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Couleur Lauragais : les journaux

Reportage

Agriculture lauragaise et métallurgie
Hangar de métairie
Hangar de métairie.

Si au cours des siècles l'amélioration des techniques d'exploitation agricole en Lauragais a conduit à l'augmentation des rendements et au développement spectaculaire de l'agriculture, les avancées technologiques et métallurgiques ont fourni les moyens nécessaires à cette évolution avec l'arrivée de nouveaux matériels toujours plus puissants. Le Lauragais tire sa richesse exceptionnelle de son agriculture fondée au fil des ans sur le froment, le pastel et le maïs ; sorgho et oléagineux (tournesol, colza, soja) y poussent aussi à merveille.
La fertilité de ses sols, terreforts et boulbènes, liée à des conditions climatiques relativement favorables, même si le vent et la sécheresse estivale y sont parfois dévastateur, font du Lauragais une riche région agricole. De nos jours grands barrages et lacs collinaires se sont multipliés dans la Montagne Noire et dans la piège pour l'irrigation et les besoins domestiques ou industriels.

Des techniques en perpétuelle évolution
L'agriculture lauragaise, comme partout dans le monde, s'est adaptée à l'évolution des techniques. Les plus anciens se souviennent encore de la spectaculaire révolution des années 1950, un bouleversement technique et social qui a to-talement transformé le Lau-ragais.
Le vieux système agraire fondé sur l'énergie animale et humaine a disparu : mécanisation totale, des tracteurs toujours plus puissants, des charrues à 4 socs (beaucoup plus actuellement), des moissonneuses batteuses... Avec la sélection des semences, l'apparition de nouvelles variétés, les engrais artificiels, les fongicides et herbicides, les rendements ont explosé. Par endroits, l'irrigation a permis de se libérer de la sécheresse estivale. Les énormes coopératives de commercialisation (Baziège, Auterive, Castelnaudary) exportent à travers le monde.
Les paysages parcellaires du vieux Lauragais sont eux-mêmes bouleversés par le remembrement pour faciliter la mise en valeur des terres ; haies, talus, fossés disparaissent. Les grands hangars des anciennes métairies pour abriter gerbes avant dépiquage, paille ou foin, les rouleaux en pierre abandonnés au coin d'un champ, les vieilles halles au blé des bourgs, certaines encore avec leurs mesures en pierre, gardent le souvenir des temps anciens.

Des changements qui ne se sont pas faits sans heurt
Les faucheurs, les dailhaires de métier, se sont opposés à l'arrivée des premières faucheuses, développées après la révolution industrielle au milieu du XIXème siècle, par crainte d'être réduits au chômage. Les manifestants allaient jusqu'à planter des cabilhas (chevilles, barres de fer) dans les champs à moissonner pour empêcher l'utilisation de ce nouveau matériel, du côté de Villemagne. Avant l'arrivée des faucheuses mécaniques, les moissons s'effectuaient au son des faucilles et des faux, opération exigeant un art confirmé que chacun était fier de maîtriser…Un travail long, dur et pénible, surtout sous la canicule, qui exigeait un savoir-faire, pour lier les gerbes puis les charger sur la charrette de manière à éviter la verse.

Le battage au fléau et le dépiquage par piétinement des animaux (egatada) étaient aussi des opérations très coûteuses en temps et en main d'œuvre. L'utilisation en Lauragais des rouleaux en pierre pour dépiquer s'est développée vers le milieu de XIXème siècle ; un rapport incitatif établi en 1832 par la Société d'agriculture de Carcassonne indique que l'utilisation des rouleaux permettra de diminuer les frais de dépiquage par deux. Des rouleaux de dépiquage en bois, de différentes sortes étaient connus depuis l'antiquité ; trop légers et inefficaces, on leur préférait l'egatada, avant l'arrivée des rouleaux en pierre.

