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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

La formation de la population lauragaise aux XXe et XXIe siècles - 1900-1939-2007 : l'arrivée massive des Italiens

Le Lauragais historique, ancienne jugerie de 1252, comté de 1477, sénéchaussée de 1556 (créée par Catherine de Médicis, comtesse de Lauragais et reine de France) s’étire de Castanet à Bram, de Verfeil à Venerque, de Puylau-rens à Belpech. Si le territoire est étroit, la population est abondante : env. 130 000 habitants, soit plus que le département de l’Ariège. En plein essor démographique, la population lauragaise connaît en 2000-2007 une véritable explosion : partout des lotissements sont en construction, de rares collectifs, surtout des maisons individuelles donnant un paysage urbain nouveau ; les plus petits villages sont bouleversés.

Le cadre géographique et économique
L’agriculture lauragaise s’appuie sur des sols parmi les plus fertiles du Midi de la France : les boulbènes, terreforts, terre de rivières. Le Lauragais est la terre du blé depuis la Préhistoire, l’âge d’or du pastel au XVIe siècle, du maïs aux XVIII-XIXe siècles, la terre des moutons, avec une production massive de volailles et de porcs (grâce au maïs) ; le pays de cocagne... mais qui en 1920 est en voie de désertification du fait des nombreux jeunes paysans qui ne rentrent pas de la guerre 14-18.
Le Lauragais est localisé géographiquement tout prêt de l’agglomération toulousaine. La voie ferrée de Castelnaudary-Bram, ainsi que de nombreuses routes (Toulouse-Lanta, Labège-Baziège, la RN 113, Castanet-Villefranche ; deux autoroutes : A 61 Toulouse-Narbonne, A 66 Villefranche-Pamiers) facilitent la communication. La densité du réseau routier et autoroutier est un des facteurs qui explique la poussée urbaine actuelle.

ITALIEN IMMIGRÉ
Ici, un italien immigré en France, surnommé Pépone (signifiant Patriarche), avec son petit-fils
Crédit photo : collection Pascolini

La crise démographique du Lauragais au XIXe siècle et jusqu’en 1920
La population du Lauragais présente une composition très complexe en liaison avec des crises de dépopulation puis une source de vagues massives d'immigrants (Italiens par exemple).
1857 est une date charnière dans l’histoire démographique : c’est l’arrivée du chemin de fer Tou-louse-Narbonne-Sète ; les blés russes d’Ukraine et des pays baltes arrivent à Sète-Bordeaux-Toulouse, moins chers que le blé lauragais ; même remarque pour le blé de la Beauce et la Brie. Le blé-froment lauragais ne se vend plus ou mal, son prix décroît jusqu'en 1936. C’est une crise fondamentale qui perdure jusqu’en 1940 et qui se traduit par le départ de nombreux paysans pauvres de ce Lau-ragais surpeuplé. L’exode rural vers Toulouse, Narbonne, Béziers, l’Algérie, vide les campagnes de leurs maîtres-valets, métayers, brassiers ; le mouvement est spectaculaire avec la vente et le morcellement des grands domaines. Dans la Piège, les villages tombent au-dessous de 80-100 habitants. Malgré son dynamique marché, Baziège se traîne péniblement au niveau de 1000 habitants. Ce mouvement se double par une chute spectaculaire de la natalité et de la fécondité : un enfant seulement par couple ; il n’y a plus de remplacement des générations, et cela à partir de 1860 jusqu’en 1914 et au delà jusqu’en 1940. Dans les petits villages les naissances annuelles avoisinent zéro.
C’est sur un Lauragais très affaibli que s’abat la tourmente de la guerre 14-18 : une catastrophe majeure, comparable aux épidémies de peste ou la terrible famine de 1693-94 (2 millions de morts, sur les 20 millions de Français de Louis XIV).
La guerre de 14-18 a été faite par les paysans lauragais qui sont toujours en première ligne, d’où la lourde perte : 30% des mobilisés. Pour l’ensemble de la France, le total des pertes s'élève à 1 400 000 morts soit 28% des combattants ; 30% de disparitions chez les hommes nés en 1894. Avoir 20 ans en 1914 signifie mourir en août-septembre ou encore subir une ou plusieurs blessures graves. N’oublions pas les 3 millions de blessés, les amputés, les Gueules Cassées (exemple, mon père eut la gorge ouverte, cette blessure qui ne lui permettait de se faire raser que le dimanche matin chez Marguerite à Baziège) ; 700 000 veuves, souvent avec enfants devenus Pupilles de la Nation ; 650 000 ascendants ont perdu leur soutien à la guerre. Les survivants qui rentrent en 1915-20 sont malades, tuberculeux, déséquilibrés mentaux, amputés. Les familles sont bouleversées (autre exemple personnel, mon père a eu deux frères tués). Pour prendre la mesure de la catastrophe, il suffit de sillonner le Pays des Mille Collines en recherchant les Monuments aux Morts ; quelques-uns sont particulièrement intéressants. Celui de Castelnaudary composé d'immenses plaques de marbre rend hommage à plusieurs centaines de disparus ; à Salles sur l’Hers sont gravés les morts des années 1919-1920-1921, ils sont aussi nombreux que durant la période des combats. À St Michel de Lanès, la municipalité fait transcrire les morts de la guerre 1870-71 : six morts qui représentent beaucoup pour un petit village, 18 en 1914-18. Parfois l’âge des tués est indiqué, la majorité s'y situe entre 18 et 25 ans.

