accueil
Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

La Croisade contre les Albigeois (ou cathares) de 1209 à 1229 - La Victoire des Occitans à Baziège (1219)

Les Croisades sont des expéditions militaires dont le chef est le pape. Elles visèrent surtout la conquête de la Palestine (Terre Sainte) par des armées et des flottes venues de France, d’Italie ou d’Allemagne du 11ème au 13ème après Jésus Christ. En Eu-rope, la Reconquête de la péninsule ibérique par les catholiques sur les musulmans est considérée aussi comme une Croisade. Celle qui nous intéresse ici est dirigée contre des hérétiques (les Albigeois) qui s’étaient fortement implantés en Lauragais. Ces tragiques événements sont rappelés par une stèle qui se dresse à Montgey - Auvezines (à 10 km à l’Ouest de Revel près de la route et de l’église d’Auvezines).

Stèle à Montgey-Auzevines
Stèle à Montgey-Auzevines en mémoire de 6000 croisés -
Crédit photo : Couleur Média

Le Catharisme et le Lauragais
Le Catharisme se définit lui-même comme l’héritier direct, et le seul authentique, du message du Christ, c'est l’Eglise des Bons Chrétiens, des Bons Hommes, par opposition à l’Eglise romaine usurpatrice. Le dogme cathare a puisé ses fondements chrétiens dans l’Evangile de Jean lui donnant une interprétation dualiste, c’est à dire la lutte de deux principes créateurs distincts et opposés, le Bien et le Mal. Le nouveau Testament est le livre saint des cathares, le Pater leur prière, le Consolament, seul sacrement tient lieu à la fois d’extrême onction pour les Croyants et de sacrement d’ordination pour les Parfaits. A son apogée, l’Eglise cathare du Midi de la France est divisée en 5 diocèses : Agen, Albi, Toulouse, Carcassonne et le Razès ; à la tête de chacun d’entre eux un évêque, assisté d’un Fils majeur et d’un Fils mineur ; dans les localités importantes un diacre. Les diaconés du Lauragais sont : Lanta, Caraman, Puylaurens, Vielmur, Auriac sur Vendinelle, Saint Félix, Labécède, Montmaur, Laurac, Montréal, Fanjeaux (d’après Jean Duvernoy).
Dans les villages, un Ancien et des "Maisons". Dans un village cathare, l'Ancien est celui qui a autorité morale sur les autres habitants et qui dirige souvent une Maison. La Maison cathare, où travaillent et vivent selon la Règle quatre ou cinq Parfaits ou Parfaites, est un atelier de tissage, de couture, de peausserie, un hôpital ou une école. Tous les villages du Lauragais entre 1209 et 1240 comptent une ou plusieurs Maisons cathares : à Auriac, Avignonet, Baraigne, Belfort, Cambiac, Calmont, Caraman, les Cassès, Castelnaudary, Fanjeaux, Francarville, Gibel, Issel, Labécède, Lanta, Laurac, Mayreville, le Mas Saintes Puelles, Miraval, Montauriol, Montesquieu (10 maisons), Payra, Pexiora, Puylaurens, Roquefort de la Montagne Noire, Saint Félix, Vauré, Verdun. Nous connaissons des cimetières cathares : Puylaurens, Montesquieu, Saint Martin Lalande.

L’implantation du catharisme en Lauragais est précoce
En 1145, le voyage de Saint Bernard à Verfeil, le grand Saint Bernard, se termine mal. La passivité des autorités locales face au mouvement cathare amène le légat pontifical Henri Albéric à confier à Saint Bernard, une mission de prédication en région toulousaine. Si sa mission à Toulouse est un succés, à Verfeil les choses en allèrent autrement ; il est incapable de prêcher bien qu’il commençat dans l’église du lieu. Les grands seigneurs (cathares) sortirent et le peuple les suivit. La population de Verfeil était acquise au catharisme, vers 1145.
En 1167, un grand rassemblement a lieu à Saint Félix, près de Revel. Plus de 600 Parfaits, dont certains sont venus de fort loin, et célèbres comme Nicétas venu de Constantinople, Marc de Lombar-die, Robert d’Epernon de France, organisent l’administration du catharisme occitan par la création de quatre évêchés : Agen, Albi, Toulouse et Carcas-sonne. La sécurité de ce rassemblement était assurée par la noblesse locale, entièrement acquise à la nouvelle religion. L’apogée du Lauragais cathare se place vers 1208-1209 c’est à dire les années juste avant la Croisade : toutes les grandes familles nobles sont cathares, partout des Maisons communautaires, des diacres, des évêques.

