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Couleur Lauragais : les journaux

Au fil de l'eau

Histoire et paysages de la vallée de l'Hers mort

Il faut toujours préciser de quel Hers nous allons nous entretenir car il existe deux Hers en 2006 : l’Hers Mort de Villefranche, Baziège, Labège, et l’Hers Vif (on dit parfois le Grand Hers) de Belpech, Mazères, Calmont, Auterive Cintegabelle ; le premier est un très médiocre ruisseau, souvent à sec durant l’été, d’où son nom : un écoulement pérenne est artificiellement maintenu par l’arrivée de quelques m3/s alloués par la retenue de la Ganguise.

L'Hers mort à Montesquieu - Crédit photo : Couleur Média

L’Hers vif est une rivière puissante qui vient des Pyrénées en drainant toute la face du massif du Saint Barthélémy (<2400 m d’altitude) avec des eaux très abondantes en juin-juillet lors de la fonte des neiges ; son débit est 10 fois supérieur à celui de Baziège.

Le toponyme Hers
Il s’écrit souvent sans "h" et sans "s" ; son origine est très ancienne et difficile à expliquer comme nous le dit un spécialiste (Baby) ; la racine Ariège a le même sens, ruisseau, la racine ER signifie également : eau, ruisseau, rivière, un écoulement d’eau ; c’est une racine préindoeuropéenne désignant de l’eau, un cours d’eau. La forme du toponyme est variable et ancienne : ainsi Sabar-thés (spécialiste de la toponymie) relève : Super Fluvium Yrce Alba (959 après J.C), Irce (968), Flumen De Ercio (1002), Flumen Yrcii (1173), Lers (sur la carte de Cassini 1780) ; pour l’Hers Mort, on relève : Hercium (1185), Rivus Yrcii, l’Ers Morte (1781), Lers Mort (cadastre de Fonters).

Les tracés de l’Hers mort
Ils sont relativement simples et les ruisseaux affluents très nombreux drainant ainsi un bassin versant imperméable. L’Hers prend sa source à Fonters, petit village à 10 km au Sud-Est de Salles sur l’Hers, dans le département de l’Aude. Etymologie : font = fontaine, source ; ers = hers, donc la source de l’Hers. Simple ruisseau à Salles, à Gardouch-Villefranche il pénètre dans la gouttière et se dirige vers le Nord-Ouest en passant par Baziège, Labège, Montaudran ; à Toulouse il est séparé de la ville par la colline du Calvinet et les quartiers de la Côte Pavée, Guilleméry, le cimetière de Terre Cabade, ensuite il atteint Saint-Jory et conflue avec la Garonne à hauteur d’Ondes ; 70 km au total. Les affluents sont nombreux ; sur la rive droite : le Marès, la Grasse, le Visenc, le Rivel, la Marcaissonne, la Saune, la Sausse, le Girou ; sur la rive gauche : la Ganguise, le Gardigeol, la Thésauque, le Mals, l’Amadou, le ruisseau de Nostre Seigne, le ruisseau des Rosiers (venant de Don-neville). Les confluences des affluents avec l’Hers ne sont pas liées au hasard et correspondent à des cuvettes secondaires ; une vers Villefranche-Saint Rome où arrivent Marès, Grasse, Ganguise, Merdéric, Gardigeol, Thésauque ; la seconde vers "en Goudes", à hauteur de l’écluse du Sanglier, avec Mals, Amadou vieux, Visenc (qui coule à contre-pente générale) ; enfin la zone entre Montgiscard et Montlaur, avec l’arrivée de Nostre Seigne, ruisseau de Rosiers, Rivel, Amadou neuf.


Pont en briques à trois arches à Bigot (Montesquieu) - Crédit photo : Josiane Lauzé

L’Hers vieux avant 1710
Son tracé était très différent de celui de l’Hers en 2006 ; la pente longitudinale de la vallée étant très faible, il dessinait de nombreuses sinuosités, des méandres qui alimentaient des débordements annuels dans d’immenses marécages ; j’ai déterminé avec précision ce tracé entre Villefranche et Baziège, avec trois grandes boucles ; la première "concave au Nord" entre l’embouchure du Marès et le pont de Saint-Rome ; la seconde "concave au Sud" à hauteur du Descordat, passait à Bigot ; la troisième, vers le Sud, entre Bigot et la métairie de Moncal. Puis le cours s’accentuait vers le Sud et passait à 300 m de la métairie actuelle d’en Goudes. Il suivait ensuite "la nauze d’en Goudes", au Nord des Boulbènes, puis "la nauze de las Puntos" (commune de Baziège) et le gué de la voie romaine ; l’Hers coulait ensuite vers les Barthes, Bordrière d’Ortrie, Turmente. Sur les cartes IGN au 1/ 25 000, des pointillés indiquent soigneusement "Hers vieux" à la limite des communes de Montgiscard et de Montlaur.

