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Couleur Lauragais : les journaux

Gens d'ici

" L'éclusière de l'Océan "

Éclusière depuis 1976, Alice OLIVIER travaille sur l'un des endroits emblématiques du canal du Midi, l'écluse de l'Océan (*). Témoin privilégié d'un petit morceau de l'histoire du Canal (celle qui se vit au quotidien), elle nous reçoit dans le local de l'écluse et raconte son métier à Couleur Lauragais.



Alice OLIVIER travaille à l'écluse de l'Océan depuis plus de 20 ans. "Le rôle de l'éclusière" explique-t-elle "est d'abord de faire passer les bateaux, veiller au bon fonctionnement de l'écluse ainsi qu'à la sécurité des usagers de la voie d'eau, entretenir et graisser tous les organes de manoeuvres (vannes, crémaillères, ...) et maintenir un cadre agréable autour de l'écluse".

La journée d'un éclusier commence à 8h00 du matin et ne se termine pas avant 19h30 pour la saison d'été. Ce sont en effet les horaires d'ouverture des écluses pendant lesquelles les bateaux peuvent franchir les différents niveaux du canal. Les écluses peuvent cependant rester ouvertes par dérogation jusqu'à 23h afin de laisser passer certaines embarcations.

Si les gestes de l'éclusier restent les mêmes au fil du temps, le métier a néanmoins considérablement évolué. "Il y a encore quelques dizaines d'années", note Alice Olivier, "la navigation commerciale imposait un rythme important au passage des écluses. Impossible alors pour l'équipage de perdre du temps pour discuter avec l'éclusier".

Ecluse de l'océan
(crédit photo : A. Olivier)

Au milieu du 19ème siècle, le canal connaissait son heure de gloire : pas moins de 110 millions de tonnes-kilomètres de marchandises y transitaient chaque année et près de 100 000 passagers étaient transportés sur cette voie d'eau. Un siècle plus tard (dans les années 1950), le trafic avait déjà diminué mais 25 à 30 bateaux passaient encore chaque jour à l'écluse. C'est à partir des années 80 que la fonction commerciale du canal a commencé à disparaître. Les céréaliers ont progressivement cessé d'utiliser ce moyen de transport et les derniers pinardiers qui amenaient le vin de Sallèle (Aude) à Bordeaux ont arrêté leurs activités en 1988, remplacés par des moyens plus rapides et plus rentables.

Aujourd'hui, le transport est essentiellement constitué de plaisanciers avec 15 à 20 bateaux par jour hors saison et jusqu'à 25 bateaux/jour pendant la saison estivale sur le secteur Toulouse - Castelnaudary. Cette navigation de plaisance a donné un caractère différent au métier d'éclusier. Le contact devient de plus en plus important et l'éclusier devient désormais un agent touristique au service de la région : il conseille les plaisanciers sur les haltes les plus intéressantes et sur les lieux à visiter tout au long du canal.
Une sonnerie de téléphone retentit tout à coup. Alice OLIVIER décroche : L'écluse d'Emborel située à quelques kilomètres du côté Atlantique, annonce l'arrivée prochaine de deux voiliers. Quelques minutes plus tard, deux embarcations se présentent effectivement devant la porte de l'écluse. Le vantail s'ouvre et les bateaux pénètrent dans le bassin de 30 mètres de long sur 5,6 mètres de large. Ils se placent près des bords (également appelés bajoyers) afin de pouvoir résister à la pression de l'eau lorsque celle-ci commencera à monter. Les portes se referment derrière eux et Alice Olivier fait fonctionner les vannes pour laisser rentrer l'eau.
L'équipage du premier bateau est anglais. Le canal du Midi représente pour lui une voie à la fois royale et non conventionnelle pour visiter le sud-ouest. Chaque écluse est l'occasion d'une halte pour apprendre à connaître le pays et s'informer des meilleurs coins de visite et de restauration.

Sur le second bateau, c'est un couple de retraités qui remontent le canal. Ils viennent de Dijon sur un petit voilier et ont ainsi navigué sur la Saône et le Rhône avant de descendre le canal du Midi jusqu'à Toulouse. Ils reprennent aujourd'hui le chemin du retour en remontant vers Narbonne. "De nombreux voiliers réalisent ainsi de véritables tours de France entre voies navigables, littoral et haute mer" indique Alice OLIVIER. La chute d'eau de l'écluse de l'Océan est de 2m30 environ et il faut une dizaine de minutes pour remplir l'écluse. Les portes s'ouvrent enfin devant les deux bateaux qui peuvent continuer leur route vers la Méditerranée. Alice Olivier, quant à elle, note tous les passages sur son registre. Ces chiffres seront ensuite communiqués aux Voies Navigables de France pour établir des statistiques annuelles sur l'utilisation du canal.

Le métier d'éclusier a repris un nouvel essor avec l'augmentation de l'activité plaisancière sur l'un des hauts lieux touristiques du Lauragais et plus largement du sud-ouest. Certaines écluses sont aujourd'hui automatiques mais rien ne remplacera la chaleur et la convivialité des éclusiers du canal.

Pascal RASSAT

 

(*) L'écluse de l'océan est située au bord de la RN 113 après le village d'Avignonet Lauragais sur la commune de Montferrand. À peu près cinq kilomètres séparent l'écluse de l'Océan de l'écluse de la Méditerranée. À mi-chemin entre ces deux écluses, on trouve un des lieux clés du canal : le bief de partage des eaux, l'endroit où le canal reçoit une partie de son alimentation en eaux venues de la montagne noire. C'est aussi l'endroit où ces eaux se partagent soit en direction de l'Atlantique soit vers la Méditérranée en fonction des besoins de la navigation et de l'irrigation (voir l'article sur l'approvisionnement en eau du canal dans ce numéro). Le seuil de Naurouze n'avait pas été choisis par hasard par Riquet, concepteur du canal. C'est en effet le point où l'altitude est la plus élevée entre Toulouse et Narbonne (189 mètres). Le seuil de Naurouze est resté un endroit emblématique du canal du Midi et plus largement de tout le Lauragais. Le 18 avril 1814, le Maréchal Soult et le Duc de Wellington signent l'armistice entre leurs armées dans la maison de l'ingénieur du Canal située à quelques mètres au bord de bassin de Naurouze. A quelques mètres de là, un obélisque de 20 mètres de haut fut érigé en 1827 à la mémoire de Riquet. Un prochain numéro de Couleur Lauragais vous proposera une visite guidée du bief de partage des eaux ainsi que de la ville de Montferrand réputée pour son château féodal.

Couleur Lauragais N°4 - Juillet-Août 1998