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Couleur Lauragais : les journaux
Reportage

La langue occitane et le Lauragais

La langue occitane, ou occitan, est parlée dans le midi sur environ un tiers du territoire français, de Bordeaux à Grenoble, de Limoges à Montpellier, et plus spécialement, dans notre lauraguès. Elle est souvent qualifiée de patois utilisé seulement par des paysans attardés, des culs terreux sans culture, ignorant même la langue française ; à ces critiques absurdes je réponds très simplement : l’écrivain poète Frédéric Mistral a reçu le prix Nobel de littérature en 1904 pour son œuvre en occitan.

Le domaine géographique de l’occitan
Il est, hors de France actuelle, quelques villes alpines du piémont italien, le val d’Aran en Espagne ; le catalan est généralement écarté du domaine occitan ; cependant, en valencian, les jours de la semaine sont «dilus, dimars, dimécrès, dijous…» comme en Lauragais. Au 13ème siècle, l’occitan était parlé de Poitiers à Valence, puis le catalan est devenu original et autonome ; aux îles Baléares, en 2006, l’occitan est langue officielle. En France les villes importantes qui bordent la zone frontière linguistique sont : Bordeaux, Blaye, Angoulême, Poitiers, Montluçon, Vichy, Saint Etienne, Vienne, Grenoble. Les régions qui parlent et écrivent l’occitan forment l’Occitanie, avec un sens uniquement linguistique, jamais politique ou administratif ; il n’y a jamais eu un état qui se serait dénommé l’Occitanie. Le basque n’a rien à voir avec l’occitan.
L’occitan a évolué et a été fractionné en divers dialectes dont les principaux sont : le gascon (sur la rive gauche de la Garonne), le languedocien (ou occitan moyen), le provençal, le limousin, l’auvergnat, le provençal alpin, le franco provençal (d’après Pierre Bec). A Toulouse, la vieille ville utilise le languedocien, et sur la rive gauche le gascon à Saint Cyprien (quartier du Mirail) ; la région de Saint Girons est gasconne.

Les grandes phases de l’histoire de l’occitan
Elles nous permettent de préciser que cette langue dérive du latin, comme le français du bassin parisien. Les gaulois, volques tectosages pour nous, envahissent la Gaule au 3ème siècle avant J.C ; il subsiste des toponymes gaulois en Lauragais ; puis les romains s’installent à Narbonne et Toulouse en 118 avant J.C et leurs soldats, leurs colons apportent leur civilisation et la langue latine. Une lente évolution du latin conduit à la différenciation de l’occitan (au sud de la France) et de la langue d’oïl ou français autour de Paris et dans le bassin parisien. Le siècle charnière est le 11ème siècle avant J.C ; vers 1100, l’occitan a ses caractères linguistiques bien déterminés et son apogée se situe aux 12, 13 et 14ème siècles avec l’admirable langue des troubadours. C’est la tragique «croisade contre les albigeois» (ou cathares) 1209-1229 qui introduit le français dans notre région lauragaise ; les croisés (on disait ici les francimans) massacrent, pillent, brûlent, s’emparent des terres ; en 1229, par le traité de Paris, le comté de Toulouse est condamné à mourir, et en 1271 il disparaît de l’histoire avec Jeanne de Toulouse ; il est alors administré par des officiers royaux et des juges utilisant le français du 13ème siècle et écrivant en latin. Le dernier comte de Toulouse est un frère de Saint Louis (Louis XI), Alphonse de Poitiers ; c’est lui qui créée la « jugerie royale du Lauragais » (voir la carte de Francis Falcou) dont les limites sont très voisines du Lauragais actuel. Le symbole de l’implantation française est la création des villes forteresses : les bastides, à partir de 1249, dont les noms ne figurent pas dans la toponymie occitane, mais qui s’appellent : Villefranche, Villenouvelle, la Bastide Beauvoir, la Bastide d’Anjou (1376) du nom du duc d’Anjou, gouverneur français du languedoc ou Montgeard, du sénéchal Guiard. L’occitan perdurera à travers l’académie des jeux floraux créée au 14ème siècle. Une première attaque officielle royale contre l’occitan est l’édit de Villers-Cotterets (1539), qui interdit l’usage des langues régionales ; les textes administratifs doivent être écrits en français. Un exemple local de cette mesure se trouve à Montgeard (près de Nailloux) où l’on construit la splendide église du pastel entre 1510 et 1560 ; au dessus du portail d’entrée deux inscriptions rappellent «le don de 50 000 tuiles» pour la construction de l’édifice, par un marchand pastellier ; à gauche l’inscription de 1530 est en occitan, à droite la même, en français (vers 1550) ; l’Edit de Villers Cotterets était passé par là. Les registres paroissiaux, registres de baptêmes et sépultures que j’ai consulté, ceux de Nailloux par exemple, sont de 1595 et en français, 1622 pour Ayguesvives ; les curés sont certainement bilingues.
Le recul de l’occitan s’accélère au 19ème siècle avec l’œuvre de Jules Ferry et ses instituteurs, les célèbres hussards noirs de la Ré-publique qui rendent le français obligatoire À l’école primaire ; en 1936 encore, nous étions punis si, dans la cour de récréation, un mot d’occitan nous échappait, par exemple «milledius ou macarel». le recul de l’occitan s’est prolongé pendant sept siècles ; en 1789 l’énorme majorité des toulousains et des lauragais l’employaient ; l’évêque Sermet prêchait en langue d’oc dans la cathédrale Saint Etienne : les femmes ont envoyé des doléances en vers. En Lauragais, 80% des paysans sont occitaphones en 1914 d’où les inscriptions sur les monuments aux morts (en 1920-22) dont celui de Saint Félix «an fait la guera à la guera…»
L’occitan parlé en Lauragais est le languedocien car il n’y a pas de dialecte spécifique. Quelques traits originaux cependant à retenir : le b et le v se prononcent de manière identique, ainsi “val” (vallée) se dit comme “bal” (bal), “votar” (voter) comme “botar” (mettre), veau qui se dit “vudel” s’entend à l’oreille comme “budel” ou “bede” (bedeau). Le “n” final est muet comme dans tout le languedoc ; ainsi on écrit “pan” (pain) mais on prononce “pa”, vin se dit “bi”, “camin” se dit “kami”. La prononciation du “j” est proche de celle du français, et non “ts” comme en albigeois ; au gîte, se dit en lauragais “al jas” et non “al tsas” comme à Albi.