stèle

Le Lauragais dans la tourmente : la croisade 1209-1249
Après l’assassinat du légat pontifical Pierre de Castelnau en 1208, le comte de Toulouse est rendu responsable de cette tragédie et le pape Innocent III déclenche la Croisade. L’armée catholique, recrutée dans la région parisienne, le Nord de la France, se rassemble en Bourgogne et à Lyon et se met en marche au printemps 1209. Dès l’automne, elle sera conduite par Simon de Montfort. Après le massacre de la population de Béziers ("tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens" a dit le légat Arnaud Amaury), la prise de Carcassonne (en août 1209), l’assassinat du comte de Carcassonne, les croisés marchent sur Bram. Après trois jours de siège, le castrum tombe : Montfort frappe ensuite un grand coup pour terroriser la population, il prend une centaine d’hommes parmi les prisonniers, leur fait couper les oreilles et le nez et crever les yeux, sauf à l’un d’entre eux et sous sa conduite la sinistre troupe est envoyée à Cabaret, un château resté cathare.

1211: L’année tragique
Au printemps 1211 la Croisade contre Toulouse commence par le siège de Lavaur. Un corps de Croisés allemands (5000 selon Guillaume de Tudèle) récemment arrivés à Carcassonne, cheminent vers Lavaur pour se joindre à Simon de Montfort. A Montgey (8 km à l’Ouest de Revel) ils tombent dans une embuscade tendue par le comte de Foix, Raymond Roger et des paysans du lieu : tous les renforts sont massacrés. Une stèle, restaurée récemment, rappelle ce tragique épisode, près de l’église d’Au-vezines et de la route, c’est le seul monument rappelant les atrocités de la Croisade : "ici reposent 6000 Croisés...". Après la chute de Lavaur et le bûcher, Montfort s’empare des Cassès. Les Roque-ville, seigneurs de ce château, hébergeaient de nombreux Parfaits dans leur castrum, la place capitule rapidement et on dresse un bûcher pour une soixantaine "d’amis de Dieu", 94 nous dit Guillaume de Puylaurens. Ce bûcher collectif est un des plus célèbres du Lauragais, avec ceux de Lavaur et de Labécède.
En septembre 1213, à Muret, l’armée croisée écrase les armés coalisées du comte de Toulouse Raymond VI et du roi d’Aragon, son beau frère. A 1 contre 1000, les Croisés sont vainqueurs, le roi d’Aragon tué. Simon de Montfort est proclamé comte de Toulouse en 1215 mais, à son tour, il est tué en 1218 devant les remparts de Toulouse, la ville s’étant révoltée. Son fils Amaury lui succède mais il est loin d’avoir la valeur militaire de Simon, il évacue lentement le Languedoc. En 1226, le roi de France intervient et toutes les villes se soumettent à son autorité, en 1229 au traité de Paris le comté de Toulouse est condamné à disparaître. En 1271, il est purement annexé par le roi à son domaine. Le puissant et brillant comté de Toulouse, celui des Raymond, de Raymond IV l’un des chefs de la Première Croisade en Terre Sainte (1099) et qui s’était taillé un empire; le comté de Tripoli, la terre des troubadours, a disparu de l’Histoire.

Création d'un Tribunal d'Inquisition en 1233
En 1233, le pape a créé à Toulouse le Tribunal d’Inquisition chargé de traquer les derniers Cathares qui se cachent dans le pays, dans les forêts de la Montagne Noire ou de la Piège. Les Inquisiteurs sont itinérants et en mai 1242, deux d’entre eux, Guillaume Arnaud et Etienne de Saint Tibéry, sont à Avignonet dans un château appartenant au comte de Toulouse. Ils étaient passés auparavant à Auriac, Saint Félix, Castelnaudary, Laurac, Fanjeaux puis Sorèze avec leur suite, onze personnes en tout. La veille de l’Ascension, le soir du 28 mai, une troupe (50) de chevaliers et de sergents venus de Montségur attendent la nuit, près du Mas Stes Puelles, pour pénétrer dans Avignonet et massacrer le tribunal des Inquisiteurs. L’organisateur était Raymon d’Alfaro, neveu du comte Raymond VII qui a donné son accord, le chef des cavaliers était Pierre Roger de Mirepoix, le chef militaire de Montségur. La nuit venue, la troupe pénètre dans le castrum où dorment les Inquisiteurs. La dernière porte forcée à coups de hache, c’est la ruée sauvage, aveugle, personne ne sera épargné ; on fait aussitôt main basse sur tout ce qui peut-être emporté, sans oublier les re-gistres des interrogatoires compromettants pour une foule de gens.