Rouleaux de dépiquage en pierre (fin XIXe, début XXe siècle)
Rouleaux de dépiquage en pierre (fin XIXe, début XXe siècle)

Besoins technologiques locaux
Ainsi l'histoire de l'agriculture lauragaise, comme celle de toutes les autres agricultures du monde, est étroitement liée à celle des techniques. Si à l'heure actuelle, le phénomène de mondialisation, avec l'explosion des moyens de transmission du savoir et de transport, facilite les échanges de toutes sortes, il n'en était pas de même il y a quelques siècles où le développement était essentiellement tributaire des ressources technologiques et matérielles locales. Comment l'agriculture du Lauragais relativement isolé avant la construction du Canal du Midi à la fin au XVIIème siècle puis l'arrivée du chemin de fer deux ans après, s'est-elle développée dans le contexte local de l'époque ?

Il est bien connu que l'agriculture doit beaucoup à la découverte des métaux, pour préparer la terre et effectuer les récoltes. Très résistants mécaniquement et malléables (faciles à mettre en forme par martelage), les métaux sont employés depuis plusieurs millénaires dans divers domaines (parures, armes, agriculture...). Les premiers métaux utilisés sont ceux qui se trouvent à l'état naturel, c'est à dire l'or, les métaux précieux et le cuivre. Avec le bronze, anciennement appelé airain, commence la métallurgie des alliages de cuivre, d'étain et de zinc ; il y a plus de 2500 ans, le Lauragais était sur la route de l'étain en provenance des Cornouailles (sud de l'Angleterre). Pour avoir un métal réellement résistant pour la fabrication d'outils bien adaptés aux lourds travaux agraires, il faudra attendre le fer et l'acier.
Dans le sud de la France, la diffusion du fer a eu lieu il y a plus de 2500 ans avec notamment la colonisations phénicienne, grecque puis celtique.
 
Des bas fourneaux aux portes du Lauragais pour produire le fer dès l'époque gallo-romaine Le fer est produit très tôt aux portes du Lauragais, dans la Montagne Noire, ainsi que dans les Pyrénées audoises, ariégeoises et catalanes et dans les Corbières, grâce à la présence de minerai d'excellente qualité et de bois pour fabriquer le charbon de bois.
Une vingtaine de sites métallurgiques de l'époque gallo-romaine ont été recensés dans la Montagne Noire, notamment au domaine des Forges aux Martys non loin de Saissac où des restes de plusieurs bas fourneaux ont été mis à jour, dans les années 1990 ; ces sites ont fonctionné dès le 1er siècle avant notre ère et pendant trois ou quatre siècles. Dans ces sites métallurgiques, l'activité a été extrêmement intense car le volume des ferriers (amas de scories) y est considérable, plusieurs milliers de mètres cubes pour certains.

Dans les bas fourneaux de l'époque, le fer était obtenu par une technique archaïque dite de réduction directe du minerai, détrônée au XIXème siècle par la techniques des hauts fourneaux. Le charbon de bois, fabriqué sur place à partir des forêts ancestrales, servait à la fois d'agent calorifique et d'agent réducteur. La température ne dépassant guère 1200 degrés, le fer était obtenu à l'état solide (température de fusion du fer 1536°C), sous la forme d'une éponge de quelques kilogrammes, qu'il fallait purifier par une série de martelages et de chauffages.
Le résultat était un fer doux, assez pur, peu carburé et donc très malléable et facile à mettre en forme. Ce fer pouvait être durci par introduction de carbone (chauffage dans un tas incandescent de charbon de bois) puis trempe (refroidissement rapide dans de l'eau...).

Des forgerons en Lauragais
Les forgerons des agglomérations gallo-romaines de la voie d'Aquitaine et notamment d'Eburomagus (Bram) de Sostomagus (Castelnaudary) et d'Elusiodunum (Naurouze, Montferrand) qui maîtrisaient toutes ces techniques métallurgiques et excellaient dans le travail du fer, étaient particulièrement actifs comme le montrent les recherches archéologiques.
Cette industrie locale n'a pu que profiter à l'agriculture au moment de la mise en valeur des terres du Lauragais, qui avait besoin de haches pour déboiser, de bêches et de houes pour labourer le sol ainsi que d'araires ferrées tirées par des hommes ou des animaux et de faucilles pour récolter. La faux connue depuis plus de deux mille ans, manipulée à deux mains avec sa grande lame, a un rendement bien plus élevé que celui de la faucille ; sa fabrication exigeant une bonne maîtrise du travail du fer, la faux restera chère et peu répandue jusque vers l'an mil.

