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Couleur Lauragais : les journaux

La saga des Bourrounet, quatre générations de boulangers en Lauragais

Au coeur du Lauragais, tout près de la Rigole, au pied des côteaux de Saint-Félix et à une portée de boulet de canon du château de Turenne à St Paulet, Georges et Georgette Bourrounet, boulangers à la retraite, nous reçoivent pour évoquer la saga de 4 générations de boulangers.


Pierre Bourrounet et son épouse Françoise (vers 1910)

Boulanger de père en fils
Pierre est né en 1852. Après son apprentissage de boulanger à Béziers et son service militaire à Montpellier, il épouse Françoise Aymard en 1874 et s’installe en 1875 à la boulangerie de la Poma-rède, vieille construction avec four qui appartenait à Mme de Boissac, épouse du Comte d’Auberjon de Saint- Félix. En 1911 il achète cette boulangerie pour la somme de 200 francs or (acte notarié passé chez Maître Gabolde à Revel le 24 janvier). Travail particulièrement éprouvant : on allait chercher l’eau à “La Croze”, fontaine située à 300 m du village. Le pétrissage dans une maie en bois durait 1h30, la levure était inconnue et tout le pain était au levain qu’il fallait également préparer. Quant au bois nécessaire pour chauffer le four : ajoncs, pins, bruyère et bois divers, il était fourni par le Janou Pujol qui parvenait à confectionner 100 fagots par jour.
Pierre faisait la livraison du pain avec une brouette munie de ficelles qu’il passait autour de son cou pour ménager sa peine. C’est ainsi qu’il livrait 2 fois par semaine au marquis de Laurens-Castelet 12 miches de 2,5 kg chacune et cela à une distance de 4 km, au château du Castelet et à la Ramejane.

Le début des tournées
Peu à peu les moyens de livraison s’améliorent : la brouette est remplacée par une carriole tirée par un âne acheté 80 francs. Puis c’est le fidèle cheval blanc “Bijou” qui commence à assurer les tournées que Pierre avait payé 100 francs et avec lequel il livre le pain à toute la campagne de la Pomarède ainsi qu’à Tréville.
En 1883, naît Germain, fils de Pierre et de Françoise qui va d’abord travailler “dans la farine” à la minoterie Vienne (actuellement Grands Moulins de Paris) et qui en 1928 va reprendre la boulangerie paternelle de la Pomarède. Germain a épousé Augustine Daydé et leur fils Charles né en 1906 va assurer à son tour la lignée boulangère des Bourrounet.

Les débuts de la mécanisation
Germain et son fils Charles font l’acquisition d’un pétrin mécanique de marque “Euréka” : cuve en bois actionnée par un monocylindre à pétrole.
Les tournées deviennent plus importantes et les communes de Puginier, Peyrens, St Paulet et Souilhanels sont desservies. “Bijou” a cédé sa place à une Peugeot Torpédo type 181B de 1920 et l’on va même livrer le bon pain à Vaudreuille, Dreuille et un peu plus tard jusqu’en Salvan (St Ferréol).


La famille Bourrounet et la Peugeot de 1920 (Georges est sur le capot)

Une nouvelle boulangerie
En 1926, Charles a épousé Henriette Sarda née à la Pomarède. De cette union, en 1928, va naître Georges et en 1936 la famille Bourrounet devient propriétaire de la boulangerie de Puginier. Les deux boulangeries vont “cohabiter” en parfaite harmonie jusqu’en 1942 où Germain prend sa retraite et vend sa boulangerie de la Pomarède. Quant à Georges, après avoir arrêté ses études au lycée Charlemagne de Carcassonne, il revient à la boulangerie paternelle faire son apprentissage et en 1952 épouse Georgette Guilles native de Saint-Félix. Georges et Georgette vont développer leur commerce par la vente de pâtisseries, boissons, alimentation, fruits et primeurs. En 1978 la boulangerie est mise en gérance et Georges et Georgette se retirent pour une retraite bien méritée “En Peyrilhé” chez Georgette à St Félix.