Le Lauragais en 1920 est moribond : des fermes sont abandonnées faute de paysans pour les remettre en valeur. Pendant les hostilités, plus de femmes labourent, les vieillards également ; les enfants travaillent dès l’âge de dix ans, manquent très souvent l’école. Des régions lauragaises sont désertiques, la Piège, la Montagne Noire, d’où l’impérative nécessité de faire appel à une main d’oeuvre venue des pays voisins.

Les grandes vagues de repeuplement à partir de 1920
Pour expliquer les grandes vagues, nous allons étudier successivement les Espagnols et les Portugais, les Polonais, les rapatriés d'Afrique du Nord, les expulsés d'Alsace Lorraine (1940), enfin les Italiens.
Il y avait à Toulouse une colonie espagnole avant 1914, il s'agit souvent de réfugiés politiques liés à l'histoire très agitée de l'Espagne au XIXe avec des guerres internes pratiquement incessantes. Des Andalous vinrent "vendanger" dans les vignobles du Bas Languedoc de 1920 à 1940 et certains s'installèrent dans la région de Bram. Puis des "immigrés économiques" arrivent à Toulouse de 1920 à 1930. Avec la sanglante guerre civile de 1936-39, 500 000 soldats républicains, femmes, enfants, vieillards passent par le Perthus, fuyant les troupes de Franco et l'aviation allemande (Légion Condor) ; internés d'abord dans " les camps du mépris" de la côte (Argelès, le Barcarès, Col-lioure), les militaires sont enfermés au Vernet (Ariège) et à Bram. Des soldats regroupés dans des compagnies de travailleurs étrangers, opérèrent dans le Lauragais. D'autres s'engagèrent dans la Légion et plus tard dans la 2ème division blindée de Leclerc ; le 25 août 1944, des espagnols de la 2ème DB sont les premiers à pénétrer dans l'Hôtel de ville de Paris.
Beaucoup de civils refusèrent de réintégrer l'Espagne de Franco et restèrent en France ; ainsi le firent 50 000 d'entre eux à Toulouse, que l'on disait "ville espagnole" vers les années 1945-1960. Des crieurs y vendaient les journaux connus en Espagne comme "el Mundo Obrero". En Lauragais, quelques espagnols s'installèrent comme cultivateurs ; ils choisirent plutôt le travail des vignes, de Castelnaudary à Bram. La majorité devinrent artisans ou commerçants.

Les Portugais arrivèrent plus tard, durant les années 1970-1990, fuyant la misère de Salazar. En Lauragais, un grand nombre d'entre eux travaille dans le bâtiment ou sont commerçants (fruits et légumes notamment, mais aussi boulangerie).

Les Polonais furent appelés pour remettre en marche les mines de houille du Nord, de fer en Lorraine. À Carmaux ils bâtirent des cités spécialement conçues pour eux près de la mine (ces petites maisons toutes identiques sont toujours là). En Lauragais, ils sont souvent métayers dans les bordes.
En 1940 les Alsaciens Lorrains furent expulsés des départements du Haut Rhin, Bas Rhin, Meurthe et Moselle, parce qu'ils étaient francophones et français de longue date. Ils eurent quelques heures pour rassembler leurs maigres affaires personnelles, puis furent mis dans un train, et les voilà débarquant à Villefranche, Villenouvelle, Baziège, Ayguesvives. Logés très sommairement, ils s'intègrent rapidement dans l'économie locale. Certains travaillent dans les fermes comme ouvriers agricoles, d'autres dans le bâtiment. En 1945 ils étaient parfaitement intégrés et ne repartirent pas vers la Lorraine.