La dépression utilisée par l’Hers
Ce serait d’après Lambert (voir thèse, tome II) une gouttière limitée par des failles (ou cassures) de la molasse et du tréfonds cristallin sous-jacent ; le bloc de collines situé au Nord est nettement plus bas que celui du Sud, la différence apparaît très nettement sur les cartes topographiques de 1850.
Dans le sens Est-Ouest les pentes de la vallée sont très faibles, d’où les difficultés d’écoulement et la présence d’une immense forêt marécageuse.

La forêt de Baziège Saint-Rome
Elle est célèbre dans l’histoire du Lauragais par sa superficie : 15 000 ha environ, depuis Montau-dran-Toulouse jusqu’au delà de Villefranche-Avignonet et la vallée inférieure du Marès ; elle a disparu après des siècles de travaux en laissant cependant un témoin résiduel appelé "le bois de Saint Rome" que l’on aperçoit nettement depuis la RN 113 (6-8 ha). Les chênes dominaient dans le boisement, associés à des frênes, des ormes ; un détail : la présence de nombreux aulnes prospérant dans les lieux les plus humides ; leur bois servait à la fabrication des sabots par les "esclopiers". Cette forêt est encore connue par la présence d’aurochs vivant dans les marais, aux 8 et 9ème siècles après J.C ; ces animaux, ancêtres des bovins, peuplent encore de nos jours les forêts de Biélorussie ; ceux de Baziège ont permis, en gastronomie, la création d’un délicieux rôti : "le rôti d’auroch des labours du roi" consommé par les Faydits exilés à Montségur au 13ème siècle, des cathares qui avaient massacré les Inquisiteurs à Avignonet en mai 1242.

Aménagements de la vallée après 1710
De grands travaux ont transformé totalement la vallée en supprimant la forêt et en creusant un lit artificiel pour l’Hers. Les défrichements ont commencé sous le roi Louis XI d’où le nom de "labours du roi" puis très activement continués sous l’autorité de Catherine de Médicis, reine de France, comtesse du Lauragais et propriétaire de la forêt. Les nouveaux champs cultivés ont dû porter du pastel sur ces terres très fertiles, parmi les meilleures du Lauragais. Au 18ème siècle la forêt a disparu entièrement sauf un grand bois entre Baziège et Villenouvelle, bien visible sur le plan Chalmandrier (1774). Tous les moulins ont été démolis.


Cadastre de 1743 : l'Hers vieux (ancien tracé, à gauche, à 200m de l'écluse du sanglier)

Construction du lit artificiel
Elle commence vers 1709-1710 comme en témoignent les remboursements d’emprunts que j’ai découvert aux archives municipales d’Ayguesvives ; les moyens matériels de l’époque expliquent la longueur des travaux, achevés pour l’essentiel, vers 1750 ; le tracé est composé de tronçons rectilignes, parfois sur plusieurs kilomètres, très différent de l’Hers vieux ; l’écoulement de l’eau en est facilité. Les digues sont construites au 19ème siècle et détruites en 1980 ; les derniers marais disparaissent vers 1840-1850 comme en témoigne une épidémie de "fièvre paludéenne" qui décime la population d’Ayguesvives et de Montgiscard en 1847. Malgré ces travaux les inondations, à Ba-ziège, sont fréquentes et il faut attendre les grands travaux d’élargissement de 1975-1980 pour mettre fin aux débordements. Les affluents sont également recreusés avec des tracés rectilignes et endigués ; un réseau de nauzes (fossés) assèche enfin la vallée. Villefranche, Villenouvelle, Baziège sont à l’abri des inondations, quoiqu’en 2004 une crue brutale due à un violent orage du côté de Salles sur l’Hers, a menacé pendant quelques heures le village de Baziège, mais pas de débordement ; même menace en février 2006.

