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Couleur Lauragais : les journaux
Reportage

La vigne et le vin en Lauragais

"Notre pays, mon bon monsieur n’a pas toujours été un endroit sans vigne et sans vin comme il est aujourd’hui. Auparavant..." ainsi s’exprimait un octogénaire lauragais... cultivé.
Cette entame ressemblait à un passage d’Alphonse Daudet.

vignoble
On pourrait croire à un vignoble provençal … il s'agit d'une propriété des Côtes de Prouilhe.

"Auparavant donc, disait-il, la vigne était bien présente dans nos paysages. La polyculture vivrière était la règle. Le vin faisait partie de notre alimentation. Il était consommé, avec modération, au petit-déjeuner, aux deux autres repas, et en formule désaltérante toute la journée. On en proposait même aux enfants ! Quand j’étais petit, pour me désaltérer, l’été, quand il faisait très chaud, ma mère me préparait un breuvage à base de vin, d’eau fraîche du puits et du sucre. Nous y trempions un morceau de pain ; c’était la "chauchaule" (orthographe phonétique).

Le vin, un ciment social
Le vin n’avait pas que ce rôle alimentaire. Il servait aussi à créer ce que l’on appelle aujourd’hui le lien social. On offrait un verre de vin au visiteur, aux amis, bien sûr ! Combien d’affaires se sont traitées sur la table de la cuisine avec quelques verres et une bouteille de vin ? Pour les fêtes ou lorsque le visiteur était quelqu’un "de la haute" on sortait la bouteille de blanc, sec ou doux. Et, plus exceptionnellement, le suprême nectar : la cartagène, dont l’élaboration demandait beaucoup de science. Pour compléter cette panoplie, il y avait l’eau de vie, issue de la distillation du marc de raisin. Elle était présente dans tous les foyers car les propriétaires des vignes avaient le droit de distiller, droit qui est en train de disparaître puisqu’il n’est plus transmissible aux héritiers depuis 1960 ! Parmi toutes les bouteilles de "gnole", il en existait une que les enfants n’avaient pas autorisation de toucher : C’était le "trois six". J’ai su plus tard qu’il s’agissait de l’alcool à 90°. On l’utilisait rarement, pour désinfecter les plaies ou la peau avant une piqûre médicale ou pour... allumer le feu !

Le vin, potion magique
Avec de tels produits à leur disposition, vous pourriez croire que nos anciens devaient être souvent ivres ! Ce n’était pas le cas. Ils buvaient, certes, mais juste ce qu’il faut. Nous étions persuadés que le vin "donnait de la force". D’ailleurs, Pasteur avait dit : "Le vin est la plus saine des boissons" alors...
Lorsqu’un animal donnait un signe de faiblesse, on lui administrait un peu de "tisane de gabel", le gabel étant le sarment de vigne. Je me souviens d’un canard qui semblait perdu et qu’on avait "rébiscoulé" en lui donnant un peu de vin. Et puis, "un raig de vi me donna vida" écrivait Rabelais.
Je vous vois sourire, vous avez tort de douter de mes paroles. Pour vous montrer le rôle que le vin peut jouer dans les relations humaines je vais évoquer un souvenir : J’étais jeune à l‘époque, c’était avant la guerre. Nous étions dans une ferme, on "emballait" du fourrage. C’était un travail pénible car la presse n’avait, à cette époque, pas de moteur. Il fallait se suspendre aux barres et de tout notre poids pour tasser les balles. Il faisait chaud. Nous avions soif. Le patron nous proposait de boire l’eau du puits. Alors, j’ai dit à mon collègue : "attends, je vais aller à la ferme d’à côté demander un verre de vin. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Et je suis revenu avec une bouteille de rouge. Nous nous sommes remis au travail avec ardeur et à partir de ce moment, vous ne pouvez pas savoir comment nos relations avec notre généreux donateur ont été beaucoup plus chaleureuses.