Autres différences, avec le pays de Foix et la Gasgogne :

En Lauragais
botar de sal
beurre d’aiga
crompar de pan
Pays de Foix
botar sal (mettre du sel)
beure aiga (boire de l’eau)
crampar pan (acheter du pain)

Dans la topononymie
L’occitan du Lauragais comporte 99% des termes, noms de paroisses, villages, bordes, lieux-dits, ruisseaux ; le français apparaît tardivement (1229) avec les officiers de Saint Louis dans les sénéchaussées de Beaucaire, Béziers et Carcassonne. Une originalité du Lauragais est de faire entrer les particules “en” signifiant monsieur et “na” madame dans les noms de lieux, avec deux types de “en” : d’une part une particule honorifique = monsieur X (monsieur vient de monseigneur) ou “na” = madame Y, et un sens toponymique = chez monsieur X ou chez madame Y. Un témoignage personnel : en janvier 1992, un jeudi, au marché de Caraman, j’ai conversé avec un paysan âgé, lauragais, né à Caraman et qui me dit qu’il allait voir “en Boyer” (monsieur Boyer, le maire), et “en Faure” (monsieur Faure, le forgeron) ; aujourd’hui cette particularité a disparu.

Un chef d’œuvre littéraire occitan est «la canco de la cruzada» (première moitié du 13ème siècle)
Il s’agit de 8000 vers alexandrins, écrits par deux auteurs : Guillaume de Tulède et l’anonyme (resté inconnu) qui retracent l’épopée cathare et la croisade contre les albigeois (1209-1229). Dans ce document historique, en occitan du 13ème, nous possédons une description très précise des batailles de Muret, des sièges de Castelnaudary, du bûcher des Cassès ou encore la victoire du comte de Toulouse Raimon VII sur les croisés en 1219. En voici un extrait, sur Baziège avec sa traduction par Martin-Chabot :

Ab tant venc lo coms joves, denant totz abrivatz
Com leos o laupartz, can es descadenatz ;
Ben dreitament l’enporta lo seus cavals moratz
E venc, asta baichada, desotz l’elm embroncatz,
Dedins la major preicha, lai on les vi mesclatz.
Fer Joan de Brezi, qui s’es aprimairatz
E donec li tal colp sos espieutz nielatz
Que l’ausberc li debriza el perpung el cendatz.
Traduction : « alors survint le jeune comte (Raimon VII) devançant impétueux tous les siens, comme un lion ou un léopard déchaîné ; son cheval moreau l’emportait en ligne droite. Il arriva, la lance basse et la tête courbée sous le heaume, là où il voyait la plus forte presse et mêlée de combattants. Il frappa Jean de Berzy (le chef des Croisés) qui s’était porté en avant et lui donna un tel coup de son épieu niellé… »

