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Couleur Lauragais : les journaux

AU FIL DE L'AIR

Femmes de pilotes des L.A.L.
(Lignes Aéropostales Latécoère) et de la Compagnie Générale Aéropostale (1919-1933)

Les femmes de pilotes étaient placées dans un cadre difficile à tous les niveaux ; d'abord, un contexte d'après guerre, elles étaient des "femmes dans l'ombre" de leurs maris pilotes. Elles ont dû attendre les retours, toujours longs, parfois improbables, avec peu de moyens de communication, peu ou pas de contacts entre elles, et bien sûr un accès très limité, voire interdit au terrain de Montaudran.

femme pilote
L'épouse du prestigieux pilote Hamm

Rappel historique
Le 25 décembre 1918, Pierre-Georges Latécoère, Ingénieur originaire de Bagnère-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), réalise une liaison expérimentale : Toulouse-Barcelone, destinée au transport du courrier, entre la France et l'Amérique du Sud.
Le 17 juillet 1919, un contrat de transport du courrier est signé entre le Ministère des Postes et P.G. Latécoère, pour l'exploitation du tronçon : Toulouse-Rabat, limitée à cinq ans.
L'entreprise, installée à Montaudran (atelier, bureaux, piste), deviendra l'aérogare de départ du courrier et plus tard, de quelques passagers.
Des avions Bréguet 14, biplans, seront achetés à cet effet au parc militaire d'Étampes en région parisienne et utilisés pendant la première guerre mondiale.
Aguerris aux difficultés des pilotes, les chefs d'escadrille seront, pendant cette période, prédestinés à oeuvrer pour ce sujet audacieux.
C'est ainsi que le 1er septembre 1919, le vol inaugural, Toulouse-Rabat, sera réalisé par Didier Daurat, à bord d'un Bréguet 14.
A l'automne 1920, Didier Daurat devient le directeur de l'Aéroplace de Toulouse-Montaudran. Il convient de noter que, pendant la première guerre mondiale, il avait su repérer, à bord d'un Bréguet 14, la position d'un canon allemand qui se préparait à bombarder Paris.

Généralités sur les femmes de pilotes
L'aviation étant une "affaire d'hommes" avant tout, l'accès était donc proscrit aux femmes. A certains moments, quand les conditions météo étaient mauvaises, les oppositions de ces femmes au départ de leurs maris auraient été un frein inacceptable pour l'exploitation d'une concession de transport du courrier, où le moindre retard entraînait des pénalités financières conséquentes pour les L.A.L. (Lignes Aériennes Latécoère). Des femmes qui étaient rôdées aux déménagements au gré des affectations des pilotes sur la ligne France-Maroc-Amérique du Sud. Elles vivaient le plus souvent, et plus spécialement au Brésil, dans des quartiers assez favorisés au coeur des villes, mais sans outrance. Tout de même, elles bénéficiaient de la proximité des plages, et ainsi suscitaient la jalousie des autres femmes. Enviées aussi parce qu'elles avaient, pour la majorité un enfant uni-que, et pouvaient accéder au moyen de transport auquel peu de gens avaient accès au début du XXe siècle : l'avion.
Ayant eu la possibilité, il y a quelques années, de rencontrer certaines de ces femmes, je vous ferai part des entretiens que j'ai eus avec elles. Entretiens fort intéressants, mais révélateurs de leur difficultés personnelles, sans compter les jalousies qui donnaient lieu à des sarcasmes et à des calomnies des plus désobligeantes.