Les vendanges selon Paul Sibra
Les vendanges selon Paul Sibra - Collection Martine Trinquelle

Une culture de terroir
Pour l’implantation d’une vigne, le choix du terrain était primordial. Il fallait prendre en compte un certain nombre de critères : La qualité du sol, l’exposition... Dans la plaine lauragaise, ce n’était pas difficile car la composition du sol est presque toujours la même et l’exposition garantie. Dans la Piège, l’affaire était plus compliquée, l’homogénéité des sols n’est pas courante. On choisissait de préférence un versant tourné vers l’est. La vigne devait se trouver exposée au soleil levant. La préparation du terrain demandait des outils spécifiques. Pour le labour, je me souviens avoir utilisé une énorme charrue-balance tirée par un tracteur à chenilles. L’attelage des boeufs de la ferme ne pouvait réaliser ce travail en profondeur. Le terrain, profondément labouré puis préparé à recevoir les ceps de vigne donnait lieu à un piquetage. Chaque piquet matérialisait l’emplacement d’un plant. Le quadrillage devait être parfait. L’alignement, que ce soit en colonne ou diagonale donnait l’impression, vu depuis le chemin, d’un dessin géométrique sur une feuille de papier !

La taille
Dans sa version "moderne" la vigne était disposée en espalier, c’est à dire avec des fils de fer (trois rangées, le plus souvent) maintenus par des "crampillons" aux solides piquets d’acacia. Les vignes anciennes dépourvues de fil de fer devaient être taillées différemment, le plus souvent en "gobelet". La taille était l’une des tâches les plus délicates. Elle s’opérait en hiver. Au "pays bas", c’est à dire dans la basse plaine de l’Aude, ce travail s’effectuait dès le mois de décembre. Ici en Lauragais, cela se passait plus tard. Le vieil adage "taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars" maintes fois rappelé semble aujourd’hui inadapté. En effet, si l’on taille à cette époque, la sève qui commence à monter risque de s’écouler au moindre coup de ciseau. On dit alors que la vigne pleure.

"Un ase poudo..."
Enfant, je me souviens avoir reçu des conseils pour la taille. Et surtout ne pensez pas que la tâche est difficile comme je le prétendais car on vous répondra : " un ase poudo", c’est à dire un âne sait tailler, alors, toi sous-entendu, tu peux tailler. Mais pourquoi m’avait-on comparé à cet animal ? Il y avait une légende et comme toutes les histoires anciennes elle commençait ainsi : "Un cop..." (Avouez que cela avait plus d’impact, surtout sur les jeunes esprits que le classique: "il était une fois...") Donc, il s’agissait d’un brave paysan qui était allé travailler sa vigne. Son âne fut attaché à une souche et ne pût s’empêcher de ronger quelques sarments. Le soir, notre "vigneron" alla récupérer son "roussin d’Arcadie". Il s’aperçut du méfait et battît son âne. L’heure de la récolte étant venue il fut obligé de constater que la souche la plus prolifique, celle qui donna les raisins les plus beaux fût celle que l’âne avait "taillée". L’hiver suivant, le paysan tailla sa vigne à la manière de son âne et obtint une très belle récolte.
Voilà pour la légende. Il n’en reste pas moins que cette opération me paraissait, du moins au début, très compliquée. Il fallait tenir compte à la fois de la densité en sarments du cep : celui qui avait "beaucoup de végétation" devait être taillé en "laissant beaucoup de bois" mais pas trop, car on risquait de l’épuiser.
Déchausseleuse
La déchausseleuse. On devine le soc déporté
et les deux mancherons qui permettaient de
diriger l'engin, généralement tracté par un cheval.

Tout était affaire d’appréciation. Le pisse-vin, c’est à dire l’un des sarments les plus vigoureux devait être long ( 4 à 5 yeux) et dans une position qui facilitait l’attache au fil de fer. A côté, il fallait laisser un ou deux "coups" à deux yeux, pour l’an prochain, car la taille, c’est aussi prévoir la future allure du cep. Pour les sarments à supprimer, j’avais beau couper ras, je laissais souvent un oeil près de la souche. J’avais droit à une remarque du genre : "Si tu laisses un oeil, cela va partir dans tous les sens". Pour me motiver, on m’avait confié la taille et le suivi de quelques souches, notamment l’une d’elles à proximité d’un cerisier. "Tu vas voir, m’avait-on dit, la vigne aime les cerises ! " Drôle de remarque teintée d’un peu d’humour ! Sur le moment je ne comprenais pas, aujourd’hui seulement je crois savoir. En effet, par une sorte d’attirance, la vigne qui est une liane recherche la branche la plus proche pour s’accrocher. Elle ne se dirige pas vers le fruit, mais vers l’arbre, cerisier ou autre. En revanche, le fil de fer ne semble pas être très attirant...
Après la taille, c’était le ramassage des sarments. Certains les conservaient en fagots, très utiles pour allumer le feu. Puis il fallait changer des piquets, des amarres, tendre les fils de fer et attacher le pisse-vin.

