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Couleur Lauragais : les journaux

Joseph Claret, de l'âtre à la forge

L'ancien atelier de Joseph Claret résonne encore des coups de masse donnés par ses aïeuls, il faut dire qu'il appartient à la 12ème génération de forgerons dans sa famille. C'est dire si ce métier aujourd'hui oublié fait pour toujours partie de lui-même. Son histoire témoigne d'un monde en évolution et de la disparition d'un métier physiquement éprouvant, requérant une grande habileté. Au-delà des mots, on comprend que Joseph, qui fêtera cette année ses 80 printemps, demeure attaché à une époque où les savoir-faire se transmettaient encore de père en fils. Depuis, l'artisan a gardé dans son esprit le souvenir d'un métier vivant et entre ses mains le goût de faire.

Joseph Claret a intégré l'atelier familial
après l'obtention de son certificat d'études.
C'est son père qui lui transmettra année après année
ses savoir-faire de forgeron et de maréchal-ferrant
avant de lui laisser sa place à la tête de l'entreprise artisanale. crédit photo : Couleur Média

Joseph Claret a intégré l’atelier familial après l’obtention de son certificat d’études. C’est son père qui lui transmettra année après année ses savoir-faire de forgeron et de maréchal-ferrant avant de lui laisser sa place à la tête de l’entreprise artisanale.

Dans le giron familial
En 1946, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, on se souciait peu de savoir ce que l'on voulait faire dans la vie et pour bon nombre de jeunes gens, le destin était tout tracé. Ce fut le cas de Joseph Claret. Issu d'une famille de cinq enfants composée de quatre garçons et d'une fille, il grandit à Caragoudes. Ses cahiers d'écolier ne lui laissent pas les meilleurs souvenirs et très jeune, il entrevoit qu'il quittera bientôt les bancs de l'école communale pour exercer un métier manuel. Son père ne lui ayant pas demandé dans quelle direction il souhaitait aller et lui ne s'étant pas même posé la question, Joseph, l'aîné des garçons, se retrouve dans l'atelier familial au lendemain de l'obtention de son certificat d'études. Cet univers lui est familier et l'intéresse, "bon sang ne saurait mentir" est-il bon de rajouter au vu des nombreux forgerons qui l'ont précédé auprès de la forge familiale. Son oncle, prêtre de la paroisse, a découvert après consultation des archives municipales que sa famille serait installée à Cara-goudes depuis la Renaissance. Le premier d'entre eux, conseiller du Roi, devait, depuis lors, engendrer une belle et grande lignée de forgerons : les forgerons de Cara-goudes.

Un apprentissage sous haute surveillance
Pour faire ses armes, Joseph peut compter sur l'expérience de son père. En quelques années, ce dernier lui transmet ses savoir-faire. Les aspects théoriques sont enseignés dans la pratique et lorsqu'un ouvrage pose problème, on se réunit pour débattre ensemble des solutions techniques à apporter. Pour favoriser une ouverture et permettre à Joseph de découvrir d'autres environnements, son père l'invite à fréquenter un autre atelier, celui du village voisin. "Il s'agissait de voir ailleurs ce qui pouvait se pratiquer en faisant, lorsque cela s'avérait judicieux, évoluer ses propres savoir-faire", comme le souligne Joseph Claret. A la fin des années 40, l'apprentissage se passe dans des conditions bien différentes de celles d'aujourd'hui. Outre les enseignements théoriques qui sont désormais dispensés en établissement scolaire, la transmission se fait souvent d'une génération à l'autre. Et lorsque le volume d'activité le nécessite, c'est toute la fratrie qui se trouve au fil des ans rassemblée dans l'atelier familial. Ainsi, la sœur et les frères de Joseph le rejoignent rapidement. La première prend en charge les aspects administratifs et comptables de l'activité alors que les garçons se forment à leur tour au métier de la forge. Lorsqu'on aborde les rapports que tous entretenaient avec leur père dans le cadre de l'apprentissage du métier de forgeron, Joseph se montre pour le moins laconique : "A cette époque, partout la figure paternelle s'imposait, les enfants n'avaient pas d'autre choix que d'obéir". Quel-ques années plus tard, lorsque l'activité supportera les conséquences des profondes mutations intervenues dans le monde paysan, deux de ses frères finiront par quitter l'atelier pour trouver un emploi à l'extérieur. Alors que le premier est embauché par la mairie de Toulouse, le second entre aux PTT.