pilote
Didier Daurat avait l'habitude de piloter des Breguet XIV comme ci-contre

La première de ces femmes
Madame Didier Daurat : je n'ai pas eu l'occasion de la connaître, mais je voudrais tout de même évoquer la femme de celui que les pilotes et les mécaniciens de Montaudran appelaient "le patron".
Mademoiselle Raymonde Blanc était une musicienne et pianiste de renommée internationale (Premier Prix de Conservatoire Femme). Elle avait commencé sa carrière de virtuose internationale avant la première guerre mondiale.
C'est lors d'un concert en 1917 qu'elle rencontra Didier Daurat à Vichy. Quelques années plus tard, ce fut le mariage à Paris (le 19 décembre 1919).
Peu après, Daurat devint le chef de l'aéroplace (ou aérogare) de Malaga. Raymonde a dû renoncer à une carrière fort bien engagée. Ce fut difficile,
mais le choix était fait. Quelques mois à Malaga, avec seulement un piano, mais exempts du cadre des grands concerts, qu'elle avait connus auparavant.
Heureusement, le 1er octobre 1920, Daurat fut appelé pour remplacer Beauté, premier responsable du lieu et ainsi prendre la direction de l'aéroplace de Montau-dran. Il accepta bien évidemment.
Dans un cadre très différent, Raymonde a pu donner un second souffle à sa passion musicale, mais sans retour possible sur une belle carrière qui s'offrait à elle. Quelle abnégation, tout de même !
A Toulouse, elle décide de donner des leçons de piano. Elle reçut de nombreuses élèves, dont certaines ont fait leur chemin et en particulier Mady Mesplé, cantatrice Toulousaine bien connue.
Pour Didier Daurat, la direction de Montaudran était une lourde tâche et les soirs où il rentrait à la maison accablé par les difficultés diverses, les accidents, les défections de personnel, les retards, Raymonde ne posait pas de questions : elle se mettait au piano, jouait, et créait ainsi une ambiance propice à mieux prendre en compte l'état d'âme du "patron de Montaudran". Sans compter que le véritable instigateur du lieu était P.G. Latécoère qui avait dit en 1919 : "Notre projet est irréalisable, j'ai refait tous les calculs, il nous reste une chose à faire, le réaliser".

lettre brulée
Une enveloppe déteriorée par le feu lors de l'accident d'un avion,
ce que redoutaient les femmes de pilotes

Anecdote
Le système D était utilisé pour remplacer les repères au sol défectueux. Lorsque la visibilité était limitée pour le vol à vue et que les avions rentraient du sud vers Toulouse, les pilotes avaient recours à quelques repères, parmi lesquels les phares de Lézignan et dans le Lauragais, Montferrand d'Aude, Baziège, sans oublier le Canal du Midi et la voie ferrée Toulouse-Narbonne.
Un jour, plus difficile que d'autres, un de ces plus mauvais jours de novembre, avec de gros nuages et une brume épaisse, un pilote accompagné d'un mécanicien se sont égarés après avoir dépassé Carcassonne. Que faire? Il ne fallait pas réfléchir trop longtemps, d'un seul coup, l'avion descend bas, très bas, et voilà une gare : Castelnaudary. L'avion remonte un peu, et suit la voie ferrée. En dépit du froid qui régnait dans le Bréguet 14, les deux navigants avaient eu chaud dans cette descente de la dernière chance

 
Ces lettres provenant de pays lointains étaient peut-être destinées à des femmes de pilotes