Les travaux de printemps
Le printemps venu, nous "déchaussions" la vigne. Cela consistait à dégager les pieds d’une couche de terre pour y incorporer du fumier. La déchausseleuse était un outil curieux ! Il s’agissait d’une charrue dont le soc et le versoir étaient décentrés. Elle disposait de deux mancherons. Le cheval qui tirait l’engin se tenait au milieu de la rangée, alors que le travail s’effectuait au ras des ceps sur le côté. L’adresse suprême consistait à frôler le pied de vigne avec le soc de façon à ce qu’il reste le moins de terre possible car le travail s’achevait, ensuite, à la main avec la houe. Mais comment diriger le cheval par les rênes alors que les deux mains étaient occupées ? (Car la plupart du temps, un seul homme travaillait). Avec un animal expérimenté, pas de problème. La bête obéissait essentiellement à la voix. Dans le cas contraire, le vigneron calait les rênes derrière sa nuque et, avec ses mains libres, il pouvait mieux orienter l’outil. Les mouvements de sa tête et la voix dirigeaient le cheval. Je dois vous dire que tout le monde n’y parvenait pas !
Les premières herbes printanières étant venues, il fallait labourer, c’est à dire "chausser" le pied de vigne et travailler le reste. Le sol était maintenu "propre", sans herbe, en utilisant le grapin ou la "canadienne". Les derniers binages d’entretien s’opéraient après les vendanges.

Oïdium et mildiou
Les traitements de la vigne comprenaient deux opérations : dès l’apparition des premiers bourgeons, au printemps, il fallait soufrer pour lutter contre l’oïdium. On ne soufre pas n’importe quand. C’était toujours le matin, souvent à la pointe du jour car avec la rosée, la fleur de soufre projetée sur la plante encore humide pouvait de cette façon trouver une meilleure adhérence. Il fallait choisir une matinée sans vent, ce qui dans nos régions est assez rare... Le deuxième traitement était le sulfatage. Le sulfate de cuivre devait prévenir ou guérir du mildiou. Il ne s’agissait plus d’une poudre, mais d’une bouillie (bordelaise) qui colorait les feuilles en bleu. Mais que la sulfateuse, en cuivre était lourde pour mes jeunes épaules ! Les courroies entamaient les omoplates surtout lorsque l’engin était plein donc plus lourd. Il s’agissait là du dernier traitement généralement au début de l’été. Après le 15 août, sauf attaque foudroyante du mildiou, on ne traitait plus la vigne.

La saison des vendanges ...
Fin septembre, arrivait enfin le moment très attendu, celui des vendanges. La préparation était très importante : Les comportes (cuves en bois) étaient sorties huit jours à l’avance et il fallait vérifier leur étanchéité. Pour cela un peu d’eau permettait de faire gonfler le bois. Les barriques étaient nettoyées puis mêchées avec du soufre (nous utilisions ces mêmes mêches pour enfumer, par le trou de l’évier, quelque voisin ou voisine peu sympathique). Le matin venu, il fallait réunir les seaux à vendange, les sécateurs et installer le fouloir. Enfant, sa grosse manivelle me faisait peur car lorsque le bac du fouloir était plein, je n’arrivais pas à la manoeuvrer. Plus tard, jeune adolescent, j’ai pu l’actionner ce qui permettait aux "vendangeurs" de se reposer. Ils évoquaient le temps où cette merveilleuse machine n’existait pas. Le raisin était alors foulé avec les pieds à l’intérieur d’un foudre (tonneau de grande capacité). Je n’insiste pas sur les vendanges tant de choses ont été écrites notamment sur leur côté festif.

Plan de la vigne et du vin dans le Lauragais  oriental

Après la fermentation, théoriquement sans chaptalisation, c’est à dire sans ajout de sucre, on "coulait". Le soutirage du vin avait quelque chose de mystérieux. "Le jus du bois tordu" sortait de la cuve avec sa couleur violacée. Son odeur particulière emplissait non seulement la cave ou le chais mais aussi toute la maison et les alentours. Le marc le plus juteux était recueilli pour la distillation, le reste était épandu dans un champ, comme du fumier.