saint félix
Emplacement du rassemblement cathare de Saint Félix (1167) -
crédit photo : Collection Communauté de Communes Lauragais, Revel et Sorézois


Le Massacre était le signal d’un soulèvement général du Midi contre le roi de France, une puissante coalition menée par Raymond VII et avec l’alliance de l’Angleterre. Ce soulèvement a lamentablement échoué, les Anglais sont écrasés à Taillebourg (près de Poitiers), le comte de Foix fait défection et Raymond VII doit négocier la paix de Lorris (1243). Les gens descendus de Montségur avaient couché au château d’Antioche (commune de Payra sur l’Hers). Le massacre est un coup très dur porté au catharime car le roi réagit brutalement en mettant le siège (en 1243) autour de Montségur ; la citadelle cathare, jusque là inviolée, capitulera en 1244.

Le bûcher de Labécède et les derniers croyants brûlés (1308-1321)
Le catharisme n’était pas mort, quoique très affaibli. Nous le retrouvons à Verdun Lauragais (10 km au Nord de Saint Papoul) au début du 14ème siècle, au milieu des bois, tout comme le village voisin de Labécède ; ces deux villages ont conservé leur mystère médiéval. A la fin du 13ème siècle, les frères Authié provoquent vers 1300-1310, un spectaculaire sursaut du catharisme en Lauragais et fréquentent Verdun où ils séjournent souvent. Des arrestations de cathares ont lieu dans le village en octobre 1309 ainsi : Amiel de Perles dans une ferme où l’a conduit un croyant de Verdun, ou Raimond Fabre pendant qu’il frappe à la porte d’un cathare du lieu. De 1308 à 1321, parmi le 25 Croyants brûlés (24 à Toulouse, un à Pamiers) 5 sont originaires de Verdun. En 1305, l’Inquisiteur Geoffroy d’Ablis frappe durement : toute la population de Verdun est déportée à Carcassonne. Les suspects d’hérésie étaient certainement très nombreux, 5 finiront sur le bûcher. Ce catharisme était mort, les derniers bûchers auront lieu en 1329.

La revanche des occitans (1219), la victoire de Baziège
Dans l’ouvrage célèbre de la Chanson de la Croisade Albigeoise de Guillaume de Tudèle et l’Anonyme, à la page 272 du tome 3, un dessin original est consacré à Baziège ; il s’agit d’une mêlée de combattants au milieu de laquelle on reconnait l’écu du comte de Foix avec les quatres pals verticaux. L’Anonyme consacre 243 vers à Baziège, à cette victoire sur les Croisés envahisseurs. La date est assez facile à préciser et d’après le grand historien Michel Roquebert la bataille se déroule au printemps 1219, Amaury de Montfort était au siège de Mar-mande lorsqu’il apprit la défaite des Croisés. Le lieu est bien connu d'après mes travaux de reconstitution du tracé de l’Hers Vieux. La Cansou nous apprend que les deux armées en présence étaient très proches l’une de l’autre et séparées par "un ruisseau sans pont ni planche". Le ruisseau était certainement l’Hers mais quel Hers ? L’actuel, ou l'Hers neuf ? Celui-ci a été creusé par les hommes entre 1710 et 1750, donc il est hors de cause ; l’autre ou Hers Vieux est celui qui nous intéresse : il suivait le chemin de los Puntos (commune de Baziège) et la nauze d’en Goudes (commune d’Ayguesvives). Pour que les deux armées aient la possibilité de se déplacer, de manoeuvrer, il était nécessaire de s’affronter sur un espace découvert, dégagé, au milieu de la forêt et des marécages qui encadraient l’Hers. Or par mes travaux sur de vieux cadastres de 1496 et 1743, j’ai découvert des "terres labourables" au lieu dit "les boulbènes", donc la bataille de 1219 s’est déroulée dans ce secteur, près des Boulbènes, proche également de l’antique voie romaine (via aquitania) par laquelle les armées sont venues à Baziège et qui traverse le village actuel.