L’apogée de l’occitan se place aux 12, 13, 14ème siècles
C’est l’extraordinaire floraison des troubadours soit 400 écrivains, poètes, chanteurs, jongleurs, dont plus de 30 femmes, les troubaïritz, la «Terre des troubadours » étudie les poètes du Limousin, Auvergne, Provence, Toulousain, Poitou, Catalogne, les Baléares (avec le célèbre Ramon Llul). En 2006, aux Baléares, l’occitan est langue officielle. En Lauragais, un troubadour est demeuré célèbre, Bernat Mir de Saint Martin Lalande (au Nord Est de Castelnaudary) ; nous avons de lui un seul poême publié très récemment par G. Zuchetto ; c’est un partimen, c’est à dire un dialogue entre deux troubadours, ici Mir et Sifre ; le sujet est scabreux sur le partage du corps féminin entre deux amoureux.
Voici les premiers vers :

Mir Bernat vos ai trobat
a Carcassona le ciutat
d’una rem tenc per issarat
e volh vostre sen m’en aon
en una domn’ai la mitat
e nom suiges ben acordat
sim val mais d’aval o d’amon

Mir Bernat puisque je vous ai trouvé
à la cité de Carcassonne
sur une question qui me préoccupe
je veux que votre jugement me vienne en aide
d’une dame j’ai la moitié
mais je n’ai pas bien su décider
s’il me vaut mieux le bas ou le haut.

Le mouvement des troubadours se poursuivra au 14ème siècle, par l’académie des jeux floraux.
Vers 1780-89, la langue occitane est utilisée pour un cahier de doléances qui se prépare dans les paroisses de Toulouse, avant les élections aux états généraux (1789).

Doléances de femmes toulousaines,
en occitan

Au 19ème siècle, nous retenons seulement deux très grands écrivains occitans, Prosper Estieu et Auguste Fourès. L’œuvre de Fourès est immense, il repose au cimetière de Castelnaudary, debout, face au soleil.



Le caveau d'Auguste Fourès, poète occitan
Cimetière de l'est à Castelnaudary



A Fendeille, la maison où naquit et vécut Prosper Estieu

 

Le renouveau actuel de l’occitan est spectaculaire
On constate aujourd’hui une multiplication des auteurs que nous retrouvons dans la revue le Gai Saber (Lagarde, Anatole, Carbonne). Les ouvrages en occitan se multiplient : l’enseignement supérieur au Mirail, regroupe des professeurs de très haut niveau : un CAPES d’occitan a été créé en 1986, l’Institut catholique et le collège d’occitanie (avec Georges Passerat) dispensent un enseignement de très haute qualité ; dans tous les collèges, l’occitan tient une place croissante. Il est dispensé dans des établissements primaires bilingues très originaux : les calendretas (à Muret, Castanet, Toulouse), et un lycée bilingue fonctionne à Montpellier. L’année 2006 est marquée par la parution d’un dictionnaire monumental, par Cantalauza.

En conclusion, ami lecteur, appréciez ce poème en occitan de Prosper Estieu :

Colcat prèp d’un bartès al pè d’un verd cotiu,
Al los vistons dubèrts sul levant de naurosa,
Vèrs la montaha négra eirissant, verturosa,
Dins lo cèl azurat son esquinal autiu.

Un gazalhan, darrèr’n araire primitiu,
Ondra de mants selhons la plana solombrosa
Pnt, sens cap de relais, d’una votz arderosa
Cantan tant de grilhets, cada vèspre d’estiu !

Aqui, de blats, de milhs, de malhols, de fabièras
E de pibols gigants ; mès, alloc de ribièras,
A pena, de ça-n-là, de riuses assecats.

Que d’autres anenluènh cercar de maravilhas
E de lor terrador slasquen lèu destacats :
Mon cor al lauragués ten ambe de cavilhas !

Prosper Estieu «Lo terrador» 1895

Jean ODOL

Crédits photos : Couleur Média


Couleur Lauragais n°87 - Novembre 2006