... et celle de l’alambic
Le "brûleur" ou bouilleur de cru arrivait en hiver. Son alambic est un appareil imposant et rutilant sans doute à cause du cuivre. Il attirait les regards et les curieux. Les anciens nous avaient conseillé d’assister à la totalité de "la cuite". D’abord, pour contrôler l’utilisation du bois que nous avions apporté : Vous pensez, du chêne de première qualité ! Ensuite, mine de rien, et tout en bavardant, car l’opération prenait plusieurs heures, nous devions observer la coulée. Au début, il s’agissait d’un alcool à fort degré et au fur et à mesure de la distillation le degré diminuait. Vers la fin, il titrait 30°. Pour obtenir l’eau de vie règlementaire à 45°, si je me souviens bien, le bouilleur ajoutait de l’eau distillée. Le transport devait s’effectuer à partir de 18 heures et selon un parcours et une durée déterminés à l’avance. Cette règlementation sévère ajoutait encore au mystère de cette opération où le qualificatif d’alambiqué prenait tout son sens.

Quelque peu nostalgique mon interlocuteur terminait ainsi : "Que voulez vous, monsieur... tout à une fin en ce monde, et il faut croire que le temps des moulins à vent était passé comme celui des barques chargées de barriques de vin sur le canal... et des jaquettes à grandes fleurs". Cette fois, le doute n’était plus permis... Il avait lu et retenu des passages du "Secret de Maître Cornille". Je l’ai su par la suite, c’était le morceau qu’il avait récité lors de son examen du certificat d’études !

La vigne en Lauragais aujourd’hui
Cette évocation amène à se poser une question : "Qu’en est il aujourd’hui ? Que reste-t-il de cette époque ?
La vigne n’a pas tout à fait disparu de notre Lauragais. On peut retrouver quelques vignes çà et là, exploitées encore à la manière traditionnelle mais cela devient rare.
Il y a bien le lycée agricole de Castelnaudary, établissement scolaire dont la vocation est plus "céréalière" que viticole mais qui dispose d’un vignoble s’étendant sur 6 hectares. Il produit quelques 300 hectolitres de rouge, rosé et cartagène. Une partie des vendanges se fait à la main et les élèves, quelle que soit la section, viennent goûter aux joies de cette activité. En outre, le vin est vinifié et embouteillé sur place. Bref, il s’agit d’une activité originale dans un lycée qui n’enseigne ni la viticulture ni l’oenologie. Mais pourquoi donc la maintenir ? Peut être pour que les lycéens, devenus plus tard des acteurs économiques responsables puissent proposer à leurs petits enfants le discours suivant : " Notre pays, mon bon monsieur, n’a pas toujours été un endroit sans vigne et sans vin comme il est aujourd’hui, auparavant...".La suite vous la connaissez.
Il y a également, à Carlipa, une exploitation viticole de 27 hectares. Ici aussi le souci pédagogique prévaut puisque les enfants des écoles sont invités à participer aux vendanges dont une partie s’effectue à la main.

bienvenue accueil vigneron
Le Lauragais, entre vignes et céréales

Bien que la route des vins du Lauragais soit une utopie, il est possible, encore, de voir des vignes et de déguster du bon vin. Pour cela, il faut se rendre à l’extrémité orientale de notre pays. De Prouille, à l’Est de Fanjeaux, où l’on peut déguster le "Côtes de Prouille" en passant par la Force où débute l’appellation "Côtes de la Malepère" et en se dirigeant vers Bram, on peut trouver encore quelques exploitations viticoles. De Bram jusqu’à Carlipa, si les paysages ne sont pas tout à fait ceux des Corbières, il vous rappelleront que dans ce secteur du Lauragais la tradition n’est pas morte. Il y a encore des lauragais pour la faire vivre. Ils n’ont pas besoin, du moins pour l’instant, d’en arriver au subterfuge de Maître Cornille, car "voyez vous mon bon monsieur, notre pays n’est pas encore sans vigne et sans vin".

Régis GABRIELLI


Couleur Lauragais n°106 - Octobre 2008