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Histoire

Les enigmes du blason de Sorèze

Le blason de Sorèze fait partie de ce corpus de sceaux armoriés ou blasons des communautés villageoises ou urbaines qui constituent ce que l'on appelle l'héraldique municipale.

Quand est apparu le blason de Sorèze ?
Il ne figure pas dans le corpus des sceaux français du Moyen Age - tome 1 : « Sceaux des villes avant 1500 » établi par Brigitte Bedos, conservateur des Archives Nationales de France. Les premières armoiries des cités ont été transmises par les sceaux et leurs empreintes. Les premiers blasons ont été utilisés dans la mêlée des batailles du moyen Age afin de distinguer les combattants.Boucliers, harnachement des chevaux, gonfanons et bannières, vers le XIIème siècle, arboraient fièrement le blason de leur « chef », du seigneur, du chevalier.


Blason donné par le Dictionnaire Larousse de 1907
Blason donné par le Dictionnaire Larousse de 1907

Ces blasons que l'on appellera ainsi « armes » se transmettront de générations en générations. L'héraldique municipale que d'aucuns qualifient de « murale » (allusion aux fortifications et aux couronnes murales qui surmontent les blasons des cités) ne découle pas d'une obligation guerrière, mais d'une nécessité administrative. En effet, s'affranchissant des tutelles seigneuriales pour gagner un statut de communes libres, les villes ont rapidement affiché leur autonomie en institutions identifiées par des sceaux armoriés ou des blasons. Avant la naissance de l'héraldique (XIIème siècle) et l'apparition des sceaux armoriés, les sceaux étaient hagiographiques (iconographie embellie ou magnifiée), influencés par la mentalité religieuse médiévale, ils représentaient souvent la Vierge Marie, un saint patron portant ses attributs (Saint Pierre : la clef, le grill de Saint Laurent…). Sorèze a peut-être longtemps utilisé le sceau orné de Notre Dame de la Sagne ? L'histoire de Sorèze commence et se confond avec celui de sa célèbre Abbaye. Certaines cités "mettaient en scène" au centre de leur sceau les édiles municipaux symbolisés par des personnages, le plus souvent vêtus de tunique ou simplement par des têtes très stylisées. D'autres cités, Castres, Castelnaudary (avers du sceau…) affirmaient leur puissance, la défense de leur pouvoir par leurs fortifications : tours, châteaux ou remparts. On trouve aussi des sceaux équestres, une façon de rappeler le pouvoir seigneurial, ou l'auteur de l'affranchissement de la cité (revers du sceau de Castelnaudary XIIIème siècle …). Aucune trace sigillaire concernant Sorèze n'a été découverte à ce jour. Il faut donc toujours se référer à cette pierre armoriée, exhumée des anciennes murailles de Sorèze par le Curé Cailhassou en 1772 (texte sur les origines de Sorèze par Yves Blaquière, ancien président des Amis de Sorèze)

Au pied du vaste massif forestier de la Montagne Noire, le village de Sorèze a grandi autour de son abbaye bénédictine.
Au pied du vaste massif forestier de la Montagne Noire, le village de Sorèze a grandi autour de son abbaye bénédictine.

Pourtant le dictionnaire Larousse de 1907, en 8 volumes, très richement illustré, précisément d'armoiries, à la rubrique "Sorèze" nous annonce le blason suivant : "d'azur à la bisse (serpent en héraldique) d'argent mise en pal (dressée verticalement) torsée de trois tours". Hélas, la composition héraldique du blason de Sorèze ci-dessus décrite, ne comporte pas de références ! L'Armorial général des communes de France de J.J. Lartigues, Président du Conseil Français d'Héraldique, donne trois descriptions du blason de Sorèze :
"D'azur à un château d'argent, maçonné de sable (noir) sommé (surmonté) de trois tours crénelées d'argent accompagnées en chef (partie supérieure du blason) d'une colombe éployée du même et en pointe d'un serpent aussi d'argent".
"D'azur à un serpent contourné en forme de S d'argent" (Cette dernière description héraldique est pratiquement semblable à celle donnée par le dictionnaire Larousse de 1907).
"De gueules (rouge) à une tour d'argent maçonnée de sable, sommée d'une colombe s'essorant d'argent et accompagnée en pointe d'un serpent ondoyant d'or brochant (figurant en partie contre la tour)". Jean Jacques Lartigues se montre également très avare de références !
L'Armorial Général de France d'Hozier, Généralité du Languedoc nous permet de découvrir le blason peint de Sorèze parmi bien d'autres enregistrés pour notre province. Ce blason peint correspond à la description héraldique suivante : "d'azur, à un château d'argent maçonné de sable, sommé de trois tours crénelées d'argent (avec des créneaux) accosté en chef d'une colombe éployée du même (argent) et en pointe d'une guivre (serpent en héraldique) d'argent (réf : 1,561)".
Dans le très documenté dictionnaire des "Communes du Tarn" publié par le Conseil Général et les Archives Départementales du Tarn, sous la direction de Jean Le Pottier, directeur des services d'archives, on peut lire deux descriptions du blason de Sorèze accompagnées d'un dessin héraldique :
- "de gueules à la tour crénelée de cinq créneaux d'argent surmontée d'une colombe essorante de même (argent), une bisse contournée d'or placée en trois parties en fasce (horizontalement), la partie supérieure brochante sur la porte de la tour qui est ouverte de sable". Cette description est tirée de l'Armorial de Gastelier de la Tour.
- "la deuxième description portant la mention armoiries déclarées (LD. Mp 561, n°91 C.P. 1945) est ainsi formulée : "d'azur à un château d'argent maçonné de sable sommé de trois tours crénelées aussi d'argent (on dit du même) accompagné en chef d'une colombe éployée et en pointe d'une guivre du même émail (argent)".

