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Couleur Lauragais : les journaux

Gastronomie

Lo Milhàs

Lorsque j'étais enfant, la vie à côté de ma grand'mère était toute magnifiée de rites… Il fallait voir la préparation du milhas ! un événement !

 

Le mot "Millas" vient de millet, graine utilisée avant que
ne lui succède le maïs venu d'Amérique. En occitan,
le maïs prend souvent le nom du millet : milh,
d'où le milhas ou milhade.

Le mot "Millas" vient de millet, graine utilisée avant que ne lui succède le maïs venu d'Amérique. En occitan, le maïs prend souvent le nom du millet : milh, d'où le milhas ou milhade.

La préparation du milhas - D'abord, le grand feu (le feu de bois est toujours présent dans mon passé). Je préparais le tas de bûches à gauche de la vaste cheminée pendant que Mémé suspendait à la crémaillère (lo cremalh) "l'ola" noire et ventrue aux trois quarts remplie d'eau. Il fallait aussi le long bâton de bois (lo culhièr) renflé au bout comme un gourdin, les deux tuiles canal avec, par dessus, la "sache" pour protéger les genoux de l'ardeur des flammes. Grand'mère s'asseyait sur "la cadièra bassa" avec près d'elle la corbeille de farine de maïs un peu rugueux que j'aimais faire glisser entre mes doigts. J'aurais bien voulu jeter ma poignée dans l'eau bouillante mais pas question !
"Mé farias dé grumèls !" disait mémé. Et je n'étais pas loin de croire au pouvoir magique de ses mains pour que la farine fonde lentement en pâte onctueuse et lisse au lieu de s'agglutiner en grumeaux mal cuits que moi, j'aurais immanquablement provoqués.
Assise au coin du feu, les joues brûlantes, je regardais le miracle s'accomplir : la cuillère de bois tournait, rapide, sûre, emportant la farine dans un tourbillon d'eau bouillante. Bientôt la pâte soufflait et crevait en minuscules volcans. Je ne sais encore à quels signes mystérieux Mémé reconnaissait que le milhas était cuit.
"Bà plà : fà la crosta !". Maman l'aidait alors à décrocher "l'ola". Sur la table attendait la claie d'osier, ronde, grande comme une roue de charrette et recouverte d'une épaisse serviette blanche. La bouillie fumante coulait comme une lave.

La tuile et l'ola, deux éléments jadis essentiels à la préparation du milhas
La tuile et l'ola, deux éléments jadis essentiels à la préparation du milhas.

A déguster salé ou sucré - Pour moi, c'était alors la récompense : je prenais une cuillère et je raclais cette délicieuse croûte dorée qui tapissait "l'ola". Ensuite on se régalait avec le milhas frais encore mou que l'on mangeait mélangé avec du vin et du sucre (en vidant "l'ola" on remplissait d'abord une assiette pour chacun).
Puis, la grande claie était suspendue aux poutres du plafond noircies par la fumée et toute la semaine on pouvait manger du milhas : on le coupait en tranches épaisses qu'on faisait griller sur la braise. La peau devenait craquante et dorée alors que l'intérieur restait moelleux et fondant. Le milhas remplaçait le pain avec la daube mijotée dans "lo topin" de terre cuite, le civet de lapin ou un œuf au plat sur un "tindèla" accompagné de "tomata" (sauce tomate cuite avec des légumes et des herbes aromatiques, puis tamisée et conservée dans des bouteilles de bière ou de limonade qui maintenant n'existent plus). Mais le grand délice c'était le milhas coupé en tranches plus fines, dorées à la poêle dans un peu d'huile ou de graisse d'oie ou de canard, et saupoudrées de sucre qu'on laissait un peu caraméliser. Avec de la confiture ou du miel, le milhas était aussi un excellent dessert.

Après la mort de ma grand'mère, Maman continua à confectionner du milhas mais en plus petites quantités et les rites eux aussi se sont éteints. La cuisinière à charbon puis le fourneau à gaz supplantèrent le feu de bois, la casserole remplaça "l'ola" mystérieuse (plus de croûte !) et la plus moderne des spatules de bois relégua au grenier le bâton magique.
Chaque fois que je mange du milhas (acheté au marché !), ces vieux souvenirs ressurgissent du lointain de mon enfance tout comme beaucoup d'entre vous les ont sans doute connus.

Ginette Fournès
Vauré

Crédit photos : René Chazottes

Couleur Lauragais n°137 - Novembre 2011