Après les tragiques évènements d'Algérie (1954-1967), les rapatriés d'Afrique du Nord arrivèrent en juillet-août 1962. Le mouvement avait commencé dès 1936 avec l'achat de grands domaines agricoles par des colons venus d'Algérie orientale. Ainsi le célèbre domaine de Champreux-Roquefoulet à Montgeard-Nailloux sera le premier en Lauragais, en 1949, à utiliser la machine à récolter le maïs (corn sheller). L'hébergement de cette population fut difficile. Ils s'intégrèrent bien dans l'économie locale (rarement dans l'agriculture). Beaucoup partirent pour Toulouse, d'autres vers les villes de Villefranche et Castelnaudary.

Les Italiens ont contribué à la survie de l'agriculture Lauragaise
Ils ont trouvé en route un Lauragais paralysé en 1920-30. Les grands propriétaires lauragais avaient le choix entre espagnols et Italiens. Les premiers sont avant tout des vignerons et des arboriculteurs, utilisant des mulets pour les travaux. On préféra les Italiens qui utilisent des boeufs, maîtrisent la culture du blé, surtout du maïs, l'élevage de volailles et des porcs. Ces caractères déterminent l'origine géographique des transalpins venus en Lauragais ; ils sont presque tous de l'Italie du Nord, de la basse plaine du Pô, vers Venise, Vicence, Padoue, Vérone, Udine, Trevise ou encore des régions ravagées par la guerre contre les Autrichiens (région de l'Izanso). Ces hommes et ces femmes arrivent démunis de tout. Un historien de l'agriculture lauragaise(1), région de Castelnaudary, a écrit quelques lignes : "Ils sont venus, un par un, une maigre valise à la main, un peu égarés, comme sont tous ceux qui ont quitté leur pays ; c'était dans les années 1920-1930 ; ils arrivaient tous des provinces d'Udine et de Trévise, de belles vallées ouvertes au pied des Dolomites, abondantes en eaux et en soleil, mais la guerre autrichienne y était passée et repassée pendant quatre ans. La vie rurale y était misérable : les familles sont nombreuses, groupées sur des fermages de deux, trois hectares, rarement plus ; il reste peu de choses pour la table de ceux qui travaillent la terre ! C'est aussi le temps de la Révolution mussolinienne : grandes ambitions mais ce sont "les petits" qui sont malmenés (bâton, huile de ricin... et la taule !). Alors, entre famille et amis, on se cotise pour acheter un ticket de train de Venise à Toulouse, ce sera pour le plus hardi et on attendra de ses nouvelles... Beaucoup d'émigrants sont arrivés dans cette région de Toulouse ; on leur avait dit qu'il y avait là une campagne ressemblant un peu à la leur, mais qui se vidait depuis de longues années ; des métairies tombaient en ruines, mauvais chemins, mauvaises toitures et mauvaises herbes ; nos migrants, qui n'ont que leurs bras, trouvent ainsi, de ci, de là, un travail qui leur permet de subsister, d'observer, de se renseigner : ils sont bûcherons en hiver, ouvriers agricoles, maçons, etc. Cela dure des mois, un an. Dès qu'on a trouvé un toit, une terre, un patron, la famille peut arriver. Les retrouvailles sont chaleureuses, l'accueil du pays aussi parfois, mais pas toujours...! On se met au travail avec l'ardeur et l'espoir, la volonté surtout : rafistoler le logis, une truelle, un sac de chaux, du sable, quelques briques, quelques chevrons, tuiles ; chaque Italien sait faire cela de naissance. On obtient du patron une vache qui donne le lait pour les petits et pour les grands parents. Tout le monde est au travail : aux champs avec les boeufs pour les hommes, au potager et à la basse-cour pour les autres quelque soit l'âge. L'accueil est très mitigé ; bon parfois, neutre le plus souvent, mais bien des fois mauvais ; à l'école, à la messe, les enfants sont acceptés mais au retour ils ont souvent à subir les railleries des petits français "ouais, ouais, les Macaronis" !! "