Pièces d'usures et outils agricoles
La grande majorité de la production de l'atelier de Joseph était destinée aux agriculteurs. Il s'agissait de fabriquer des charrues ou des pièces d'usure destinées aux équipements agricoles (faucheuses, charrues…). Les charrues pouvaient être fabriquées sur commande à partir d'une pièce en fonte achetée toute prête. Il fallait environ deux jours à Joseph pour venir à bout de la commande. La plupart de son temps était cependant dédié à leur réparation et au remplacement des pièces d'usure : soc, carrelet, coutres (voir ci-après). Pour les paysans alentour, ces besoins étaient constants et intervenaient au moins une fois par an, parfois sur trois ou quatre machines agricoles. En raison du volume d'activité, chaque commune eut longtemps son forgeron avant qu'il ne soit obligé d'étendre sa zone de chalandise jusqu'à l'échelon cantonal. Joseph Claret comptait également parmi ses clients un charron qui le sollicitait dans le cadre de la fabrication de ferrements des roues des charrettes. Pour ce qui est de la matière première, Joseph se fournissait chaque année auprès d'un marchand de fer installé à Toulouse en acquérant 4 à 5 tonnes de métal. Pour réaliser ses ouvrages, il s'équipait de plaques de fers de différentes largeurs destinées à être façonnées pour répondre aux divers besoins de ses clients.

Au rythme des travaux agricoles
Compte tenu de la spécificité de son activité, la vie de Joseph Claret était intrinsèquement liée à celle de ses clients agriculteurs. A partir du mois d'avril, l'atelier familial ne désemplissait pas et les agriculteurs affluaient pour se faire dépanner et se consacrer au travail de la terre. Pendant l'hiver, en amont des labours et des semis, Joseph profitait de l'accalmie pour constituer un stock de pièces d'usure. De fait, l'atelier fonctionnait toute l'année. Cependant, c'est l'été, pendant les moissons, que l'activité battait son plein : chaque journée de travail débutait alors à 6 heures jusqu'à la nuit, entrecoupée d'une courte pause déjeuner…

Joseph, maréchal-ferrant
A Caragoudes comme dans de nombreux villages alentour, le forgeron endossait également la casquette de maréchal-ferrant en réparant les fers des chevaux de trait ou des boeufs. De cette activité, l'ancien forgeron garde un souvenir en demi-teinte. Cette corvée se passait généralement le lundi matin, à 4 heures plus exactement, afin d'éviter les grosses chaleurs et les mouches qui pouvaient perturber ce travail fastidieux en faisant gigoter les bêtes. En conséquence, Joseph se souvient des avertissements de son père le dimanche après-midi peu avant son départ pour le bal … Pour le jeune homme qu'il était, c'était parfois difficile d'être raisonnable et de penser à la journée de travail qui l'attendait le lendemain. Pourtant il écourtait parfois la sortie dominicale et se levait après quelques heures de sommeil seulement pour pouvoir ferrer quatre à cinq paires de bœufs avant midi !

Antoine Claret, le père de Joseph, également maréchal-ferrant, ferre un bœuf aux côtés de son propriétaire. Cette photo d’archive démontre à quel point cette activité était délicate : les bêtes étaient attachées et sanglées pour éviter qu’elles ne se couchent par terre.
Antoine Claret, le père de Joseph, également maréchal-ferrant, ferre un bœuf aux côtés de son propriétaire.
Cette photo d'archive démontre à quel point cette activité était délicate : les bêtes étaient attachées et sanglées
pour éviter qu'elles ne se couchent par terre. Crédit photo : collection Joseph Claret

Un travail minutieux et physique
Le métier de forgeron requiert une connaissance parfaite du métal, beaucoup d'endurance et de dextérité. Par exemple, lorsque Joseph prêtait main forte au charron pour fabriquer des roues de charrette, il se livrait à un exercice d'une incroyable précision. D'abord il utilisait une machine pour cintrer la barre de métal, la soudait à la forge, et intégrait le cercle, d'une circonférence légèrement inférieure, à la roue de bois. Arrosé d'eau afin de ne pas brûler la structure, le cercle de fer se rétractait et cernait la roue de bois.
En dépit de l'intérêt qu'il lui a toujours porté, Joseph n'hésite pas à qualifier son métier de difficile. En premier lieu, même pendant l'été et les plus chaudes journées de l'année, le forgeron demeurait près de sa forge, un feu ardent qui ne cessait d'être alimenté et de se consumer. Ensuite, toute la journée, il frappait le métal avec une masse de 2 kg. Il faut enfin rappeler qu'à cette époque, les conditions de sécurité étaient pour le moins rudimentaires. Même s'il était conseillé au forgeron de s'équiper au minimum de lunettes de protection, Joseph avait l'habitude de travailler sans. En conséquence, son médecin comparera un jour ses yeux à "un véritable champ de mines !". A l'époque il n'était pas non plus question de gants ni de chaussures de sécurité et Joseph se félicite donc de n'avoir eu à déplorer aucun accident grave hormis quelques coups de marteau sur les doigts et de fréquentes brûlures. Son père eut moins de chance : alors qu'il manipule l'outil, un bout de meule émeri tournant à plus de 2000 tours vient se loger dans son front. Joseph ironise sur le sort du miraculé : "C'est le métier qui rentre !". Ces conditions difficiles, Joseph les a acceptées de bonne grâce, pourtant, lorsque les agriculteurs commencèrent à vendre leur paire de bœufs pour acquérir leur premier tracteur, il se lança volontiers dans la mécanique. Dans les années 70, alors que chacun est désormais mécanisé, la forge de Cara-goudes s'éteint définitivement.