Dans l'histoire graphique générale de l'ancienne province du Languedoc (tome 16) Ernest Roschach, fidèle au dessin de l'ouvrage, présente le blason de Sorèze : "une tour crénelée, de type moderne avec une bisse ondulant à la base et une colombe essorant sur les créneaux …".
Cette explication est assez précise même si elle s'affranchit de la syntaxe et de la terminologie héraldique.
Dans la revue du Tarn, le Dr J.A. Clos (année 1884-1885, p. 236), décrit ainsi les armes de Sorèze : "de gueules à la tour crénelée de cinq créneaux d'argent surmontée d'une colombe essorante de même ; une bisse contournée d'or pliée en trois parties en fusées, la partie supérieure brochante sur la partie de la tour qui est ouverte de sable".
Si l'on observe attentivement les documents officiels armoriés de Sorèze, le blason adopté par la commune correspond à la description qu'en donne Gastelier de la Tour (éminent héraldiste). Dans certaines reproductions, le serpent est de couleur verte (sinople) ! Est-ce l'or qui a mal vieilli ou une erreur de transcription ?
La mairie de Sorèze, sur sa façade principale a su mettre à l'honneur le blason de sa commune. L'ancienne et belle fontaine de la place "Dom Devic" est magnifiquement armoriée.

Quelle est la signification des symboles qui ornent le blason de Sorèze ?
Il ne faut pas trop s'aventurer dans des explications ésotériques …

La Tour
Beaucoup de communes urbaines ou villageoises et notamment des bastides (Villefranche de Rouergue et de Lauragais) arborent une tour ou château sur leur blason. Ces édifices souvent figurés "maçonnés" ce qui signifie en héraldique que les pierres ou les briques sont dessinées le plus souvent par un simple trait qui symbolise les murs (intra muros - extra muros) de la cité affirment l'existence des fortifications, la défense des habitants, l'autorité des défenseurs.
Concernant Sorèze, certains auteurs signalent un château sommé de trois tours crénelées. Ce type d'édifice est parfois désigné en héraldique : Castille (la célèbre province espagnole de ce nom porte des "castilles" dans ses armes). Gastelier de la Tour ainsi que Roschach (dans l'Histoire Générale du Languedoc) indiquent une simple tour avec des créneaux (cinq créneaux précisait même Gastelier de la Tour ainsi que le Dr J.A. Clos).
Cette tour marque-t-elle la fondation de la célèbre abbaye de Sorèze ou plus directement les murailles défensives de la ville ?