Le plus souvent en bois, l'araire est composé de trois parties essentielles : - le mancheron, tenu par la main de l'homme, permet de guider l'araire. - le sep (souvent appelé dental), pièce centrale qui entre en contact avec la terre, ouverte par la reille qui y est fixée. - l'age, pièce généralement recourbée, relie l'araire au brancard ou au joug auquel sont attelées les bêtes de trait.
Le plus souvent en bois, l'araire est composé de trois parties essentielles :
- le mancheron, tenu par la main de l'homme, permet de guider l'araire.
- le sep (souvent appelé dental), pièce centrale qui entre en contact avec la terre, ouverte par la reille qui y est fixée.
- l'age, pièce généralement recourbée, relie l'araire au brancard ou au joug auquel sont attelées les bêtes de trait.

Ainsi, dès l'époque romaine les ateliers du Lauragais pour le travail du fer, métal indispensable pour le développement de l'économie régionale et notamment de l'agriculture, ont pu être approvisionnés par du fer provenant des bas fourneaux implantés à ses portes dans les régions boisées, à proximité des gisements miniers.

L'épanouissement de l'industrie du fer permit la fabrication de charrues
L'araire, utilisée depuis l'antiquité pour ameublir le sol et recouvrir les semences, subira au fil des ans des perfectionnements et sera beaucoup utilisée, jusqu'à une époque récente. Les agriculteurs fabriquaient souvent eux-mêmes leurs araires, les trouvant ainsi beaucoup plus à leur main, ce qui leur prenait tout au plus 4 à 5 heures de travail. Le forgeron du village confectionnait les lames de fer à la demande (soc ou ralhe). Cependant l'araire effectuant un travail peu profond et rejetant sur les deux côtés de la raie la terre déplacée et émiettée par le soc, ne permet pas d'effectuer un véritable labour : elle ne retourne pas la terre, elle effectue un labour à plat.

Ralha (soc) d'araire
Ralha (soc) d'araire

Les charrues de tous types parfaitement connues dès le début de notre ère, resteront peu répandues car coûteuses jusqu'au IXème siècle, date où apparaissent aussi, grâce au fer qui devient abondant, la herse pour débarrasser le sol des grosses mottes. La charrue exige aussi des animaux plus vigoureux pour la tracter. Pour l'agriculture, commence alors une autre époque, celle de la culture attelée lourde. Le développement de cette culture est à la base de la révolution agricole du Moyen âge du XIème au XIIIème siècle qui a porté l'économie rurale de l'occident au seuil des temps modernes.

Révolution agricole, artisanale et industrielle du Moyen-Âge
Révolution agricole, révolution artisanale et industrielle sont étroitement liées. Dans chaque village, il fallait désormais un charron pour façonner et pour entretenir les charrettes, chariots, charrues herses et jougs ; il fallait aussi un forgeron pour fabriquer socs, coutres et autres outils en fer et pour ferrer les animaux de trait ; sans compter les bourreliers fabricants de colliers et de harnais, les maçons et les charpentiers bâtisseurs de granges et de greniers. En Lauragais, comme partout ailleurs, cette révolution agricole du Moyen-Âge s'est accompagnée d'un forte demande en fer. Pour y répondre, l'industrie métallurgique s'est modernisée et devient une industrie de pointe.