L’histoire humaine du val de l’Hers
Elle est passionnante par sa fonction essentielle : le passage obligé entre l’Atlantique et la Méditerranée (appelée en 1355 "la mer des Grecs"), entre Toulouse et Narbonne la romaine.
Dès la Préhistoire, la Route de l’Etain emprunte la vallée en venant d’Angleterre, puis Bordeaux, la Garonne jusqu’à Toulouse ; l’étain gagne alors le port de Narbonne et la Grèce et Rome pour fabriquer le bronze. Le monument essentiel est construit par les Romains conquérants en 118 avant J.C qui s’installent à Narbonne et placent une garnison à Toulouse ; c’est l’illustre Via Aquitania (lire les travaux de Lucien Ariès sur cette route dans son ouvrage paru en 2005), une voie très épaisse (80 cm) avec une couche de roulement formée de dalles de calcaire et surtout de grès dur (voir les croquis de Labrousse et Baccrabère) ; elle est la seule route empierrée du Lauragais jusqu’en 1750 ; on l’appelle "le cami ferrat" (dur comme du fer), ou "le cami francès", ou encore "le chemin du roi" ; des ruines sont toujours visibles entre Baziège et Montgiscard (les pountils) ; la Table de Peutinger (carte du 4ème siècle) comporte bien Badera, nom gallo-romain de Baziège.


Borne millaire à Baziège, témoin de la voie romaine (tous les 1481m) - Crédit photo : Josiane Lauzé


La vallée est la Grande Route des Invasions, qu’elles viennent de l’Est ou de l’Ouest ; ainsi un peuple gaulois, les Volques Tectosages, venant de la vallée du Rhône occupe Toulouse, le Lauragais au 3ème siècle avant J.C. Les Wisigoths, peuple d’origine germanique, fondent le royaume wisigoth de Toulouse qui s’étend d’Orléans à Gibraltar ; on a découvert le palais des rois sur l’emplacement de l’ancien hôpital Larrey, près de la place Saint-Pierre à Toulouse ; une trace des Wisigoths dans la toponymie : les noms de villages en ens : Flourens, Escalquens, Loubens, Saussens, et ceux en ille comme Aureville, Mézerville, Auzeville, Maureville seraient d’origine wisigothique. Les Vandales n’ont fait que passer.
Les Francs de Clovis repoussent les Wisigoths en Septimanie et en Espagne. Vers 720 les Arabes venus "d’el Andalous" (Grenade) par Barcelone sont arrêtés près de Toulouse, peut être à Castanet. En 1355, la voie romaine est utilisée par les Anglo-Gascons du Prince Noir. Venus de Bordeaux, pendant la Guerre de Cent Ans, ils traversent la Garonne et l’Ariège vers Portet, débouchent à Cas-tanet, s’engagent sur "le chemin du roi" et brûlent 500 villages parfois avec femmes et enfants com-me à Montgiscard. En 1814, les Anglais de Wellington, venus de Bayonne, s’emparent de Toulouse (bataille du 10 avril), poursuivent l’armée française de Soult qui se retire par Castanet en direction de Villefranche ; le 12 avril, un combat entre cavaleries provoque des victimes anglaises, d’où la présence inattendue d’un cimetière anglais à Baziège, au lieu dit "la Mothe".


En 2006, l'Hers fait le gros dos - Crédit photo : Josiane Lauzé

La Route des Religions voit l’arrivée du christianisme au 3ème siècle après J.C ; il se développe d’abord dans la population juive de Narbonne puis gagne Toulouse où Saint-Sernin est martyrisé en 250. Nous avons conservé les vestiges d’une église paléochrétienne du 4ème siècle à Montferrand près de Naurouze. Le Catharisme s’est fortement développé, de part et d’autre de la vallée et en Lauragais ; l’invasion des Croisés en 1209 se fait depuis Carcassonne en suivant l’antique voie romaine ; en 1219 Baziège est le lieu d’une victoire du comte de Toulouse Raimon VII et du comte de Foix sur les bords de l’Hers vieux. C’est encore la Route des Pélerins de Saint Jacques de Compostelle.

