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Au fil de l'eau

Pierre Paul Riquet : une vie au service du Canal du Midi

Le canal du Midi tient une place de choix dans le paysage et dans le cœur des gens d'ici. C'est sans conteste l'une des œuvres majeures du règne de Louis XIV, et le génie de celui qui su le concevoir puis le réaliser, en dépit des difficultés que la tâche présentait, est unanimement célébré. Jean Justin Rey revient sur le parcours de cet inventeur et entrepreneur du Canal du midi et de son approvisionnement en eau.

"Nostre Riquet"… ses études, son parcours…
Né à Béziers en 1609, de Guillaume Riquet (Notaire puis Procureur près du Tribunal), et Guillaumette, sa mère, d'origine bourgeoise, Pierre Paul Riquet étudie au collège Jésuite. Fort en mathématiques, il est ensuite dirigé par son parrain vers la finance.
Dès son enfance, dans son milieu familial, il entend parler d'un Canal Méditerranée-Océan dont déjà Charlema-gne, François 1er ou Louis XIII avaient rêvé et que Guillaume, père de Pierre Paul Riquet, jugeait irréalisable. Il faut se rappeler que le seul moyen de transport de gros tonnage était le fluvial, obligeant le grand contournement par Gibraltar. Pour le moyen et petit tonnage, on utilisait le charroi à terre par traction animalière. La réalisation d'un Canal traversant le Languedoc, deviendrait un bien majeur pour l'économie du pays.

C'est sur une péniche amarrée sur le port de l'Embouchure à Toulouse que le sénateur-maire de Revel a rendu publiques les conclusions de son rapport consacré au "Renouveau du Canal du Midi"
La statue de Pierre Paul Riquet à Bonrepos Riquet
crédit photo : Couleur Média

Pierre Paul Riquet, de brillante intelligence, devient inspecteur trésorier, receveur de la "gabelle" en Languedoc-Roussillon pour le compte du Roi Louis XIV.
Il se marie tôt avec Catherine de Milhau, riche héritière. Ils résident à Mirepoix, puis à Revel en 1648. Pierre Paul Riquet est riche et le devient encore plus par ses fonctions. Son territoire d'action l'amène aussi en région toulousaine où il acquiert la Seigneurie de Bonrepos en 1651. Il sillonne le Languedoc et y constate l'abondance en eau de la Montagne Noire, ce qui conforte le rêve devenu hantise chez lui : le "Canal du Languedoc"…

Le projet
Naurouze, en plaine, avait été déjà reconnu, depuis plus d'un siècle, comme le point le plus haut entre les deux versants Méditerranée-Océan. Pierre Paul Riquet le sait : il s'agit pour lui d'approvisionner en eau cet endroit pour son canal ; sa décision est prise.
A Revel, Pierre Paul Riquet sympathise avec Pierre Campmas, fontainier de la commune, chargé de pourvoir à son alimentation en eau. Il partage avec lui son ambition. Leurs réflexions, études et calculs déterminent que les eaux de la montagne versant Atlantique, soit : les rivières Sor et Laudot, ne suffiraient pas au projet du Grand Canal.
Alors Pierre Paul Riquet ira côté Méditerranée, collecter les eaux des ruisseaux de l'Alzeau, de la Vernassonne et du Lampy. Il s'entoure de géomètres, notamment François Andréossy, qui réalisent une étude de niveaux en montagne ainsi qu'en plaine, et la conclusion confirme la possibilité du projet.
Avec le soutien d'Anglure de Bourlemont, Archevêque de Toulouse, Riquet envoie à Colbert, Intendant des finances du Roi, un plan des études réalisées. En réponse l'accord du Roi est donné de réaliser une rigole d'essai (grand fossé 70 x 70). En mai 1665, le chantier commence ; 600 hommes sont à l'oeuvre, 20 km en montagne, 43 km en plaine. En fin d'année 65, les commissaires envoyés par Colbert viennent constater l'eau arrivant à flots à Naurouze.
En octobre 1666, Louis XIV promulgue l'Edit de construction du "Canal Royal du Languedoc".

Chantier et réalisation
L'hiver 1667 voit le début d'un chantier pharaonique ; 12 000 ouvriers sont à l'oeuvre : paysans, mercenaires, quelques femmes, tous mieux payés qu'ailleurs, travaillent sans relâche sur le Grand Canal, les rigoles en plaine et en montagne.
Pierre Paul Riquet fait conduire les eaux de l'Alzeau (760 m d'altitude), de la Vernassonne et du Lampy dans le cours supérieur du Sor, au lieu-dit "Conquet" (656 m d'altitude).
Pour cela, il fait réaliser une rigole qui, au Mont de l'Alquier, est profonde de 8 m sur 100 m et, au Mont de la Rassègue, de 15 m de profondeur sur 200 m. Le Sor devient rivière, suralimenté par les eaux du versant méditerranéen.
Plus bas, à Pont-Crouzet (290 m d'altitude), par un épanchoir sur le Sor, commence depuis longtemps la vieille rigole, qui alimente Revel en eau (à 5 km) au lieu-dit : "Moulin du Roy" (218 m d'altitude). A cet endroit commence la rigole de la plaine de Pierre Paul Riquet (43 km) jusqu'à Naurouze dit : "seuil de Naurouze" (190 m d'altitude). Dans le même temps, en 1667, Pierre Paul Riquet construit le barrage de Saint-Ferréol (300 m d'altitude) sur le cours du Laudot, qui rejoint la rigole de la plaine au lieu-dit : "les Choumassès" (210 m d'altitude).
A Naurouze est réalisé un immense lac, provision d'eau.
Enfin, sur le Grand Canal, première tranche : Toulouse-Villefranche, et déjà les premières barques sont sur le canal, deuxième tranche jusqu'à Trèbes, puis jusqu'à Sète.
Le creusement du tunnel du "Malpas" (173 m de long) sous Ensérune, fut au final l'un des chantiers les plus ardus et risqués.
240 km de canal, 99 écluses, 14 années de dur labeur... Pierre Paul Riquet a tout donné de son génie, et y a investi sa fortune. Propriétaire anobli, son nom prend la particule : "de" Riquet. Son décès en 1680, trop tôt survenu, il laisse son oeuvre à sa descendance, notamment Jean Mathias, son fils aîné, et Pierre Paul, tous deux déjà impliqués avec leur père dans les affaires du Canal Royal du Languedoc.
Le couronnement de cette oeuvre fut, malgré tout, en mai 1681 à Castelnaudary, l'inauguration du Canal.