Les causes de la bataille
Elles sont très intéressantes à préciser car trois thèses s’affrontent pour expliquer le combat :
1. une razzia par les Croisés en Lauragais, par Guillaume de Puylaurens
2. une expédition de pillage par le comte de Foix, par l’Anonyme, autour de la Canso
3. ouverture planifiée d’un second front en Lauragais par le comte de Foix qui affronte le "bourreau du Lauragais" Foucaud de Berzy, c’est la thèse de Roquebert qui combine les précédentes hypothèses. Je le cite "c’est alors que le comte de Foix ouvrit un second front en Lauragais ; il réquisitionna du bétail pour nourrir ses hommes, et même des paysans, sans doute pour conduire les bêtes et les convois, puis s’enferme dans Baziège".

Les forces en présence
Elles sont numériquement très favorables aux Méridionaux qui disposent de l’armée du comte jeune (le futur Raymond VII), l’armée du comte de Foix Raymond Roger, l’armée du comte de Comminges, la milice toulousaine, les routiers (mercenaires) navarrais. Du côté des Croisés : un corps de cavalerie commandés par des chefs vétérans, Foucault et Jean de Berzy et les troupes de quelques seigneurs occitans transfuges et traîtres comme Jean de Lomagne, Pierre Guillaume de Séguret et Sicard de Lautrec.

Les dispositifs initiaux
Avant la bataille, ils font apparaître du côté occitan, trois corps principaux. Le premier est sous l’autorité du comte de Foix, le deuxième corps avec les troupes du comte de Comminges Bernard IV, le troisième en réserve avec Raymond le jeune qui interviendra sans attendre l’épuisement du comte de Foix, composé d’une masse de cavalerie légère équipée d’armes de jet (javelots, frondes, arcs) et une masse de piétons de la milice toulousaine. Du côté croisé, les frères de Berzy ont seulement un corps de cavalerie lourde, ils attendent l’assaut occitan en établissant des retranchements avec des abattis d’arbres et sans doute des chariots et en utilisant l’obstacle que représentait l’Hers vieux.

La bataille se décompose en trois grandes phases
La première et l’attaque de la cavalerie légère des Toulousains, ces cavaliers sont très légèrement équipés (sans armure), très rapides, armés d’arbalètes, de frondes, ils ne cherchent pas le combat avec la lourde cavalerie "blindée" croisée ; ils opèrent seulement par jet de projectiles divers. Ces "percussores" encerclent les Croisés qui, alourdis par "le poids du fer", ne purent se dégager et virent l'ordonnance de leurs escadrons se désorganiser complètement.

Baziège - première phase des combats


La deuxième phase est l’attaque de la cavalerie lourde occitane et mêlée générale, un grand et horrible désordre, hommes et chevaux entremêlés "au milieu des cris, du vacarme et des corps à corps des barons, de toutes parts le combat est engagé, on se bat avec les épées, les masses d’armes et les lames d’acier trempé".

Baziège - deuxième phase des combats


La victoire finale penche du côté des Occitans, les Croisés succombent sous le poids du nombre.
La troisième phase est l’intervention des piétons, de la milice toulousaine et des routiers, avec pillages, achèvement des blessés, exécutions de quelques prisonniers comme Pierre Guillaume de Séguret "pendu sur place". Quelques chefs croisés s’enfuient comme Alain de Rouly et les frères de Berzy, ces derniers seront faits prisonniers dans une autre bataille, entre Baziège et Montlaur, durant l’hiver 1219-1220. Raimond VII fit "porter leurs têtes coupées" à Toulouse, "en offrande de bienvenue".

Baziège - troisième phase des combats

Baziège est un combat important dans le cadre des évènements qui suivent la mort de Simon de Montfort devant Toulouse et la reconquête des terres languedociennes par les Toulousains, un épisode victorieux dans le refoulement de la Croisade. Le futur Raymond VII s’est révélé un chef militaire combatif et énergique. 1219 est une date à retenir dans l’histoire du Toulousain et du Lauragais ; elle n’efface pas cependant 1213, date du désastre de Muret.

Jean ODOL

Bibliographie :
Jean Odol : "La bataille de Baziège - 1219" avec bibliographie, cartes et croquis, textes 1995 - Société d’Etudes du Lauragais Nailloux (à consulter)
Guillaume de Puylaurens : "Chronique" traduction Jean Duvernoy - CNRS - 1976 - Société d’Etudes du Lauragais - Nailloux (à consulter)
Michel Roquebert : "L’épo-pée cathare" 4 tomes (voir tome 2 - chapitre 11)
Jean Odol : "Le Lauragais, pays des cathares et du pastel" (2005)


Couleur Lauragais n°99 - Février 2008