Rencontre avec des femmes de pilote
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Madame Hamm
C'est dans les années 80 que j'ai eu l'occasion d'interviewer Madame Hamm. Elle me précisa que Victor Hamm était entré aux L.A.L. à la fin de 1919, en effectuant régulièrement les courriers Toulouse-Casablanca.
"Il était considéré comme l'un des meilleurs pilotes de la ligne". En mai 1923, Pierre-Georges Latécoère le désigna pour un vol d'étude en vue de la liaison : Casablanca-Dakar. "Ce fut un exploit, en mauvais temps, et en ennuis matériels. Beaucoup d'inquiétude de ma part : les pilotes ne possédaient ni radio, ni météo, une simple petite boussole de poche qui leur appartenait, et destinée à se diriger". Hamm est contraint d'atterrir à Cap-Juby (actuellement Dakhla) sur une plage déserte : panne d'essence et difficulté de carburateur. "Les trois pilotes avaient ordre de voler le plus possible de concert". Le responsable de la mission, le capitaine Roig, s'aperçut qu'il manquait l'avion de Hamm. Ils le retrouveront sain et sauf. Il avait entamé un jambon, et cassait la croûte tranquillement. Partis le 3 mai de Casablanca, ils atterrissaient le 5 mai à Dakar. La liaison Casablanca-Dakar était établie. "Explosion de joie dans la ville, les photographes, les journaux ne tarissaient pas d'éloges. C'est à l'occasion de cette fête que je fis la connaissance de Victor Hamm. En 1925, année de notre mariage, il fut désigné pour un vol d'étude entre Dakar et l'Amérique du sud". Les pilotes Vachet et Hamm ont rejoint Rio de Janeiro par bateau. Ils allaient chercher et reconnaître des terrains à bord d'appareils Bréguet 14. Voyage sans radio, sans météo, atterrissages dûs aux pannes sur des plages. "À l'arrivée à Porto-Alègre, mon mari bute dans un caniveau et met son avion en pylône. La réparation est devenue ardue et une pièce du moteur est à changer : il faut la faire venir de Toulouse. Il fut désolé de ne pouvoir continuer jusqu'à Buenos-Aires". Seuls Vachet et Roig continuèrent le voyage. "Mon mari rentra à Rio, par bateau en attendant le retour du capitaine Roig. La mission continua vers Natal, avec beaucoup de patience, cela dura six mois". En 1927, Victor Hamm fut affecté à Porto Alègre comme pilote-chef d'aéroplace. "Un mois plus tard, je le rejoignis et nous y restâmes trois années après avoir subi des révolutions, assisté à des prises d'otages, etc. Nous rentrâmes en France, pour un congé de quatre mois. En 1931, mon mari dut repartir pour l'Amérique du sud pour une autre mission. Je partis le rejoindre en bateau. Après plusieurs jours en mer, un matin, je fus convoquée par le capitaine. Il semblait très embarrassé et je compris qu'il s'était passé quelque chose. Il m'annonça que mon mari avait disparu. Ce fut terrible. Je n'ai jamais oublié ce dur moment". L'avion (un Laté 28, avion déjà perfectionné et fabriqué par Latécoère) avait quitté Montévidéo par un très mauvais temps et avait été englouti par les flots. "Je ne puis préciser s'il y avait des passagers dans l'appareil."

Madame Paul Vachet
Son mari est entré en qualité de pilote aux Lignes Aériennes Latécoère en juin 1921. Il fut affecté d'abord sur la ligne Toulouse-Casablanca. Mais ses qualités de pilote le font désigner pour l'Amérique du Sud jusqu'en 1930. Il aura également un très grand rôle dans la reconnaissance et le défrichage des futurs aérodromes. Puis, il est chef d'aéroplace à Récife (Brésil) jusqu'en 1931. De 1931 à 1935, il est affecté sur la ligne Natal-Buenos-Aires avec des terrains peu cléments et des côtes inhospitalières.
Madame Vachet m'a confié que pendant les débuts des premières affectations de Paul Vachet aux L.A.L., elle se retrouvait très seule à attendre son mari. "Heureusement, précisa-t-elle, j'aimais la couture, la lecture et mes attentes n'étaient pas oisives, mais j'étais un peu jalouse et je rêvais de le suivre dans ses missions. Ce fut le cas quelques années plus tard."
Elle m'a expliqué qu'un jour, et c'était son premier vol, son mari l'emmena avec lui à bord d'un Bréguet 14 vers Casablanca. Bien que passionnée par tout ce qu'elle avait appris de l'avion par ce dernier, elle considérait qu'elle connaissait peu de choses. Mais elle était très attentive, voler avec Paul la captivait et c'est ainsi, dit-elle, qu'elle fut amenée à réparer l'entoilage d'une aile d'avion Bréguet 14 avec un drap. Mais là où elle eut le plus peur, c'est lorsque son mari qui devait lancer à la main l'hélice d'un Bréguet 14, l'installa aux commandes après de multiples recommandations, pour intervenir sur la manette des gaz et pour les réduire quand le moteur tournait à plein régime. La première fois, elle avait eu très peur que l'avion ne se déplace et qu'il arrive le pire à Paul. Mais elle fut très attentive, très vigilante et tout se passa bien.

