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Couleur Lauragais : les journaux

Canal du Midi : l'aventure UNESCO

Le 7 décembre 1996, l'UNESCO inscrivait le Canal du Midi sur la liste prestigieuse du « Patrimoine mondial de l'Humanité ».
Comment une telle inscription a-t-elle pu se faire ? Quels furent les tenants et les aboutissants de cette histoire qui fit que le Canal du Midi, canal des Deux Mers, figure au rang des plus grands sites au monde ?
Mireille Oblin-Brière, ancienne secrétaire générale adjointe, chargée de la communication et des archives au service de la navigation de Toulouse, direction régionale de Voies Navigables de France, retrace l'historique d'une petite graine qui a produit une semence inespérée…

L'aventure a commencé à peine deux ans plus tôt par un coup de fil de Michel Cotte, maître de conférences en histoire des techniques à l'université de technologie de Belfort-Montbéliard, lequel s'est présenté comme un expert auprès de l'UNESCO.Il sortait d'une réunion au cours de laquelle l'UNESCO avait annoncé sa nouvelle politique à savoir celle de ne pas s'en tenir à un patrimoine restreint consistant essentiellement à classer des châteaux, des églises, mais avec la volonté d'examiner des sites, de vastes espaces.
     Portrait de Pierre Paul Riquet lithographie de Grégone et Deneux
Portrait de Pierre Paul Riquet
lithographie de Grégone et Deneux

Michel Cotte avait pensé au canal du midi qu'il connaissait et aimait beaucoup. Nous en avons parlé pendant presque 2 h au téléphone, aussi excités l'un que l'autre par le projet. Il m'expliqua dans le détail qu'il fallait commencer par préparer de toute urgence un pré-dossier lequel devrait être agréé avant de poursuivre le dossier de demande d'inscription. J'ai reçu une douche glacée quand j'ai constaté que peu de monde était partant pour l'aventure. Certaines réticences pouvaient se comprendre.
L'affaire n'était pas évidente car à cette époque, nous doutions tous de l'avenir du canal qui avait traversé des périodes difficiles à commencer par un projet lointain de le bétonner dans sa traversée de Toulouse pour en faire une voie à grande circulation. Suite aux différentes sècheresses des années 1990-1992, il avait été envisagé de réserver l'eau à l'irrigation des terres agricoles, notamment des vignobles, et de fermer le canal à la navigation, d'autant qu'il n'y avait plus de transports de marchandises. Les deux derniers pinardiers avaient arrêté leur activité en 1989.
Dans les années 1992-93, le préfet de Midi-Pyrénées prit un arrêté donnant la priorité à l'arrosage des cultures, ce qui empêcha les plaisanciers de naviguer durant certaines périodes estivales.
Les avis étaient donc très partagés autour de ce dossier UNESCO car les bateliers et les agents du service, pour certains des enfants de bateliers, espéraient que le transport de marchandises reprendrait un jour ; or ils estimaient que l'éventuel classement UNESCO ne le permettrait plus à cause des contraintes exigées.
Les discussions à la cantine avec les collègues et amis furent animées pour ne pas dire épiques. Il y avait de l'ambiance !
Le grand argument fut que le canal mourait à petit feu et qu'il irait de plus en plus mal. Il risquait de devenir un canal-musée, une voie d'eau en décomposition. Le classement UNESCO lui redonnerait vie et le ferait connaître du monde entier.

Mon directeur de l'époque, Gérard Couzy, ingénieur général de l'Equipement, me laissa agir à ma guise et j'ai foncé pour constituer ce pré dossier.
Vu l'extrême urgence, j'ai pris des congés et j'ai quitté Toulouse, ma voiture remplie de documents jusqu'au plafond. Enfermée toute la semaine dans notre maison de campagne lotoise, il me fallut remplir des fiches répondant à quatre des six critères culturels fixés par l'UNESCO :
- le canal représente un chef d'œuvre du génie créateur humain
- il témoigne des échanges d'influences sur le développement de l'architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages
- il offre un exemple éminent d'un type de construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significatives de l'histoire humaine
- il est directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle.

Le présent article ne me permet pas de détailler ces fiches soumises à mon directeur. Comme toujours, Gérard Couzy sut y apporter quelques ajouts et des corrections pertinentes.
Le pré-dossier envoyé à l'UNESCO fut agréé. Restait à élaborer le dossier définitif avec la mise en place d'un comité scientifique où figuraient les représentants de l'Etat, de Voies Navigables de France, des 3 Régions, les principaux maires et des personnes choisies pour leur compétence.
Nos interlocuteurs privilégiés furent François Bordry, Président national de VNF, Marc Cenci, président du conseil régional de Midi-Pyrénées et président de la commission territoriale Entre deux Mers, Jacques Blanc, président du conseil régional de Languedoc-Roussillon, Jacques Valade, président du conseil régional d'Aquitaine, Alain Bidou, Préfet de la région Midi-Pyrénées, Dominique Baudis, maire de Toulouse.
Sous l'autorité du comité scientifique, le bureau d'étude Euromapping, dirigé par David Edwards-May, établit un beau et consistant dossier, avec photos et vidéos à l'appui.
Celui-ci fut signé à Paris le 27 septembre 1995 par Corinne Lepage, ministre de l'Environnement, Bernard Pons, ministre de l'Aménagement du Territoire, de l'Equipement et des Transports et Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture. Il fut présenté à l'UNESCO en octobre 1995 au nom du Gouvernement français.
Dans la nuit du 6 au 7 décembre 1996, à Mexico, l'UNESCO décida d'inscrire le canal du Midi au patrimoine mondial de l'Humanité. Cette inscription place le canal parmi les plus grands sites mondiaux au même titre que la grande Muraille de Chine, le site d'Abou Simbel en Egypte, le Mont Saint-Michel et le Palais de Versailles. Cette œuvre conjuguée de l'homme et de la nature a une telle valeur universelle, selon les critères de l'UNESCO, que sa perte affecterait non seulement la France mais l'Humanité toute entière.

Dans la nuit du 6 au 7 décembre 1996, à Mexico, l’UNESCO décida d’inscrire le canal du Midi au patrimoine mondial de l’Humanité. Cette inscription place le canal parmi les plus grands sites mondiaux au même titre que la grande Muraille de Chine, le site d’Abou Simbel en Egypte, le Mont Saint-Michel et le Palais de Versailles. Cette œuvre conjuguée de l’homme et de la nature a une telle valeur universelle, selon les critères de l’UNESCO, que sa perte affecterait non seulement la France mais l’Humanité toute entière.

Quelle reconnaissance pour Pierre Paul Riquet et son armée de travailleurs !
Notre nouveau directeur, Alain Stagliano, et le personnel de VNF ont veillé pour attendre la nouvelle annoncée vers une heure du matin. J'avoue avoir pleuré en l'apprenant et je ne fus pas la seule au service de la Navigation.
Pour la petite histoire, je suis allée porter sur la tombe de Riquet, à la cathédrale Saint-Etienne à Toulouse, un bouquet d'iris car j'avais lu dans les archives qu'il souhaitait en planter en bord de canal. Et je l'ai bien remercié…

Mireille Oblin-Brière, auteur de
"Riquet, le génie des eaux, portrait intime"
"Où donc est passé le Canal du Midi ?"
"Histoire inédite du Canal du Midi, Chapelles et bâtisseurs méconnus"

Crédit photos : Voies navigables de France, Archives des canaux du Midi


Couleur Lauragais n°188 - Décembre 2016/janvier 2017