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Couleur Lauragais : les journaux

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Marcel MAURY, bouilleur de cru à Montgaillard Lauragais

En ce début d'année 2000, Couleur Lauragais a rencontré Marcel MAURY, un distillateur installé sur le petit village de Montgaillard. Il a accepté de nous expliquer en quoi consistait le travail de bouilleur de cru au service des exploitations vinicoles du sud ouest.


Marcel Maury est un personnage. On peut le rencontrer à la sortie de Montgaillard dans une petite baraque, aisément repérable à l'alambic installé au bord de la route. Connu à des lieux à la ronde, on l'appelle aussi le "causaque distillateur", sans doute à cause de son éternel bonnet à la russe, toujours vissé sur le crâne.

Marcel est agriculteur comme l'étaient avant lui ses parents et ses grands parents. Mais sa famille a une spécificité : son grand-père, son père, son oncle et lui-même, ont aussi été bouilleurs de cru. Un métier que Marcel a commencé à exercer à partir de l'âge de quatorze ans, autorisé à fabriquer l'alcool pour les propriétaires récoltants vinicoles de la région. Comme il l'explique lui-même, la résistance du distillateur se calcule au nombre d'alambics qui l'ont vu travailler. Et depuis ses débuts, Marcel a usé pas moins de trois machines, pourtant réputées solides et faites pour traverser le temps.
Le distillateur commence sa saison à l'époque où le soleil commence à décliner, à partir du mois de septembre, et ne la termine pas avant la fin mai. Traditionnellement, le bouilleur de cru installait son alambic de cuivre à l'écart des villages (car l'odeur peut parfois être forte) et le plus souvent près d'un point d'eau (canal, ruisseau ou source). En Lauragais, cet artisan au savoir faire traditionnel, venait souvent de l'Ariège. Il quittait sa famille pour une saison et logeait dans un appentis. Bien connus des ruraux, ce "montagnard" courageux et volubile, trouvait dans les bordes, voisines ou plus éloignées, le gîte et le couvert (ainsi que le bois de chauffe). Marcel Maury n'échappe pas à la règle. Ses origines sont effectivement ariégeoises et il continue encore à tourner d'une exploitation à l'autre, en offrant ses services et son savoir-faire.

Il y a de cela quelques années, tous ceux qui possédaient une vigne amenaient par charretées leur marc sur l'aire occupée par le bouilleur près du village. Un travail convivial qui attirait la curiosité des habitants à la ronde : le bouilleur et son alambic était toujours très entourés. Aujourd'hui, si l'arrivée du bouilleur n'est plus autant un événement, Marcel garde encore ses fidèles qui profitent de sa tournée pour venir discuter avec lui.

L'alchimie de l'alambic, merveilleuse machine qui semble mêler tradition et technologie, continue donc encore à fonctionner. Celui que possède Marcel peut être attelé à une voiture et transporté là où on le demande. L'alambic est en fait composé de trois parties principales :
- D'abord une chaudière (ou cucurbite) recouverte d'un châpiteau et qui fonctionne au feu de bois. C'est là qu'on place le marc, matière sèche dont la distillation donnera un alcool de ménage (ou aquavit _ eau de vie en latin).
- Une colonne passe ensuite dans un plateau composé de cuivre percé et permettant de filtrer le mélange (le cuivre, matière non altérable, est tout à fait approprié pour ce type d'utilisation).
- Enfin, une colonne de réfrigération, sorte de grand bac clos rempli d'eau dans lequel descend un serpentin et qui permet de refroidir le mélange, d'évacuer les vapeurs d'eau et de récupérer, à sa base, l'eau de vie. L'alcool peut titrer jusqu'à 85° mais en moyenne, il sort environ à 70°.
L'alambic que possède actuellement Marcel Maury a une contenance de six cent vingt litres mais certains peuvent aller jusuqu'à sept cent litres. Il a acheté le sien à un professionnel installé dans les Pyrénées Atlantiques et il le fait réparer, quand le besoin s'en fait sentir, par un artisan près de Carcassonne. Il y a deux façons d'appréhender le travail du bouilleur de cru : pour l'expliquer de manière simple, il consiste à entretenir le foyer, à rajouter de l'eau dans le réfrigérant et à récupérer l'alcool ainsi obtenu. Mais comme tous les métiers artisanaux, il nécessite aussi un savoir-faire certain mais jalousement gardé par les seuls initiés.

Ce savoir-faire, déclare Marcel, ne s'explique pas mais se pratique. Pour obtenir un alcool de poire ou de mirabelle de qualité, il faut bien sûr un tour de main que seuls les plus anciens peuvent transmettre. Il y a quelques années le bouilleur de cru était payé au litre. Il bénéficiait d'un privilège (également appelé "franchise") qui lui autorisait une détaxe sur 1000 degrés (dix à vingt litres d'alcool). Un décret a néanmoins aboli ce privilège en 1960.

Dans nos campagnes, on utilisait l'eau-de-vie dans le café ou pour préparer des fruits à l'alcool (par exemple cerises, prunes ou raisins). Au Moyen-âge, l'alcool était considéré comme un élixir de longue vie. Il était utilisé en thérapeutique pour la désinfection des plaies. À la fin du XVème siècle, "l'alcool de bouche" devint un reconstituant dont certains abusaient. On le consomme aujourd'hui avec beaucoup plus de modération comme digestif après un repas festif.

Le distillateur du Lauragais travaille encore sur toute la région : il tourne ainsi durant la saison dans les départements les plus proches (ceux du Lauragais mais aussi les Pyrénées Atlantiques). Son frère continue également ses tournées et travaille sur les autres départements limitrophes (Ariège, Hautes-Pyrénées, ).

Laissons Marcel conclure avec l'une de ses plus belles formu-les : "Malgré les temps compliqués, Marcel Maury garde l'espoir à tout jamais".

Interview : Pascal RASSAT

Remerciements à
Mr Jacques GRAULE
et Mme Odette BEDOS

Crédit photo : Christine LE MORVAN
Illustration : Odette BEDOS



Couleur Lauragais N°19 - Février 2000