Georges et sa mère devant la boulangerie de Puginier (1945)

Le pain des “Pays Cathare”
Retraite, pas tout à fait, car notre maître boulanger est très sollicité et c’est ainsi qu’il dirige la confection du pain du “Pays Cathare” en collaboration avec l’Ecole d’Agriculture de la Raque : pain composé de 10% de faire de seigle, 15% de farine d’épeautre et 75% de farine de blé de type 55 (l’épeautre est une variété de blé rustique à grains adhérents à la balle). Georges nous confie aussi, qu’au cours des tournées et devant le manque d’infirmières, certains médecins de Castelnaudary comptaient sur lui pour administrer des piqûres.

Evolution de la fabrication du pain en un siècle
Si la plupart des villages avaient une boulangerie, il faut préciser que, jusqu’à la première guerre mondiale, quelques fermes avaient un four et confectionnaient leur pain qui consistait en des boules de 5 kg pouvant “tenir” une bonne semaine. Quant aux boulangers, et pratiquement jusqu’à la seconde guerre mondiale, ils fabriquaient uniquement des miches de 2 kg (navette fendue) et quelques pains de 1 kg dénommés “Charleston”. On n’en était pas aux flûtes, baguettes, couronnes, ficelles et autres bâtards chers aux parisiens... C’est que le pain devait “durer” : il n’y avait que 2 tournées par semaine. L’utilisation de la levure est apparue assez tard dans nos campagnes et la préparation du levain était une opération délicate pour le boulanger mais combien bénéfique pour le bon pain.
Georges Bourrounet évoque la “règle des 60” : eau à 20°, farine à 20° et température du local à 20° ainsi que le four chauffé à 250°, donc la couleur de la voûte en brique passe du blanc au noir et puis à nouveau au blanc. Le chauffage au mazout et plus tard à l’électricité à “heureusement” dispensé le boulanger de la corvée de bois et de cendres.

Le jour et la nuit du boulanger
C’est à 15 h que le travail commençait avec la préparation de la pâte et du levain. Le début du pétrissage se faisait à 22h. La pâte devait reposer 1 heure et ensuite la confection des pains occupait une bonne partie de la nuit. Il fallait 1 h à 1h15 pour préparer le four et on enfournait de 5 h à 6 h du matin.
Quant au repos du boulanger, il se faisait par tranches de 2 fois 3h et il y avait aussi les tournées à assurer... Notons au passage la manutention des balles de farine de 120 kg jusqu’en 1930, 100 kg par la suite et 50 kg après la guerre.
A propos des farines, évoquons la controverse apparue dans les années 50 au sujet de leur qualité : l’arrivée des blés à grand rendement (Etoile de Choisy) à valeur boulangère médiocre et heureusement compensée par des blés produisant une meilleure farine (variété Docteur Mazet).


On prépare la livraison du pain (Charles est torse nu) - 1935

Le pain noir des années noires
La guerre, l’occupation : les boulanger n’assurent plus les tournées et les particuliers doivent se rendre à la boulangerie pour se ravitailler. La qualité des farines se détériore. Dans certaines fermes on remet des fours en service. A la boulangerie, le pain est gris et parfois la farine de maïs difficilement panifiable est utilisée. A Puginier, la famille Bourrounet ne s’en sort pas trop mal. Georges nous dit que la commune n’a jamais manqué de pain. Quant à la qualité, on améliore la farine de la minoterie avec celle provenant du lieu dit “Vide-bouteille” où François Daydé, voisin de Puginier fournit grâce à sa mini-minoterie presque clandestine de quoi améliorer le pain issu du four de Bourrounet. Ce sont les restrictions : on délivre du pain en échange de tickets J1 et J2 qui donnent droit à 200 gr, J3 permettent d’en obtenir 350 gr avec une majoration pour les femmes enceintes. Charles Bourrounet qui, en plus de son métier doit tenir cette comptabilité, finit par en avoir un “sadoul” (mot occitan = ras le bol) et grâce à une balance assez précise envoie à la préfecture de Carcassonne ses tickets de rationnement “au poids”...
En ces temps de restriction, peu de pain mais aussi pas de carburant pour utiliser la 301 fourgonnette qui, équipée d’un gazogène, sera alimentée par le charbon de bois récupéré après le chauffage du four.