Madame Edmée Dupont
Elle m'a parlé de son conjoint, Claudius Dupont, entré en 1928 à la Compagnie Générale Aéropostale (devenue CGA an avril 1927). Tout d'abord, il effectue quelques voyages entre Toulouse et Casablanca avec des passages difficiles mais parfaitement maîtrisés entre Toulouse et Naurouze. Ensuite, sa vraie destination, compte tenu de ses capacités, fut l'Amérique du Sud. Il sera le responsable de l'aérodrome (ou aéroplace) de Récife (Brésil). A partir de 1931, il reprend la ligne Natal-Buenos-Aires et continuera sa carrière chez Air France jusqu'à sa retraite en 1952. Six ans auparavant (1946), il avait déjà effectué 15 000 heures de vol, dont 4 000 en vol de nuit.
Mme Dupont m'est apparue comme quelqu'un de très patient et très calme. Elle m'expliqua que lorsqu'elle était jeune fille au Maroc, elle se rendait dans les aéroplaces du pays pour voir ces hommes hors du commun, adulés, convoités par ce qu'ils représentaient : l'image de héros. C'est ainsi qu'elle a rencontré celui qui deviendra son mari.
Bien sûr, la vie c'était de les attendre, mais elle avait eu la chance formidable de recevoir de Claudius de longues lettres magnifiques, très détaillées sur les paysages, le vol, lui-même et les conditions...
Elle m'avait fait part également de l'enrichissement culturel dû à la carrière de Mr Dupont. Ils ont vécu au Brésil, entre autres, avec leur fils unique. Cette découverte d'une autre terre était inespérée pour elle qui était née dans une famille nombreuse, au Maroc, près d'une petite ville.

Anecdote : un dépannage de fortune
Les ailes des premiers avions (les Bréguet 14) étaient faites de bois et de toile tendue, enduite d'un vernis spécial qui augmentait sa résistance aux vents violents, à la pluie et à la grêle.
Un jour, un pilote accompagné de sa femme durent se poser d'urgence à Barcelone car l'aile droite de l'avion était désentoilée. Réparer, certes, mais il fallait trouver un drap à acheter. Le pilote et sa femme entrent dans un magasin de la ville :
- Nous cherchons un drap épais !
- Tenez ! En voilà un !
- Avez-vous beaucoup plus épais?"
Le vendeur regarde curieusement ces deux clients. "C'est pour réparer une aile d'avion !" Drôle de femme et drôle d'avion ! Des fous volants, pense-t-il. Et il leur précise que c'est le plus épais qu'il vient de leur montrer !

bateau échoué
A l'époque de l'Aéropostale, les pilotes survolaient
régulièrement les côtes Mauritaniennes, loin de leurs épouses

Il y a aujourd'hui des différences importantes entre ce que furent les femmes de pilotes des Lignes Aériennes Latécoère et Aéropostale, et ce que sont les femmes de commandants de bord ou de copilotes de nos avions de ligne. Même les plus habiles ne peuvent prétendre à partir aux côtés de leurs maris, fût-ce même pour apporter une aide précieuse. D'ailleurs, elles ont souvent leur profession ou carrière bien à elle et, en aucun cas, elles ne seraient autorisées à rencontrer leurs maris dans l'exercice de leur profession.
Même si faire voler un avion est sensiblement la même chose qu'hier, les méthodes, elles, sont très différentes : travail très technique, ordinateurs de bord, travail d'équipe entre initiés. L'équipe formée par le commandant de bord, le co-pilote, steward et hôtesses constitue une entité à part entière d'où seraient exclus les conjoints de chacun et chacune.

Renée Dorin
Crédit photos : Collection Renée Dorin


Couleur Lauragais n°93 - Juin 2007

 

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