Les Italiens sont des travailleurs acharnés et en quelques années le Lauragais a retrouvé sa prospérité. Économes, ils réussirent rapidement à acheter de la terre, de petites métairies. Leur intégration fut très rapide avec des mariages mixtes dès 1923. La deuxième génération est totalement lauragaise et après 1945 certains se feront tuer en Indochine.
italiens fermiers
Beaucoup d'italiens étaient fermiers, préparaient eux-mêmes leur pain
et tuaient des bêtes de leur élevage.
Le cochon était tué lorsqu'il atteignait
180 à 200 kg et transformé
en charcuterie

Crédit photos : collection Pascolini

italien musicien
La musique tient une place importante
dans la culture italienne. Ainsi, une fois arrivés en france, les italiens jouaient beaucoup de l'accordéon lors
de réunions entre voisins

italien baziegeois
Un baziegeois italien fut tué
en Indochine vers 1953
Crédit photo : Josiane Lauzé

famille italienne
Après l'arrivée des grands parents italiens en France,
les générations suivantes se sont intégrées et
ont souvent fait des mariages mixtes

Les italiens étaient solidaires entre eux,
ici 2 familles italiennes qui se sont toujours cotoyées

solidarité italienne

Les mouvements contemporains - 1980-2007
La population des villages et petites villes lauragaises connaît, actuellement, une progression très rapide. La proximité de Toulouse transforme nos collines en banlieue, ce mouvement atteint Castelnaudary, Bram et Belpech. C'est la rurbanisation du Lauragais, partout des lotissements, des pavillons isolés. Les nouveaux arrivants travaillent à Toulouse, à Labège Innopole (16 000 emplois), à Blagnac-Colomiers, dans les zones industrielles de Revel, de Castelnaudary, de Bram. L'autoroute A 66 et l'échangeur de Nailloux conduit à l'explosion de Nailloux : 600 habitants vers 1985, 4000 en 2008. Les professions sont des cadres, enseignants, fonctionnaires, mais aussi des ouvriers spécialisés ; les artisans sont nombreux. L'essor repose sur une formule : une maison, deux salaires, deux voitures, deux enfants. L'équipement scolaire suit. Nous assistons à la naissance d'un Lauragais jeune, dynamique, très différent du Lauragais agricole, avec une intense vie culturelle jusque dans les plus petits villages. L'origine géographique des nouveaux Lauragais est très variée : surtout des Toulousains qui fuient la ville, des Parisiens, des couples venant de toutes les régions françaises, quelques Anglais et Hollandais, des Allemands au Nord de Mirepoix.

Ecole Ayguesvives
Dans cette classe de l'école d'Ayguesvives en 1934, onze jeunes italiens venaient s'instruire.

Des balades dans le Lauragais permettent de mesurer les bouleversements démographiques que nous connaissons. Tous les villages ont un noyau ancien, autour de l'église et de la mairie, plus loin se sont construites des maisons contemporaines, voire de nouveaux lotissements. Un village, longtemps isolé, Nailloux, est un exemple de ces transformations. Il possède un noyau du XIIIe siècle (la place de l'Eglise et la rue du Fort), une extension du XIVe sous forme d'une bastide (rue du four, de la boucherie), au delà quelques maisons du XIXe, et enfin les vagues de constructions actuelles : autour du collège ou route de Villefranche, une zone d'activités route de Saint Léon. À Revel, à Castelnaudary on peut faire les mêmes découvertes.
Si le XVIIIe siècle est celui des beaux châteaux, 2007 est l'année des belles maisons individuelles.

Jean ODOL

Bibliographie :
(1) Jean Piat : "La terre, le vent, les hommes" Castelnaudary - 1885-1985
Laure Teulières : "Immigrés d'Italie et paysans de France 1920-1944" - Thèse, Presses Univer-sitaires du Mirail 2002
Jean Odol : "Le Lauragais" 2005
Roger Brunet : "Les campagnes toulousaines" 1965 - Thèse
G. Jorré : "Le Terrefort toulousain et lauragais" 1971 - Thèse
J. Laviale : "La rurbanisation du Lauragais" 2007


Couleur Lauragais n°96 - Octobre 2007