   Ecluse d'Emborrel à Avignonet : 15ème écluse du canal à franchir par les navigants depuis son extrémité occidentale à Toulouse. (km 47.453 depuis le point de rencontre du canal avec la Garonne à Toulouse, altitude 189 m environ, écluse simple)
Ecluse d'Emborrel à Avignonet : 15ème écluse du canal à franchir par les navigants depuis son extrémité occidentale à Toulouse.
(km 47.453 depuis le point de rencontre du canal avec la Garonne à Toulouse, altitude 189 m environ, écluse simple)
crédit photo : Couleur Média

La continuité
Il restait à perfectionner cet ouvrage colossal ; en 1686, les descendants de Riquet et les Etats du Languedoc font appel à "Vauban", ingénieur militaire du Roi. Ce dernier fait augmenter les provisions d'eau en surélevant la digue de Saint-Ferréol de 5 m, fait renforcer son contrefort en longueur et en largeur. Vauban dérive, au "Conquet", une partie de l'eau de la rigole, qui la conduit aux sources du Laudot (605 m d'altitude), et pour cela il réalise 7 km de rigole et un tunnel de 120 m de long dit "Percée des Cammazès". Plus haut Vauban construit un bassin de régulation au lieu-dit : "Lampy-Vieux" qui, après des années, est désaffecté et remplacé par le "Lampy-Neuf" existant depuis 1777. Sur le Grand Canal, Vauban construit des tunnels, des ponts-canaux, pour les ruisseaux et rivières, qui jusque là traversent le canal et provoquent envasements et ensablements. Pour les mêmes raisons, il réalise des contre fossés le long de terres agricoles.
Les plantations des millions d'arbres qui font la beauté de ces sites de nos jours, commencent dès le XVIIIème par la descendance de Pierre Paul Riquet, se continue au XIXème et au XXème siècle, gérée aujourd'hui par les "Voies Navigables de France".
La navigation, principal moyen de transport entre Méditerranée et Océan, oblige à cette époque d'emprunter la Garonne à Toulouse, avec ses inconvénients saisonniers. Un canal latéral est construit en 1856. En 1858, la "compagnie des Chemins de Fer" surpasse en rentabilité le fluvial, puis à partir de 1950, ils sont eux-mêmes supplantés par les transports routiers.
L'année 1856 voit le record du trafic fluvial : 110 millions de tonnes de frêt et 10 000 passagers.
180 années de navigation de transport sur un canal magnifique, dont la beauté mérite d'être préservée, pour le bonheur des actuels plaisanciers, pour les milliers de promeneurs à pied, à cheval ou en VTT, et aussi dans les sites merveilleux qui lui sont liés dans la Montagne Noire.

"Pla merci à nostré Riquet."

"Hommage soit rendu aux travailleurs de l'époque, vivant dans des conditions moyenâgeuses, armés seulement de pelles et de pioches, ceux à la forge sachant tremper le fer des pics, ciseaux et barres à mines, la multitude de tailleurs de pierres de haute performance, sans oublier les charretiers chevaux et bœufs en attelages de charrois.
"Oui merci à nos Ancêtres."

Jean Justin Rey

Mes promenades

Souvent je me promène le long de la rigole,
Mon temps est sans limite dans ce si beau chemin,
Des goujons très furtifs dans cette eau qui frissonne
Comme moi semblent heureux, là je me sens si bien.

J'écoute le pinson aussi le rossignol
Qui gazouillent cachés dans les arbres feuillus,
Tout là-haut, le planeur imite le condor
Derrière le grand chêne le voilà disparu.

Je ne me lasse pas de contempler cette eau
Qui glisse lentement sur un fond apparent,
Lumineuse, éclairée par le soleil là-haut,
Je pense aux constructeurs tout en la regardant.

Oui, rigole tu traces le labeur des anciens
Qui pendant des années ont dessiné, pioché
Ce cordon de leurs bras, de leurs mains,
Nous nous en souvenons pour les en remercier.

Elle va sinueuse tout au bas des collines,
Moi, je me dois de rebrousser chemin,
Je laisse là ce flot qui coule sans limite
Pour maintenant rejoindre mon habitat, serein.

Jean Justin REY - mai 2007.

 

Couleur Lauragais n°164 - Juillet/Août 2014