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Couleur Lauragais : les journaux
Reportage

Astuces d'un ébéniste

Qu'il soit nobiliaire, bourgeois ou domestique, notre mobilier fait partie de nos empreintes, transmetteur de notre culture, nos valeurs et notre identité.
Qu'il soit fabriqué par des maîtres ébénistes, compagnons ou menuisiers de village, le meuble est le reflet de l'humain, de son savoir, sa sensibilité et sa culture.
Afin de conserver notre patrimoine, il est nécessaire de l'entretenir, le conserver et le réhabiliter. Pour cela, les artisans restaurateurs de notre région sont là pour apporter leur savoir-faire. Bien des particuliers et amateurs passionnés, conscients de la valeur de leur bien y consacrent également une partie de leurs loisirs. Nous sommes inondés de revues, livres, de conseils de consultants et de recettes miracles. Etant un ancien du métier, je me propose de donner quelques trucs et astuces dans les colonnes de Couleur Lauragais.

Jean paul Carrié ébéniste d'art
Jean-Paul Carrié, ébéniste d'art et restaurateur aujourd'hui à la retraite, a hérité de son père l'amour du bel ouvrage.

Jusqu'au premier tiers du XIXe siècle, on le considère comme art mécanique. A l'apparition de la machine, il devient industriel et art mineur. Jusqu'au design qui, lui, fusionne dans le système cybernétique.
Dans notre métier, il existe une déontologie :
- L'ébéniste restaurateur se doit de connaître l'origine, les matières, la qualité, l'époque et doit s'effacer devant l'oeuvre.
- Qu'il s'agisse de restaurer ou conserver, le strict nécessaire doit être fait pour l'usage pratique du meuble.
- Pour conserver sa valeur, il ne doit pas être dénaturé.
Le restaurateur amateur doit lui aussi se référer à cette règle.

Sécurité, précautions et outils
Certains des produits qui seront indiqués sont assez dangereux. Il faut donc agir avec un minimum de bon sens et appliquer certaines précautions et quelques règles strictes. N'ayez pas peur, certains restaurateurs sont centenaires !
En règles générales, tous les produits volatiles (alcool, essence, eau oxygénée...) doivent être employés dans un local bien aéré. Ne jamais travailler au soleil, dans les courants d'air. Entreposer les produits dans un endroit fermé loin de toute flamme. Ne jamais fumer. Porter des gants en néoprène professionnels, un vêtement de travail enveloppant, des lunettes de protection et, si possible, un masque à cartouche. Ayez toujours un seau d'eau à proximité.
Afin de ne pas blesser ni détériorer le bois, les couteau à mastic, laine d'acier, débris de verre, grattoir ébrêché, nettoyeur haute pression... sont à proscrire. Il faut utiliser une brosse spéciale en laiton très fine, des tampons à récurer nylon (du même type que ceux qui trônent sur le bord de votre évier), des grattoirs de diverses grosseurs parfaitement affûtés, avec très peu de morfil, ainsi qu'une grosse brosse nylon ou chiendent.

Décirer, dévernir
Les meubles provinciaux en 'massif' étaient fabriqués à la main. Les bois étaient rabotés, ensuite râclés, passés à la prêle des marais puis à la peau de chien de mer (requin). Cette dernière n'était pas utilisée partout. Chaque région et atelier parisien avait sa variante. L'emploi des vernis s'est généralisé en province sous Louis-Philippe. Ce genre de finition se pratiquait également pour le mobilier de notre région. Il existe d'autres apprêts, en fonction des régions, qu'il serait trop long d'énumérer ici.
Il existe plusieurs façons de re-donner vie ou d'entretenir un meuble :
- Le décapage, solution extrême qui consiste à mettre le bois à nu.
- Le décirage qui se contente d'ôter la cire.
- Le nettoyage qui sert à ôter superficiellement poussière, traces de doigts...
Chacune de ces opérations sera abordée ainsi que ses avantages et ses inconvénients.
Les professionnels emploient des produits de qualité qu'ils trouvent dans les magasins spécialisés. Il existe encore quelques bonnes drogueries où le commerçant saura vous conseiller mais, en général, les produits grand public sont devenus standards et moins efficaces.

