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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Le Beffroi de Revel

Symbole du pouvoir royal, le Beffroi occupe le centre de la bastide. Lieu des pouvoirs de la ville, son histoire est assez méconnue. Si les périodes antérieures au XVIIIème siècle restent obscures faute d'écrits, les recherches menées dans les archives départementales et municipales ont permis de dévoiler en partie son passé notamment du début du XVIIIème siècle à nos jours. C'est grâce aux derniers témoins de la présence des "éncaïtarés" (les "crieurs publics") que les descendants des familles Jalabert et Chaix ont pu préciser les habitudes et le cadre de vie des derniers locataires du Beffroi.

 

Dessin découvert dans des registres de marchands drapiers de Revel (donc beffroi avant sa reconstruction) ...

Dessin découvert dans des registres de marchands drapiers de Revel (donc beffroi avant sa reconstruction) ...

A l'origine
Le rôle important du Beffroi est précisé dès l'origine de la fondation de la bastide dans la charte de fondation (ou charte des coutumes de Revel). Dans son article 21 il est dit : "Lesdits consuls et la communauté auront une maison et une place commune… dans ladite maison commune il leur sera loisible d'avoir un guet et aussi un guetteur ...". L'article 83 nous renseigne sur les espaces carcéraux de la ville : "Il y aura une prison convenable (Carces) et apte à son but construite aux dépens du roi, et où puissent le geôlier y demeurer et les prisonniers être retenus ... ".
Ainsi dès l'origine, les fonctions du beffroi sont précisées :
- fonction administrative
- fonction juridique
- fonction militaire
- et avec la halle autour (et las Garlandas - "les galeries couvertes") : la fonction économique.

Rôle de la place (de la halle) du Beffroi
Situé au centre de la ville, le point central de la place a certainement été le point de départ de la construction urbanistique de la ville. D'après la tradition orale, il est dit que le 8 juin 1342, le Sénéchal de Toulouse Agot (ou Agout) de Baux y aurait fait planter un pal(1) pour ensuite tracer les directions des rues et pour situer l'emplacement des "moulons"(2). Est-ce que cette tradition pour Revel est tirée d'un fait réel ou d'un mythe ? Aucun élément écrit ne le prouve, mais nous savons que pour d'autres bastides, cette manifestation symbolique était d'usage fréquent.
La place a une fonction économique très importante, avec la halle qui protège les marchands de la pluie et du soleil, mais elle a aussi un rôle social. La place est le lieu où on se réunit, on discute. Il est un espace d'échange, d'information, de rencontre et de circulation obligé permettant ainsi un contrôle des trafics ! A l'époque il n'y avait pas de "tour de ville"(3). Les personnes et le trafic devaient donc obligatoirement passer par la place permettant ainsi un contrôle et la levée de l'octroi (sorte de taxe de péage).
La symbolique du Beffroi est aussi primordiale. Elle est le symbole du pouvoir du roi (fondée par Philippe VI de Valois, Revel est une bastide royale).
Le clocher, qui surmonte le Beffroi règle la vie des revélois. La cloche sonne les heures, permet d'appeler la population, d'informer en cas d'incendie ou de danger imminent (on sonne le tocsin). Dominant la ville et ses environs il sert de tour de guet, de poste stratégique. Le Beffroi a véritablement tous les attributs d'une "basilique antique"(4) au "sens de basilique civile". La place est à l'image du forum dans l'époque antique.
Par contre pendant le "phénomène bastide", les églises n'occupent plus le centre de la cité, elles sont le plus souvent situées en périphérie(5) mais l'église garde tout son pouvoir !

Une histoire méconnue
Nous savons peu de choses sur la halle et le Beffroi avant le XVIIIème siècle, peu de documents de ces époques ont été conservés. Le Beffroi devait être construit dès l'origine en "pans de bois" (pisé et torchis certainement ou en terre crue). Celui que nous connaissons aujourd'hui est de construction récente (1830). Le précédent a été maintes fois consolidé grevant trop souvent le budget de la commune...
La décision a donc été prise dans ce premier tiers du XIXème siècle de démolir l'ancien Beffroi en très mauvais état et de le reconstruire dans un style nouveau.
Un important dossier, présent dans les archives municipales, nous a permis de retracer la véritable épopée de cette reconstruction. Celle-ci a fait l'objet d'une "grande aventure procédurière", elle a duré pendant de nombreuses années.
Les témoignages des familles Calvet - Dugas - Jalabert et Chaix - Borlo, nous ont permis de retracer la vie des "crieurs publics" qui ont vécu dans cet édifice de la fin du XIXème siècle jusqu'en 1965. L'habitation se situait au deuxième étage qui était compartimenté en trois pièces.

Photo montage permettant de s’imaginer comment devait être le beffroi avant sa reconstruction en 1830 ...
Photo montage permettant de s'imaginer comment devait être le beffroi avant sa reconstruction en 1830 ...

