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Couleur Lauragais : les journaux
Reportage

Les vents en Lauragais

La littérature sur les vents en Lauragais est particulièrement abondante avec une foule de livres, publications diverses sur le “vent fou” qu’est le vent d’autan ; c’est sous cette même appellation qu’un ouvrage vient de paraître. Un film, projeté en 2006 se définit lui même : “le Lauragais, pays du vent”. L’évidente influence des vents lauragais s’impose sur les plantes cultivées (très peu de vergers), l’habitation humaine, sur des installations spectaculaires comme les éoliennes d’Avignonet qui tournent inlassablement ; ce n’est pas un hasard si ce premier parc s’est fixé près de ce village.

Qu’est-ce qu’un vent ?
Définition très simple : un vent est un “écoulement d’air”, “un courant d’air” qui s’écoule toujours des hautes pressions (HP) vers les basses pressions (BP) ; ces notions de base de la climatologie apparaîssent clairement sur les cartes météo présentées à la télévision, avec les masses d’air qui intéressent la France et des flèches qui indiquent la direction des vents ; lorsque vous entendez l’expression “entrées d’air maritime” sur les régions voisines du Golfe du Lion, il s’agit du vent d’autan ou marin ; depuis quelques mois le terme vent d’autan est fréquemment utilisé par les présentateurs.

Quelques remarques sur le climat du Lauragais
Le climat de notre région est déterminé par le jeu des masses d’air qui se déplacent au dessus de nos collines et qui sont différentes selon les saisons. Les masses principales sont originaires de l’Océan Atlantique, donc chargées d’humidité ; elles balaient la France et le Lauragais d’Ouest en Est, depuis Bordeaux jusqu’à Nice, de Brest jusqu’à Strasbourg. D’autres masses sont d’origine continentale venant de Scandinavie et d’Europe centrale ; il s’agit alors d’air sec et froid en hiver qui donne parfois naissance au vent d’autan de Sibérie. Une troisième origine des masses d’air est la Méditerranée, l’Espagne, le Maghreb, le Sahara (des poussières rougeâtres sahariennes couvrent parfois nos voitures apportées par des vents méridionaux) ; il s’agit d’un air sec, parfois très chaud en été, avec des températures très élevées.

Les pluies en Lauragais
Elles présentent quatre saisons bien nettes ; une saison humide principale qui comprend les mois d’avril, mai et la première quinzaine de juin (jusqu’à la Saint Jean, le 24 juin) ; une saison humide secondaire comprenant la seconde quinzaine de septembre, octobre et novembre ; une saison sèche principale qui se dessine à la fin de juin et qui comprend juillet-août, la première quinzaine de septembre ; une saison sèche secondaire qui apparaît dès décembre, s’affirme en janvier, février, pour s’atténuer en mars. Le total des pluies annuelles s’établit autour de 650 mm ; dans le couloir central de Castanet à Bram, un peu moins : 600 mm ; par contre, au Sud de Laurac, le Puy de Faucher reçoit 700 mm, idem pour la région Lanta-Caraman ; si Revel reçoit 650 mm, la Montagne Noire est très humide avec 800 mm à la Galaube et 1200-1500 au Pic de Nore (altitude 1200 m). La répartition des pluies est dans l’ensemble favorable aux plantes cultivées (céréales, oléagineux) malgré la sècheresse estivale mais entrecoupée en août de fréquents orages ; l’arrosage est cependant nécessaire pour le maïs et le tournesol, d’où la multiplication des lacs collinaires et prises d’eau dans les rivières.

Les températures moyennes annuelles
En Lauragais, elles sont de l’ordre de 12 degrés à Toulouse, 15 à Villefranche, 12 à Belpech ; leur répartition saisonnière fait apparaître des étés très chauds, souvent torrides, avec un record absolu : plus 43° à Villefranche ; la canicule de juillet 2006 n’est pas une inconnue pour les paysans lauragais. Ces fortes chaleurs favorisent la venue de plantes d’origines tropicales comme le maïs, les haricots, le tournesol, le soja mais qui nécessitent aussi de l’eau en abondance.

Le Lauragais est le pays des vents
Les vents sont fréquents en Lauragais comme en témoigne la Fête du Vent qui se déroule à Nailloux, tous les ans début septembre. A Villefranche par exemple, il y a seulement 67 jours sans vent, dits “calmes”. L’air est rarement en repos et les éoliennes d’Avignonet ont un rendement très élevé car l’emplacement a été fort bien choisi.