Décaper
Vérifier l'état du meuble. S'il est trop vermoulu, ne pas décaper avec de l'eau oxygénée ou de la lessive Saint-Marc mais uniquement, précautionneusement, avec un décapant en gel. En effet, le bois risquerait d'absorber l'eau et de se déliter. Si possible, enlever toutes les parties métalliques.
Pour fabriquer soi-même un décapant, on utilise en principe une base contenant ce qui a servi à fabriquer le produit. Par exemple, de l'essence de térébenthine pour ôter l'encaustique, de l'alcool à 95° éthilique ou industriel ou encore de l'acétone pour certains vernis. Les autres produits sont trop dangereux pour être manipulés.
Le principe est de faire fondre ou ramollir cire et vernis puis d'ôter par brossage ou prélèvement les couches dissoutes. Pour les sculptures et moulures, on utilise la brosse nylon et pour les surfaces le tampon à récurer. On se sert d'un racloir pour les creux et les angles.

Recette de décapant
Dans un pot en verre de 300 ml, on mélange 100 ml d'ammoniaque (alcalie) et 80 ml d'eau oxygénée (120 ou 130 volumes). On place le pot dans une casserole d'eau froide afin de ralentir la réaction chimique des deux produits dont le mélange produit ébullition et vapeurs. On applique le produit au pinceau en nylon sur une partie du meuble, sans faire de coulure. Eviter également de traiter une trop grande surface : si le produit venait à sécher avant que vous ne l'ayez enlevé, il risquerait de tacher le bois. Les effets du mélange commencent au bout de quelques minutes. On peut alors frotter avec le tampon à récurer et prélever la cire liquéfiée. On rince le grattoir dans un récipient en plastique contenant de l'eau claire puis l'on recommence à prélever, avec d'autres outils si nécessaire. Recommencer l'opération s'il reste un peu de cire. Si on souhaite éclaircir un peu plus, on peut passer de l'eau oxygénée pure ou diluée ou de l'acide oxalique.
Se protéger la peau et les yeux car ce produit est dangereux et corrosif.

Décapant pour cire et vernis
Dans un récipient de 300 ml, on mélange 100 ml d'essence de térébenthine, 80 ml d'alcool à 95° industriel et 50 ml d'acétone. On applique le mélange au pinceau ordinaire et, lorsque la cire ou le vernis se dissout, on essuie avec un chiffon grossier que l'on remplace souvent. On peut ensuite nettoyer le meuble à la térébenthine pure si l'on veut le recirer ou avec de l'alcool si l'on doit le revernir. Ces doses peuvent varier en fonction de la nature du meuble à décirer. On augmente la proportion de térébenthine si le meuble est ciré et inversement s'il est vernis. On essuie au tampon en nylon à récurer.

Nettoyage
Pour nettoyer les boiseries et les meubles peints, on délaie de la farine dans de l'eau que l'on fait bouillir pour faire disparaître les grumeaux. Une fois refroidie, cette mixture est étendue au pinceau sur les surfaces. Avant qu'elle ne soit complètement sèche, on essuie avec une éponge fine imbibée d'eau tiède. Cette opération enlève colle et impuretés et peut être répétée si nécessaire.

Commode avant traitement
Etape 1 : L'ébéniste est souvent confronté à des meubles abimés,
mal entretenus ou nécessitant d'importantes réparations.

Test décapage
Etape 2 : Avant de se lancer dans le décapage complet du meuble,
il convient de faire un test sur une partie moins visible du meuble.
Cet essai permet d'ajuster éventuellement la composition du décapant.

Commode après traitement

Etape 3 : Re-ciré ou re-vernis, cette commode et
ce buffet aveyronnais ont recouvré tout leur lustre.

Buffet aveyronnais

Coffre du XIVe siècle
Coffre du XIVe siècle, récemment décapé, en attentre de restauration

Porte Louis XIV
Porte Louis XIV : Qu'il ait pour but d'oter le vernis, la cire ou
de nettoyer le bois, le décapage doit être respectueux du meuble
et de ses décorations. Pour les pièces très ornementées ou moulurées,
le savoir-faire d'un professionnel peut s'avérer indispensable.

Ces quelques recettes ne sont qu'un aperçu des solutions dont nous disposons pour restaurer notre patrimoine mobilier. Il s'agit d'agir avec prudence et attention afin d'entretenir et conserver ces biens, témoins de notre histoire. D'autres recettes et astuces dans Couleur Lauragais seront l'occasion d'aborder d'autres aspects de l'ébénisterie et de la restauration.

Jean-Paul CARRIE

Crédit photos : Jean-Paul Carrié

 



Couleur Lauragais n°109 - Février 2009