Avant la reconstruction
Trois documents iconographiques (peut-être quatre) permettent de retracer l'architecture du Beffroi en "pans de bois" qui existait avant la reconstruction de 1830. Il s'agit d'une gravure sur bois du peintre André Lagarrigue, d'un dessin de Pierre-Antoine Barrau, d'une aquarelle provenant d'un registre de comptabilité de marchands-drapiers de Revel (B.P.S - Frères), et sous réserve d'une illustration provenant d'un plan de bornage de 1667.
La structure de l'ancien "Beffroi-clocher" de Revel est connue notamment par d'anciens documents(6). Il suffit de voir le Beffroi de Grenade sur Garonne pour s'imaginer comment devait être (de façon approximative tout de même) le nôtre, un ensemble de poutres avec du torchis...

un des projets en 1829 – 1830
Un des projets en 1829 – 1830

Les prisons
Le Beffroi est le siège au premier étage des prisons, et il y en a trois : une prison criminelle, la prison de police et une prison civile. Divers plans ultérieurs semblent nous indiquer (en tout cas après sa reconstruction) qu'il s'agit de trois pièces différentes situées au 1er étage.
Ces prisons ont logé toute "sorte de gens"… Des personnes saoules, associables ou agressives perturbant la vie de la cité, des voleurs, des insoumis, des personnes endettées, des prisonniers "politiques" ou "religieux", des criminels promis à l'exécution capitale et même des femmes "de mauvaise vie".
Mais certains se sont évadés, les murs n'étaient pas assez "étanches" et parfois le geôlier était absent !
C'est au rez de chaussée que la cour royale dirigée par le juge rendait ses sentences.

A son de trompe et par billets …
Au rez de chaussée, assemblés en conseil général politique "à son de trompe et par billets", l'assemblée consulaire formée de 24 personnes (à certaines périodes - parfois cela a changé ainsi que pour le nombre de consuls) décidait de la politique de la ville. Quatre consuls dirigeaient cette assemblée en habit noir et rouge, aidés d'un syndic, d'un juge, d'un greffier et secrétaire…On se réunissait souvent, parfois toutes les semaines.

Des impôts aux corps de garde …
Toutes les décisions concernant les impôts étaient prises dans la salle consulaire par "l'Assemblée ou le Conseil Politique" (après validation de Monsieur l'Intendant), des "départeurs"(7) sont nommés "pour les levures"…. Que de choses à dire sur ce Beffroi ; sur la halle avec son piloris, son corps de garde armé, sa boucherie, son écorchoir, ses mesures publiques, ses traces anciennes archéologiques permettant d'écrire des "morceaux d'histoire", ses "rues couvertes" (Las Garlandos).

Les mesures à grains ...

mesure à grains
Les mesures à grains ...

Et aujourd'hui …
Le Beffroi est le siège de l'Office de Tourisme de Revel, et représente aussi le Syndicat Intercommunal du Tourisme. La région est classée "Grand  Site Midi Pyrénées" avec comme thématique "Aux sources du Canal du Midi". Divers autres labels désignent Revel comme une ville à visiter en priorité. Son urbanisme en fait une des plus belles bastides du Grand Sud-Ouest(8)…
Sous la halle, les mesures à grain sont présentées, aux étages on peut visiter un espace illustrant l'histoire de la région, découvrir une collection archéologique, géologique et paléontologique…
La terrasse permet de surplomber la ville, de découvrir l'environnement varié de son relief de plaine, de montagne, de collines.
Quatre tables d'orientation historique permettent de découvrir le passé riche et mouvementé de son histoire locale qui se confond et se mêle avec la grande histoire de la France.
Enfin, il faut s'attarder à observer, déceler les indices, les marques laissées par nos "grands anciens" sous la halle, sous les galeries… Une multitude de détails existent. Déchiffrer aussi les modifications de façades autour de la place, leur architecture, leur histoire(9).
Il faut ne pas hésiter à se mêler à la foule du samedi matin qui fait son marché, un des plus beaux marchés de France. S'enivrer des couleurs, des bruits, de l'accent "patois… occitan" qui survole cette foule. Et surtout... surtout, voir et goûter la qualité des produits venant du terroir, de ce terroir qui est le véritable cœur du pays cathare…

Jean-Paul Calvet
Président de la Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol

Crédit photos : Société d'Histoire de Revel

A paraître …
La Société d'Histoire va publier d'ici peu de temps une monographie de plus de 150 pages sur ce monument revélois, ainsi que sur l'histoire des marchés… Elle vous en apprendra beaucoup plus, largement illustrée par une abondante iconographie !
Le Beffroi de Revel et son marché… Collection Lauragais-Patrimoine. Parution fin 2013.


1. Pal : poteau en bois planté verticalement marquant symboliquement la possession des terres pour la construction des bastides (celle de Revel est une fondation "ex nihilo", c'est-à-dire "sur rien"… dans la forêt de Vauré). Le poteau était aussi le point d'origine d'où partaient toutes les direction de rues.
2. Espace qui désigne un ensemble de maisons délimité par les quatre portions de rues qui l'entourent : un quartier donc de la ville.
3. "Le tour de ville" sera créé à la fin du XVIIIème siècle.
4. Dans l'antiquité, la basilique (civile) se situait sur le forum, souvent au centre de la cité et avait des fonctions administratives et juridiques, c'était aussi originellement (à l'époque grecque puis romaine) un lieu de réunion civil ouvert au public, un bâtiment couvert. Dans l'antiquité grecque l'expression complète est "basilika oikia" qui signifie "salle royale".
5. Ce qui n'est pas systématique, à Réalmont par exemple l'église est bien au centre de la bastide.
6. Voir les documents ci joints. La structure était en pan de bois à plusieurs niveaux. Plusieurs toits étaient surmontés d'un campanile…
7. Départeurs : personnes rétribuées pour effectuer la levée des impôts (les "levures").
8. Sa place est une des plus spacieuses, de plus étant une bastide de dernière génération, elle est une bastide modèle, elle présente la typologie parfaite des bastides.
9. Nous ne pouvons qu'espérer que rapidement soit mis en place à Revel le parcours historique qui a été proposé par la Société d'Histoire.

 


Couleur Lauragais n°154 - Juillet/Août 2013