rapide aux hôpitaux les plus proches. Les entretiens de Bichat sont concurrencés par le MEDEC, le salon de Printemps de la médecine sur Paris. Le docteur Bacou est aujourd'hui à la retraite où il sait profiter du temps retrouvé qu'il peut enfin s'offrir.

(1) Infections broncho-pulmonaires et autres
(2) Un ancien Médecin de Bram, le Dr Caizergues, lui avait avoué faire un accouchement presque chaque jour entre les deux guerres.
(3) La tuberculose, la poliomyélite, la typhoïde

Interview : Pascal RASSAT
Crédit photo : Collection Docteur Bacou

 

Couleur Lauragais N°20 - Mars 2000