Outils et autres marottes du forgeron

La forge - C'est le four que le forgeron alimente au charbon et qui lui sert à chauffer le métal avant de le travailler.

Le soufflet - Pour alimenter le foyer, le forgeron se sert d'un gros soufflet actionné par une chaîne en tirant sur un levier. L'air arrive par une tuyère en fonte.

L'enclume - Cet outil traditionnel pesant environ 100 kg se présentait sous la forme d'un bloc de surface plate et pointue sur lequel l'artisan plaçait les morceaux de métal chauds pour les marteler et les façonner.

La masse - C'est l'outil qui permet de façonner le métal en le frappant contre l'enclume.

Le fer - Il est chauffé dans la forge et tenu par le forgeron. Joseph en utilisait 4 à 5 tonnes par an. Pour réaliser ses ouvrages, il réalise de grosses soudures à l'aide de fer porté à la limite de la température de la fonte du métal.

Soc - Cette pièce en forme de trapèze est dotée d'un côté plus long composée d'une arête tranchante qui coupe la terre horizontalement.

Carrelet - Plat et coupant, il complétait parfois le soc à son extrémité.

Coutre - Cette pièce travaillante de la charrue découpe verticalement la bande de terre que retourne ensuite le versoir.

Cintrage - L'opération consiste à donner une forme courbe aux pièces de fer.

Les tenailles de forge permettaient à l’artisan de saisir les pièces métalliques rougies dans l’âtre. De longs manches destinés à le préserver de la chaleur émise par la pièce autorisaient davantage de dextérité.

L’enclume du forgeron pouvait peser jusqu’à 400 kg. Elle permettait de mettre en forme tous types de pièces métalliques.
L'enclume du forgeron pouvait peser jusqu'à
400 kg. Elle permettait de mettre en forme
tous types de pièces métalliques.

Le marteau était l’un des outils du forgeron servant à façonner la pièce. Son utilisation nécessitait force physique et précision. Le bruit occasionné par le façonnage et la chaleur de l’âtre créaient des conditions de travail difficiles.
Le marteau était l'un des outils du forgeron servant à façonner la pièce. Son utilisation nécessitait force physique et précision. Le bruit occasionné par le façonnage et la chaleur de l'âtre créaient des conditions de travail difficiles.


Les tenailles de forge permettaient à l'artisan de saisir les pièces métalliques rougies dans l'âtre. De longs manches destinés à le préserver de la chaleur émise par la pièce autorisaient davantage de dextérité.

Crédit photos : Couleur Média

La ferronnerie : une diversification évidente
Comme de nombreux forgerons, Joseph Claret a également réalisé des ouvrages de ferronnerie. Il s'a-gissait majoritairement de portails pour les particuliers ou les communes. La réalisation d'un grand portail nécessitait environ quatre jours de travail. Généralement, ses clients lui fournissaient les motifs à réaliser, ce travail revêtait une dimension plus artistique qui n'était pas pour déplaire à Joseph …

Depuis qu'il a pris sa retraite, Joseph Claret pense souvent au bruit de la forge et à l'ambiance de l'atelier familial. Plus que tout, c'est le bonheur de travailler avec les mains qui semble lui manquer. Dans leurs paumes s'inscrit un passé révolu où chaque ridule raconte une nouvelle moisson et les heures de labeur partagées avec les paysans, qui n'étaient autres que des voisins, et bien souvent des amis.

Saint Eloi : le patron des forgerons

Le métier de forgeron est apparu très tôt dans l'histoire de l'humanité. Plus tard, ses savoir-faire en matière d'épées et d'armes de toutes sortes en ont fait un maillon indispensable de la société médiévale.

Le patron des forgerons, Saint-Eloi, naquit au VIème siècle et reprit la forge de son père avant de s'orienter vers le métier d'orfèvre. A la demande du roi Clothaire II, il réalisa un trône d'or incrusté de pierreries avant de devenir son conseiller, puis, à sa mort, celui de Dagobert. A la disparition de ce dernier, Eloi rentra dans les ordres et fut nommé évêque. Il est à l'origine de la construction de nombreuses églises et d'une ferveur sans faille. Le patron des forgerons se fête le 1er décembre.

Isabelle Barèges

Couleur Lauragais n°143 - Juin 2012