Boulangers à l'aemée : quelque part en Allemagne,
Georges fait son service militaire (second à gauche du four) - 1950

Les marques
Dans les boulangeries de campagne et au cours des tournées, on avait rarement recours à la monnaie sonnante et trébuchante. En toute légalité, il s’agissait d’un “troc” : échange du pain distribué par le boulanger avec le blé fourni à ce boulanger par l’agriculteur.
Chacun d’entre eux était en possession d’une règle en bois sur laquelle, d’un trait de scie, le boulanger faisait une “marque” : chaque marque correspondant à un pain livré. Le fermier, après la récolte, apportait une certaine quantité de blé au boulanger et, au bout de l’année, les fameuses marques étaient comptabilisées et les comptes arrêtés soit en faveur du boulanger, s’il avait délivré plus de 30 miches pour 1 sac de blé livré, soit en faveur de l’agriculteur s’il n’avait pas comsommé la quantité de pain correspondant au blé fourni.
Le sytème des marques a pris fin dans les années 1970 et on a repris le chemin de la boulangerie avec le porte-monnaie.

Les caisses à pain
Les chemins n’étant pas toujours carrossables, l’accès aux fermes étaient souvent difficile. Aussi, disposait-on des caisses à pain, placées à un point accessible pour le boulanger en tournée. L’usage était de mettre dans cette caisse autant de cailloux que l’on désirait de pains. D’où la tentation de quelques plaisantins qui, passant par là, ajoutaient quelques cailloux à la “commande” préparée par le propriétaire de la caisse.


La plaque en fonte qui se trouvait sur le véhicule de livraison de Pierre Bourrounet

Le boulanger et les traditions
Le cassoulet : A La Pomarède, chaque dimanche, les habitants se rendant à la messe confiaient au boulanger la cassole du “cassoulet”. La famille Bourrounet chauffait le four, écartant ensuite les braises sur le pourtour et jusqu’à 25 cassoulets allaient ainsi mijoter le temps de la messe. A la sortie de l’office, chacun reprenait son plat tout prêt pour le repas de midi.

“Lé pa ségnat” (le pain béni) : Traditionnellement, le pain béni était distribué à la sortie de la messe à tous les fidèles. Sa fabrication était réalisée par le boulanger sous la forme d’un pain amélioré par l’apport d’oeufs et de sucre, de grains d’anis et d’un peu de lait. Une fois béni par le prêtre cet “amazérat” d’un poids de 4 à 5 kg était partagé par le sacristain. Une bonne partie était destinée au prêtre, une autre au sacristain lui-même, une autre partie à un paroissien à qui il était signifié par là qu’il devrait offrir le pain le dimanche suivant. Le reste du pain béni était divisé en petits morceaux distribués aux fidèles qui étaient venus à jeun pour communier.

Les petits pains : délicates attention de la part du boulanger qui au cours de sa tournée ajoutait à sa livraison habituelle autant de petits pains qu’il y avait d’enfants dans la famille. Et Georges Bourrounet nous cite une famille où il y avait 10 enfants.


Georges se plaît encore à confectionner les fameux gâteaux des rois

Au temps jadis
Sur le mur de la boulangerie de Puginier donnant sur la route, on pouvait encore distinguer, il y a quelques années, une peinture représentant une femme se rendant à la fontaine avec 2 cruches. C’est à la demande de Charles qu’un prisonnier allemand avait peint ce témoignage d’un temps où le boulanger mais également tout le village se rendait à la fontaine communale pour faire provision d’eau. Tout un symbole de l’étonnante évolution et des progrès réalisés dans tous les domaines et dans celui de la boulangerie en particulier, depuis l’antique maie de La Pomarède, jusqu’au pétrin à 2 vitesses, diviseurs, façonneurs, refroidisseurs d’eau et fours des boulangeries modernes d’aujourd’hui.

Boulangers d’hier et d’aujourd’hui : un métier, un vrai métier à qui est suspendu la vie du village et un métier pas comme les autres..

Interview : Hubert Roques

Crédit photos : collection Bourrounet

 

Couleur Lauragais n°86 - Octobre 2006