Le Serpent
En termes héraldiques le serpent est désigné : bisse, vivre ou guivre. Parmi les blasons porteurs de serpent les plus célèbres ou les plus caractéristiques, on peut signaler la guivre du Duché de Milan (Italie) qui semble dévorer un enfant ('l'engouler' en héraldique) et qu'Alfa Roméo utilise comme emblème pour ses voitures ! Il y a aussi le blason des Colbert, célèbre ministre de Louis XIV qui a contribué à la création du Canal du Midi. Les armes de Colbert sont dites parlantes : col-bert-col-vert, la couleuvre évoque, 'chante' le nom du porteur d'armoiries !
Blason de Sorèze
Blason de Sorèze
dessin Bernard Velay
Dans les armoiries de Sorèze, le serpent (la bisse) est contourné, la bisse ondule nous dit Roschach (Histoire Générale du Languedoc). Placé en pointe (ce qui constitue la partie la moins honorable) le serpent évoque-t-il celui qu'écrasa la Dame de l'Apocalypse, Notre Dame, patronne de l'abbaye de la Sagne ? Dans la genèse, le serpent est le symbole de l'esprit du mal, A. Gide n'écrivait-il pas "l'abominable serpent de jalousie".
Ce serpent garde-t-il la porte de la tour, de la cité ou plus prosaïquement prend-il la forme d'un S comme le S de Sorèze ou reproduit-il les méandres du Sor ? Le blason publié par le dictionnaire du Larousse 1907 présente une bisse sinueuse, ondulante, en forme de S.

La Colombe
La colombe d'argent est au contraire placée en chef, dans la partie supérieure du blason, la plus honorable. Des auteurs la décrivent "éployée", Gastelier de la Tour parle d'une colombe essorante, c'est-à-dire qui prend son essor, qui s'envole… Le terme éployé s'applique plutôt aux oiseaux et le plus souvent aux aigles qui de face étalent, déploient de façon symétrique leurs ailes (voir les blasons de Nice, de l'Allemagne, de la Pologne).
La colombe, symbole de la Paix qui s'envole vers le ciel, regarde vers le soleil, la lumière, au-dessus de la tour et du serpent : fait-elle allusion à l'abbaye fondée par Pépin le Bref en 757, à Notre Dame de la Paix ? à l'Esprit Saint ? La colombe, le bien, s'oppose-t-elle au mal, au serpent qui rampe au fond du blason en pointe ? Ou plus simplement, plus directement, l'héraldique sans se préoccuper d'une savante étymologie (ici toponymie) utilise l'homophonie ; il s'agirait donc ici, d'armes parlantes ou chantantes (comme disent certains héraldistes anglais) : la colombe essorante qui prend son essor comme la source du Sor qui a donné son nom à Sorèze. Ceci correspondrait à une tradition pérenne de l'héraldique médiévale. La ville de Lyon ne porte-t-elle pas un lion dans ses armes (et ce lion n'a rien à voir avec les lions qui ont martyrisé Sainte Blandine et Saint Potin), la famille de Corbie, des corbeaux ? Le blason de la famille Colombet, en Languedoc est : "d'azur à la colombe d'argent, ….".

Les Couleurs
Au niveau des couleurs, les émaux qui participent à la symbolique du blason, on constate quelques variantes même si la palette n'est pas très étendue.
Le serpent est dépeint, tantôt d'argent tantôt d'or, plus rarement de sinople.
Le champ de l'écu (ou le fond) est soit d'azur, soit de gueules. On retrouve ce changement de couleurs dans le blason de la cité voisine de Revel.

La ville de Sorèze a bien eu raison de mettre à l'honneur son blason, affirmation de son identité, de sa personnalité. Le blason a une vocation nationale, voire européenne, internationale (par exemple il est bien commode d'illustrer le jumelage de deux villes européennes par deux blasons côte à côte. Les armoiries conjuguent la modernité de leur graphisme avec l'immortalité de leur signification. Le blason "clé de l'histoire" (Gérard de Nerval) exprime mieux que le logo, la valeur, le fondement d'un terroir, d'une commune, d'une province, d'un Etat. Le logo, lui, s'adapte mieux aux produits de marketing. Nous avons remarqué que tous nos logos adoptés par certaines villes, régions ou départements sont le plus souvent dessinés en bleu, blanc, vert avec des flèches, des ondes ou des zigzags, un assemblage de carrés et que tous, peu ou prou, prétendent symboliser le dynamisme, la fraternité et le grand air !

Le blason d'une commune urbaine ou villageoise, expression des premières libertés communales reste toujours un signe de ralliement, d'unité pour la commune. Ce moyen de communication peut franchir allègrement le XXIème siècle, il n'a pas vieilli et constitue une valeur durable.

Le blason de Sorèze n'est pas complété par une devise. Pourquoi ne pas essayer d'en trouver une en ce XXIème siècle  ? La ville de Colombes (Hauts de Seine) qui porte dans son blason un colombier accosté de deux colombes essorantes a pour de-vise : "Dulcis ascendo pertinax volo" (je vole avec persévérance et monte avec douceur).

Bernard Velay


Couleur Lauragais n°162 - Mai 2014