La vallée et la voie romaine forment aussi la Route du Grand Commerce. C’est ainsi la Route du Sel venant des salines de Narbonne, transporté par des ânes qui alimente pendant des siècles les marchés de Baziège et de Toulouse. Le Pastel, aux 15ème et 16ème siècles, suit la voie en direction de Toulouse sous forme de coques que l’on transforme en agranat ; il a laissé dans le paysage actuel de nombreux "châteaux du pastel" construits par les grands propriétaires producteurs et les négociants tels Lastours (Baziège), Escalquens, Montgiscard, Auzielle, Baraigne et Belflou. Encore plus importante, la Route du Blé s’ouvre avec le canal du Midi (1681) ; le canal est parallèle à l’Hers jusqu’à Villefranche puis emprunte le cours d’un affluent : le Marès ; il permet l’exportation du blé lauragais vers Sète, la Provence et la Catalogne et déclenche ainsi une période de prospérité économique avec l’édification de nombreux "châteaux du froment", comme Mourvilles-Basses, Préserville, Ayguesvives.


Aménagement des bords de l'Hers mort : diverses plantations - Crédit photo : Couleur Média

La Route du Ciel : au temps de l’Aéropostale (1920-1940), les avions de Mermoz, Guillaumet, Saint-Exupéry survolent le canal et l’Hers ; l’un d’eux s’écrase à Ayguesvives en novembre 1923 ; les avions à très basse altitude suivent les arbres du canal de Montaudran à Narbonne, puis la côte, Barcelone, le Maroc, Saint Louis du Sénégal ; un phare aéronautique de 1927 est toujours implanté à Baziège, un autre à Montferrand.

Des apports de civilisation très originaux ont suivi l’Hers ; ainsi aux 12ème et 13ème siècles, c’est la Route de la Musique des Troubadours, originaires d’"Al Andalous" (Grenade) ; une musique arabo-berbère qui par Valence, Barcelone, Narbonne atteint Toulouse ; tous les instruments à corde, vielle, violon sont d’origine arabe. De même la Médecine Arabe nous est parvenue par ce chemin comme en témoignent les médecins arabes venus à Toulouse réparer la fracture d’une jambe d’un comte de Toulouse dont la dépouille repose dans un des sarcophages de la Porte des Comtes de la basilique Saint-Sernin ; ou encore le Papier qui arrive de Barcelone vers 1320 comme en témoigne un registre de l’Inquisition écrit sur du papier. Le Sucre de Canne est originaire de la région de Malaga où la plante mûrit.

La fonction de route doit être complétée par la simple évocation de la route nationale 113, la voie ferrée en 1857, l’autoroute A 61 en 1975, mais aussi un projet qui n’a heureusement jamais vu le jour : celui d’un canal maritime des Deux Mers, de Bordeaux à Narbonne, avec des bateaux géants ; les paquebots Normandie ou France à Baziège !


Tracée en 1976 l'autoroute A61, dernière voie utilisant la vallée de l'Hers - Crédit photo : Josiane Lauzé


Cette esquisse de présentation de la vallée de l’Hers m’a permis d’évoquer une route millénaire qui nourrit un grand pan de l’histoire du Midi de la France, des dizaines de siècles, mais aussi de l’histoire de France et même quelques parenthèses en direction de l’Espagne.
Pour comprendre, de façon concrète, l’histoire de la vallée, il faut se rendre à Montferrand, au pied du phare de l’Aéropostale ; on peut examiner l’agriculture contemporaine du Lauragais : des parcelles immenses portant seulement deux cultures : du blé et du tournesol. Les moyens de transport sont très proches les uns des autres : le canal, l’autoroute, la voie ferrée ; en quelques mi-nutes l’on a un raccourci surprenant de l’Histoire de France.


Aménagement des bords de l'Hers mort - Crédit photo : Couleur Média

Jean ODOL

Bibliographie :
Jean Odol : Toponymie et gouttière de l’Hers, Société d’Histoire de Nailloux - 2000 (épuisé)
Le Lauragais - Editions Privat 2005
Pour l’étude de l’Hers vieux, j’ai utilisé ma publication sur la Bataille de Baziège de 1219 (épuisé), et des cadastres, notamment ceux d’Ayguesvives (1743) et de Montgiscard (1766).
Lucien Ariès : Le Lauragais - Publication de l’A.R.B.R.E - 2006
Les thèses de Jorré, Enjalbert, Brunet, Lambert, L. de Santi : La forêt de Saint Rome et Baziège - 1909 (épuisé)


Couleur Lauragais n°85 - Septembre 2006