La rose des vents en Lauragais est très riche : l’auteur en est Claude Rivals, célèbre spécialiste des moulins ; tous les noms sont indiqués en occitan.


La rose des vents


Quelques exemples des vents qu’elle indique : la Bisa est le vent venant du Nord, très froid et sec ; dans le secteur Ouest, celui des Cers, le Vent de Darrér est tiède et surtout pluvieux, c’est le bon vent ; le Bordalès, ou vent de Bordeaux, vient du Nord Ouest, lui aussi humide et doux ; le Plojal se définit lui même comme le vent de la pluie, c’est un Cers, mais avec des pluies durables et abondantes. Les paysans distinguent parfois le Vent de Baiona Del Vent de Sant Gaudens : venant de l’Atlantique, du Sud Ouest, ils est toujours pluvieux. Au Sud, les vents sont très nombreux : le vent d’Espagne, de Libia, le vent de Bas, le Miegjorn. Parmi les vents du secteur Est, nous retiendrons : la Soledra, le Levantal, le Grec ; j’ai relevé ce dernier dans la région de Narbonne, mais jamais en Lauragais ; la mer Méditerranée est appelée au 14ème siècle, par les Anglais, “ la mer des Grecs” lors de la chevauchée dévastatrice du Prince Noir en 1355.
A part, quelques mots sur “l’Auta de Sibéria” ; il s’agit d’un vent d’autan de direction NE vers SE, soufflant en février, très froid et très sec ; un anticyclone continental se développe essentiellement en Sibérie mais recouvre aussi toute l’Europe centrale, l’Italie, une partie de la France, la Méditerranée occidentale en dirigeant un vent de Nord Est sur le Midi lorsque se déplacent des dépressions (BP) au dessus de l’Irlande et de l’Angleterre ; appelé encore “l’Auta Fret”, il est peu connu, rarement signalé par les climatologues ; seul Jorré, dans sa thèse sur le Terrefort lauragais en fait état.

Le vent d’autan et le marin
Ce sont les vents les plus célèbres, les mieux décrits, “les vents fous”, avec une littérature très riche ; toute étude sur le Lauragais exige un chapitre sur l’autan. Autan et marin désignent le même courant d’air ; à Bram on ne connaît que le marin, à Castelnaudary la majorité des habitants emploie le terme marin, à Villefranche seul autan est usité.
Autan vient du latin altanum signifiant “la haute mer”, donc un vent orienté SE-NO venant de la mer Méditerranée.
Sa vitesse est bien connue, jusqu’à 130 km/h dans la région où il bat tous les records, à Dourgne, Revel, Saint Félix ; cependant, le record des vitesses est détenu par un cers, en dé-cembre 1999 : 140 km/h.
Son écoulement est très original, très différent du Cers beaucoup plus régulier ; avec des rafales courtes, ultra violentes, puis quelques secondes de calme, de repos relatif, puis nouvelle rafale (les explications scientifiques sont à rechercher chez Vigneau, revue des Pyrénées et du Sud ouest 1972). Il provoque des accidents, parfois mortels comme l’accident du “petit train du Lauragais” (Toulouse-Revel) en 1916 au cours duquel des wagons furent renversés ; même accident sur le “petit train de la Piège” (Castelnaudary-Belpech), avec un mort, près de Belpech. Les climatologues décrivent plusieurs types de vents d’autan quant à la disposition des masses d’air qui l’engendrent. Les géographes et les paysans lauragais en ont conservé deux variantes principales : l’Au-tan Noir dure 2-3 jours avec une dépression sur le Golfe de Gascogne qui avance lentement vers l’Est malgré le vent contraire ; ce dernier présente une très faible épaisseur, environ 1000-1200 m, et au-dessus règnent des vents d’Ouest ; Pierre Espenon, professeur du lycée de Revel, l’a bien démontré par ses expériences, en lâchant à Revel des ballons sondes par vent d’autan, au sol ; les ballons s’élèvent à 1000-1200 m au dessus de Toulouse puis changent de direction, se dirigent vers l’est et atterrissent en Suisse ou Italie du Nord ; l’autan cesse et il pleut par le cers. L’Autan Blanc est issu d’un anticyclone méditerranéen et se dirige vers des dépressions (BP) qui se promènent sur l’Irlande et l’Angleterre ; il souffle plus longtemps que le noir, jusqu’à 10 jours, et n’amène pas la pluie.