Pour augmenter la taille des bas fourneaux et ainsi leur productivité, la force motrice de l'eau est mise en œuvre pour actionner au XIIème siècle de lourds marteaux de forgeage (martinets), puis les soufflets de forge au XIVème siècle. Le rôle des religieux, notamment des moines cisterciens fortement impliqués dans l'organisation du patrimoine métallurgique, n'est pas négligeable dans la diffusion de ces nouveaux principes métallurgiques. Grâce aux performances des martinets, la possibilité de fournir des pièces de plus grande dimension et de façonner des tôles en grande quantité augmenta considérablement : faux, charrues, herses et autres instruments agraires se répandirent rapidement.

Au XVIIème siècle l'invention de la trompe à eau, dite trompe des Pyrénées, pour insuffler l'air au cœur des bas fourneaux avec toujours plus de force, portera au plus haut niveau l'industrie métallurgique ; jusqu'au milieu du XIXème siècle, ces forges dites à la Catalane se développeront compte tenu de leurs excellents rendements de production : 1 tonne de charge constituée de 487 kg de minerai donnait 150 kg de fer, un véritable record à l'époque.

Production de fer de la Montagne Noire
L'ensemble minier du Calel en face du castrum de Berniquaut (Sorèze), dont le sous-sol a été méthodiquement fouillé par ceux qui recherchaient le précieux minerai de fer, permet de se faire une idée de l'intense activité métallurgique qui régnait dans la Montagne Noire au Moyen Age. Les mineurs de l'époque médiévale, suivant les filons de minerai de fer au fur et à mesure de leur exploitation, ont été conduits à descendre peu à peu dans les grottes ; la grotte du Calel a livré en particulier de nombreuses traces de cette activité minière.

Béal d'amenée d'eau à la forge
Béal d'amenée d'eau à la forge
Tête de martinet
Tête de martinet

Chemin d'accès à la forge, pavé
Chemin d'accès à la forge, pavé

Dans la Montagne Noire, cette activité métallurgique pour la production de fer a perduré jusqu'au XIXème siècle sur la base des bas fourneaux antiques modernisés. Ainsi, vers la fin du XVIIIème siècle, sur l'emplacement d'une ancienne forge, s'installa à Montolieu une "forge moderne à la catalane" avec sa soufflerie hydraulique (trompe de Pyrénées) et un martinet. Le minerai venait du Vicdessos et des corbières (Villerouge-Termenès et Lagrasse). L'usine était approvisionnée en bois de hêtre des forêts de la Loubatière, des Martys et de la vallée de l'Arnette. Une importante chaussée barrait la Dure à une trentaine de mètres, en aval du confluent des deux rivières : la Dure et le Lignon. L'établissement avait acquis une telle notoriété que le jury de l'exposition Nationale de 1806 lui décerna une médaille d'or pour ses fabrications de fer aciéré. En 1862, le coût des transports sur des chemins accidentés, les difficultés d'approvisionnement en bois et la concurrence des ateliers employant la toute nouvelle autre technique de production (hauts fourneaux) obligèrent les propriétaires à cesser ce type d'activité.

Ce fut aussi le sort de tous les autres sites métallurgiques de la région : la houille remplaça le charbon de bois et la fonte fut affinée dans des fours ou convertisseurs. La production d'acier d'excellente qualité à des prix de revient toujours plus bas subit une embellie sans précédent au profit des grands sites métallurgiques situés à proximité des mines de charbon et de minerai du nord de la France. La construction du chemin de fer qui bénéficia de cette abondante production, permit l'approvisionnement en fer des régions les plus reculées avec un faible coût de transport.

Commença alors une nouvelle ère industrielle qui vit se développer rapidement l'emploi de machines agricoles perfectionnées pour préparer le sol, semer et récolter, qui sont pour beaucoup dans la formidable augmentation des rendements agricoles.

Lucien Ariès

Bibliographie de l'auteur :
Le Lauragais, terre de passages, d'échanges et de cultures, livre (245 page), Lucien Ariès.
Clément Ader en Lauragais, terre d'essais aéronautiques, livre (380 pages) Lucien Ariès.

Crédit photos : Lucien Ariès

Couleur Lauragais n°133- Juin 2011