Les conséquences du vent d’autan
Elles sont multiples sur les cultures, bêtes et gens. Les dégâts sur les champs de blé, en juin sont bien connus. “Il peut moissonner avant les hommes”. Il abat parfois des arbres, pille les vignes en brisant les sarments, casse les tiges de maïs, brise les tournesols (d’où la mise au point de variétés aux tiges courts). Sur les animaux, le vent d’autan a des effets négatifs : les chevaux sont énervés et donnent des coups de pied, les boeufs des coups de cornes, les vipères mordent, les oiseaux ne chantent plus, les chiens sont agressifs. Un dicton, occitan et lauragais, est célèbre :
L’auta es pos pescaire (les poissons ne mordent pas),
L’auta es pos cassaire (on rentre bredouille de la chasse car les chiens ne sentent pas le fumet laissé par le lièvre),
L’auta es pas femnejaire (les coureurs de jupons n’ont aucune chance auprès des femmes femno = femme).


Le blé, culture traditionnelle du Lauragais
mais fragile face aux assauts du vent

Une allée de platanes déformés
par la violence du vent à Dourgne


L’énergie du dieu Eole

Eole était le dieu du vent chez les Grecs anciens, un vent utilisé par une multitude de moulins à vent ; au 19ème siècle des centaines de moulins tournaient sur nos collines, 2-3 par commune, une vingtaine à Castelnaudary ; dans ce Lauragais producteur de céréales, le moulin est représentatif du besoin vital de l’homme : se nourrir ; les farines qu’il prodigue, de blé et de maïs, sont la base de l’alimentation humaine. L’un d’eux en 2006, est devenu le symbole d’une communauté de communes : le moulin à 6 ailes de Nailloux.


Le moulin de Nailloux au début du 20e siècle

Aujourd'hui, le moulin de Nailloux a retrouvé ses six ailes et fonctionne à nouveau


Architecture

Les vents, surtout l’autan, déterminent aussi l’architecture des bordes (maisons paysannes) lauragaises (voir mon article dans Couleur Lauragais N°71) ; les bâtiments sont bas, rampants sur le sol, sans étage, protégés par une haie d’arbres vers l’Est (des ormeaux) contre l’autan. L’axe des bâtiments est orienté parallèlement aux vents ; le mur Ouest est toujours totalement aveugle, sans la moindre ouverture, car c’est sur ce mur que s’abattent les pluies apportées par les cers ; le mur Nord présente quelques petites fenêtres éclairant les chambres à coucher ; le mur Est est lui aussi aveugle pour lutter contre les attaques de l’autan et il est fréquemment construit en “briques vertes”, c’est à dire de l’argile moulée en briques mais non cuites ; il ne pleut pratiquement jamais par vent d’autan. Sur la façade Sud, ensoleillée, s’ouvrent la grande cuisine et l’étable ; le mur oriental est souvent protégé par un hangar à arcades où se placent charrues et charrettes (une arcade correspond à 10 hectares de terre cultivable environ).

Jean ODOL

Le vent d’autan, “le maître du Lauragais” attire étrangement les poètes ; voici quelques vers d’un baziégeois, très bon observateur du milieu local :


Quand se dégage la Montagne Noire,
Que le train ferraille le soir,
Alors l’on sait
Que le vent d’autan va se lever.
D’abord comme un léger murmure,
Comme un long baiser qui dure
Sous lequel frémit la nature.
Alors, quand il se renforce,
Que son souffle prend de la force,
Il va, comme l’amant pressé,
Tout sur son passage bousculer,
Courir comme un insensé à travers champs,
En de longues tresses de vent
Et rien ne semble résister
A cette force débridée.
Alors quand il s’arrête de souffler
Parfois quelques gouttes de pluie
Comme des larmes attardées
S’en viennent donner sérénité
A cette nature fatiguée et alanguie.

D. Herlin.


Bibliographie :
Jean Odol : “Le Lauragais” réédition 2005
R. Brunet : “Les campagnes toulousaines” thèse
G. Jorré : “Le Terrefort lauragais” thèse
J. Vigneau : “le vent d’autan” Revue des Pyrénées 1972
M. Viala : “les vents en Lauragais” 1995, Société d’Etudes Scientifiques de l’Aude


Couleur Lauragais n°86 - Octobre 2006